Affaire Sonatrach 1

Les accusés enfoncent Chakib Khelil



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Le procès Sonatrach 1 entame sa deuxième semaine avec la poursuite de l’audition des accusés par le tribunal criminel près la cour d’Alger. L’ex-vice-président de l’activité Amont persiste à affirmer que l’ex-ministre Chakib Khellil savait tout et qu’il a assuré assumer son entière responsabilité dans les contrats de télésurveillance. Mohamed Réda Meziane, fils de l’ex-PDG de Sonatrach, nie en bloc et tente de disculper son père qui, selon lui, ne savait rien de ses activités. Il reconnaît néanmoins avoir demandé un contrat de consulting aux Allemands. Après deux journées de repos, le tribunal criminel près la cour d’Alger a repris hier l’audition des accusés, poursuivis dans le cadre de l’affaire Sonatrach 1 et dont le procès s’est ouvert il y a une semaine. Il rappelle l’ex-vice-président de l’activité amont, Belkacem Boumedienne, et lui demande pourquoi n’avoir pas publié les offres dans le bulletin des appels d’offres du secteur de l’Energie et des Mines (Baosem). «Le PDG a décidé de passer par des consultations restreintes dont les offres sont passées par le comité exécutif et validées par le ministre», répond l’accusé qui, acculé, finit par lâcher : «J’assume ma responsabilité. Le 16 avril 2006, la commission des marchés a ordonné le lotissement des contrats et l’attribution de gré à gré.» Le juge insiste sur le choix du gré à gré. «Sonatrach a travaillé dans le cadre d’une stratégie politique qui ne concerne pas les experts. C’est le travail de 27 commissions régionales, validé par le comité exécutif, pour le ministre», souligne Boumedienne. Le juge : «Il s’agit d’une technologie de pointe et les prix sont un peu élevés. N’était-il pas plus judicieux de passer par une large consultation ?» L’accusé : «Je ne peux refuser l’exécution d’une stratégie politique… » Le président lui rappelle les règles de passation des marchés, dont la R14. L’accusé  : «La R14 était la première instruction de Chakib Khelil. Après il y a eu la R15 et aujourd’hui, nous sommes à la E22.» Selon lui, «le comité exécutif a validé les marchés. Ses membres savent très bien ce qu’ils font». Le président insiste pour connaître «l’urgence» qui aurait justifié le gré à gré. «L’urgence n’était pas un choix. Elle a été décrétée. Il fallait sécuriser les installations», répond Boumedienne. Le juge : «Vous étiez un cadre dirigeant...» L’accusé : «Je n’avais pas le pouvoir de dire non au ministre. Si je l’avais dit, on m’aurait désigné la sortie. Il avait même donné instruction par écrit de lui transmettre les noms des cadres refusant de s’exécuter. Toutes ces commissions régionales ont travaillé sur la base de ses instructions. Nous n’avions pas le choix. Alors, le ministre ou le PDG décide, moi je dis non, et lorsque ça éclate quelque part, comme cela a été le cas à Tiguentourine, où la compagnie a perdu des milliards, c’est moi qui porte le chapeau. Même si j’avais dis non, il y aurait eu un autre pour exécuter à ma place.» Concernant les deux délégations de pouvoir que l’accusé a signées, il affirme qu’elles ont été autorisées par le PDG. Le juge appelle Hassani Mustapha, ex-directeur de la division production qui avait obtenu quatredélégations, ce dernier indique : «Une seule m’a été donnée par Boumedienne et par le PDG.» «Des ordres verbaux pour ne pas faire passer les marchés par le Baosem» Le juge se tourne vers Boumedienne : «Hassani a parlé d’un ordre verbal pour ne pas passer par le Baosem.» L’accusé conteste. Le juge rappelle Hassani, qui explique que cet ordre provenait «probablement» de Boumedienne, «étant donné qu’il était mon prédécesseur à la tête de la division production». Boumedienne ne cesse de répéter que les sept sociétés consultées, dont Contel, avaient été retenues par la commission des marchés et que le PDG l’avait instruit pour étudier les offres. Interrogé sur les enfants de Meziane, l’accusé réplique : «La vie privée du PDG ne m’intéresse pas.» Le juge : «Ils étaient liés aux sociétés. Cela devrait vous intéresser.» L’accusé : «Je ne l’ai su qu’en 2009, lorsque les agents du DRS m’en ont parlé.» Le juge : «Al Smaïl a affirmé que tout le monde savait puisqu’ils étaient portés sur le statut de la société.» L’accusé : «Ce statut a été remis au directeur des affaires juridiques.» Le président appelle Al Smaïl et lui demande si les dirigeants de Sonatrach étaient au courant du lien avec les enfants de Meziane. Al Smaïl répond : «Ils étaient tous au courant, puisque le statut a été déposé.» Le magistrat se tourne vers Boumedienne, qui déclare : «Depuis mars 2005, je n’étais plus le maître d’ouvrage. Le statut a dû être remis au service juridique. Lorsque les agents du DRS m’ont dit qu’ils figuraient dans le statut, je leur avais dit que c’est impossible. Parce que les contrats de performance signés entre les cadres dirigeants de l’activité amont et le PDG interdisent tout lien direct ou indirect avec les partenaires. Même le PDG avait signé un tel contrat.» Boumedienne affirme avoir tenté de vérifier les révélations du DRS : «J’ai parlé avec le directeur de la division juridique et les directeurs de la commission des offres et des études en leur demandant de vérifier si un des Meziane est actionnaire. Ils m’ont confirmé le lien, en me disant qu’ils ne savaient pas qu’il s’agissait de son fils. J’ai été reçu par le ministre qui m’a répété ce que le DRS m’a révélé. A propos des enfants de Meziane, il m’a dit qu’il ne savait pas. Mais pour les marchés de télésurveillance il m’a exprimé son entière responsabilité.» Le juge : «Trouvez-vous normal que les enfants Meziane soient actionnaires ?» L’accusé nie avoir rencontré Al Smaïl, à part une seule fois, lors d’une réunion dans le Sud en présence du directeur de la sécurité interne, sur autorisation du ministre de l’Energie : «C’était après qu’il ait réalisé 90% des installations. Je l’ai vu à Hassi Messaoud, avec mes cadres.» Les pressions du ministre Le président demande à Boumedienne s’il avait donné l’ordre de faire passer les marchés par le Baosem. Il confirme : «Mais tout de suite après j’ai été rappelé à l’ordre par le secrétaire général du ministère de l’Energie, puis par le ministre, qui a transmis une instruction dans laquelle il a écrit : ‘‘Certains responsables s’arguent de la lenteur du Baosem pour retarder la signature du contrat.’’». En fait, révèle-t-il, les marchés avaient été attribués le 16 août 2006, mais la signature a tardé. «J’ai remarqué un écart de 40% plus élevé, nous n’étions pas dans la logique du moins-disant mais plutôt de celle du mieux-disant, par rapport à la technologie.» Le président évoque les pressions subies par Hassani et l’accusé déclare : «Si le directeur de la division production avait eu une délégation de signature et que le marché était resté bloqué, cela m’aurait inquiété. Mais je n’ai jamais compris pourquoi il l’a bloqué. Je pourrais considérer cela comme un chantage…» Le juge s’adresse à Hassani : «Vous aviez évoqué des pressions.» L’accusé : «Nous avions tenu une réunion, à laquelle ont pris part des cadres de Hassi Messaoud, pour faire le point de la situation des marchés. Le projet du CIS avait un retard de deux mois et un autre marché venait d’être accordé. Belkacem Boumedienne m’avait contacté pour me dire de faire vite et de signer le contrat de la base du 24 Février. Je n’ai aucune animosité envers lui.» Boumedienne réplique : «Les contrats de la généralisation des installations ont été signés en 2006. Lorsque nous avions eu le problème de Rhourd Ennous, j’ai été dépêché par le PDG et sur place on m’a fait part de graves informations sécuritaires. Il fallait sécuriser rapidement le site du 24 Février. J’en avais parlé au PDG et il était d’accord pour aller vite.» Le juge évoque un courrier adressé au PDG en juillet 2008, pour lui demander d’accorder la signature d’un contrat de gré à gré, d’un montant de plus de 220 millions de dinars. «Cette lettre est venue après l’accord politique et la demande du maître d’ouvrage. Le PDG a donné son accord. J’assume ma part de responsabilité dans l’envoi de ce courrier», dit-il. Le magistrat l’interroge sur une autre lettre, faisant état d’une délégation de signature et l’accusé répond : «Elle a été faite sur demande du maître d’ouvrage. C’est la direction juridique qui gère les seuils des montants qui définissent l’ordonnateur des délégations de pouvoirs. Le vice-président a un seuil autorisé de signature arrêté à 50 millions de dollars.» «Le contrat de consulting m’a été refusé parce que je me suis présenté en tant que fils du PDG» Le juge appelle les deux frères Meziane Mohamed Réda et Fawzi Meziane, poursuivis pour «organisation d’association de malfaiteurs», «délits de blanchiment d’argent», «participation dans la passation de contrat en violation de la réglementation», «complicité dans dilapidation de denier public», «corruption et trafic d’influence». D’emblée, ils nient tout en bloc. Sur sa relation avec Al Smaïl, Réda dit l’avoir connu à Blida, en 1992, étant son camarade de lycée. «En 1996, j’ai été en France pour poursuivre mes études. En novembre 2003, mon frère m’a appelé d’Alger pour me dire qu’un ancien camarade voulait obtenir mes coordonnées. Quelques jours après, Al Smaïl m’a appelé de France. On s’est rencontrés. Mon père venait d’être nommé à la tête de Sonatrach», dit-il. Selon lui, c’est Al Smaïl, qui l’a convaincu de revenir au pays, en lui proposant de créer, avec lui, une société de transport. En novembre 2004, il l’a contacté pour intercéder auprès de son père, afin de présenter à la compagnie les équipements de télésurveillance. Deux jours plus tard, Al Smaïl a pu accéder à Sonatrach et faire sa présentation.Sur la société, il explique : «Il m’a demandé de ramener les papiers à Alger. Mais je ne pouvais pas me déplacer. J’ai chargé mon frère Fawzi, qui m’a dit qu’il s’agissait d’une cession des parts.» Le juge : «Il vous a demandé d’entrer dans la société ?» L’accusé : «Il m’a demandé de créer avec lui la société de transport. Il m’a expliqué qu’il vaut mieux être dans une société connue que dans une nouvellement créée. L’idée m’a intéressé, mais ça a pris du temps. En juillet 2005, avec mon frère, nous avions créé la société SMTC de transport.» Le juge : «Votre déplacement en Allemagne avec Meghaoui ?» L’accusé nie en bloc. Le juge l’accule. Il déclare : «Ils m’ont obligé à signer sous la menace.» Le juge : «Vous niez tout ?» L’accusé s’énerve, hausse le ton et parle avec des gestes. Le juge : «Vous êtes ici en tant qu’accusé. Vous n’êtes pas le fils du PDG. Vous devez vous calmer.» L’audience est levée. A la reprise, l’accusé s’excuse. «Au mois de juin 2006, j’ai décidé d’aller à Amsterdam avec Meghaoui Yazid, qui m’a été présenté par Al Smaïl. Nous avons fait escale en Belgique. Al Smaïl nous a proposé de le rejoindre en Allemagne, où se déroulait la Coupe du monde de football. Puis nous sommes revenus à Paris. Nous n’avons jamais rencontré les responsables de Funkwerk, comme cela a été rapporté dans les PV.» L’accusé nie avoir été informé des contrats de consulting avec les Allemands. Il confirme les propos rapportés par le DRS sur les PV. Le juge : «En 2007, votre frère Fawzi s’est retiré de Contel et vous, vous avez intégré le holding.» L’accusé : «Mon frère a eu un problème, il s’est retiré. Al Smaïl s’est emporté quand il a su que nous avions créé une société de transport alors que mon frère était toujours à Contel. Nous nous sommes entendus pour monter, avec lui, l’activité de transport dans le holding. Je suis entré comme actionnaire dans le holding.» Revenant sur les contrats de consulting, il confirme avoir révélé les mensualités au DRS et explique : «En avril 2008, on m’en a parlé. J’étais hors de moi parce que je n’avais pas été informé. Al Smaïl savait que j’avais des charges en France. Je ne comprenais pas pourquoi il ne m’avait pas proposé cet argent. Je lui en ai parlé. Le 16 juin 2008, il m’a appelé pour me dire de le rejoindre en Allemagne afin de signer le contrat. Nous nous sommes rencontrés sur place en présence de Ali Benthabet Dorbani (fils d’un ancien colonel du DRS actionnaire dans les filiales du holding, ndlr), Al Smaïl, moi et deux Allemands. Nous avions discuté et l’un des Allemands a refusé de me signer le contrat. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que je me suis présenté en tant que fils du PDG.» Le juge : «Est-ce normal ?» L’accusé : «Si j’étais un employé de Shlumberger en France, devrais-je démissionner parce que la société travaille avec Sonatrach ?» Le juge : «Oui, pour protéger votre père.» Il lui demande si les Allemands lui ont proposé de mettre un autre nom, et l’accusé confirme, en précisant avoir refusé l’offre. Il revient sur le voyage en Allemagne, le 17 juin 2008, avec Yazid Meghaoui. «Je me suis demandé pourquoi m’avoir fait déplacer jusqu’en Allemagne pour obtenir un refus.» Le juge l’interroge sur la présence de contrats dans le bureau d’Al Smaïl, rédigés mais non signés. L’accusé affirme n’être pas au courant mais qu’il avait demandé à Al Smaïl de voire le contenu des clauses de son contrat à lui. Sur l’appartement acheté en France, au nom de Mme Meziane, au prix de 650 000 euros, payés par Al Smaïl, il déclare qu’en 2008, sa mère lui avait demandé un appartement pour être à l’aise. «Certes, elle était prise en charge par Europ Assistance, mais à l’hôtel, elle n’était pas à l’aise. J’ai demandé à Al Smaïl de m’aider.Il l’a fait et le notaire lui a demandé de rédiger une reconnaissance de dette», dit-il. Sur l’origine de l’argent, il dit l’ignorer. «Au mois de décembre, il m’a demandé de rembourser pour créer sa société. Je lui ai revendu mes 450 actions dans le holding et je me suis retiré.» L’accusé déclare que son père ignorait que son frère et lui avaient des liens avec la société jusqu’en janvier 2009, lorsqu’il l’en a informé. De même qu’il ignorait, dit-il, l’achat de l’appartement, qu’il aurait caché par respect de la volonté de sa mère. Il exprime son «étonnement» quant aux propos d’Al Smaïl concernant les 10 000 euros remis à son père : «C’est moi qui ai demandé 10 000 euros et non mon père. Et je les ai remboursés.» Le juge appelle Fawzi Meziane à la barre poursuivi pour les mêmes faits que son frère. De 1995 jusqu’en 2007, il exercait en tant que cadre informatique à Sonatrach. Son premier contact avec Al Smaïl était en novembre 2004, deux mois après l’installation de son père. Il cherchait les coordonnées de son frère. Il tient les mêmes propos que son frère. Le juge : «En 2007, vous étiez à Sonatrach ? » L’accusé : «Oui, mais la loi interdit le cumul de fonctions pas l’actionariat. J’ai une famille. Je ne pouvais pas quitter mon travail... Mon père n’était même pas au courant.» A propos des contrats de consulting, l’accusé révèle qu’il en a pris connaissance qu’en 2008. Pour lui, ces contrats étaient «une énigme»...    


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