Le président de l’Association des concessionnaires automobiles accuse



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Sefiane Hasnaoui est le président de l’Association des concessionnaires automobiles algériens (AC2A). Il est également le patron de Nissan Algérie. Dans cet entretien, il s’exprime sur le blocage des importations de véhicules, la situation du marché automobile, les grandes manœuvres dans la distribution et la fabrication automobiles.

Les importations de véhicules ont été bloquées pendant plusieurs mois en 2015 et elles sont gelées depuis janvier. Quel est l’impact sur les concessionnaires automobiles ?

Je voudrais faire un petit rappel historique avant de répondre à cette question. Le secteur de l’automobile est un segment de notre économie qui a permis une certaine stabilité à travers la traçabilité. C’est un segment créateur d’emplois sur l’ensemble du territoire national. C’est également l’un des plus grands collecteurs d’impôts pour l’État. Pour ce qui s’est passé en 2015, je ne veux pas jeter la pierre ni au ministre de l’Industrie, ni à tout autre représentant du gouvernement. Je comprends qu’il ne soit pas aisé de changer de normes ou de réglementation et de pouvoir contenter l’ensemble des acteurs dans un environnement compliqué et difficile. Cela étant dit, il est de ma responsabilité en tant que président de l’association de rappeler que 2015 a été pour beaucoup d’opérateurs une année blanche. Les importations ont été bloquées depuis le mois de mars. Dès lors que vous ne pouvez plus importer de véhicules, votre structure économique est mise en danger.

Quelles sont les conséquences de ces mesures sur les concessionnaires ?

De nouvelles règles ont été instaurées après la promulgation du cahier des charges. Bien entendu, un délai d’adaptation, qui est peut-être variable en fonction des marques, est nécessaire. Evidemment, cela n’est pas de la responsabilité du gouvernement ou de l’administration. Mais il est de la responsabilité des pouvoirs publics de mettre à niveau leur capacité opérationnelle afin de pouvoir répondre dans les délais à la mise en conformité des véhicules en termes d’homologation mais aussi du processus de renouvellement d’agrément. Aujourd’hui, plusieurs centaines de véhicules sont en attente d’homologation. Donc, il est tout à fait légitime de se demander si l’administration a cette capacité opérationnelle.

L’administration a-t-elle cette capacité opérationnelle ?

L’organisation, qui existait, permettait de répondre à une vingtaine, trentaine ou une quarantaine de demandes d’homologation par an. Sauf qu’aujourd’hui, vous devez homologuer l’ensemble des modèles des marques (disponibles) en Algérie. Il s’agit d’un millier de modèles. Cette année blanche est aussi liée à cette question. On ne veut pas jeter la pierre à l’administration. Celle-ci fait avec ses capacités et ses moyens. Mais c’est de notre devoir d’alerter et d’aider à la mise à niveau.  Il est nécessaire d’avoir un système qui soit en adéquation avec la demande. La solution est de travailler en toute transparence et en partenariat.

Y-a-t-il un manque de transparence ?

Non, il n’y a pas un manque de transparence. L’administration doit être en phase avec les règles dictées par les lois et règlements de ce pays et par un certain nombre de process. Elle n’a ni la légitimité, ni le droit d’aller au-delà de ces process. C’est à nous de s’y adapter. Et on est là pour les aider. Cette transparence doit s’instaurer par la mise en place d’ateliers opérationnels qui nous permettent d’accélérer (les choses). Les pouvoirs publics ne sont pas opposés à cette idée, mais il convient aussi d’accélérer cette décision.

Les concessionnaires sont-ils traités sur le même pied d’égalité ?

Le ministère de l’Industrie ou toute autre institution ne sont pas responsables de la capacité de chaque marque à s’adapter à la réglementation. Si certaines marques françaises, allemandes, italiennes ou japonaises ont eu la capacité de s’adapter rapidement au cahier des charges et d’être en phase avec la réglementation, je ne pense pas qu’elles aient été privilégiées. C’est important de souligner cela. Je vous parle en toute honnêteté.

Les marques françaises sont-elles favorisées ?

Honnêtement, je pense que les marques françaises ne sont pas favorisées de manière systématique. Les marques européennes en général dont les marques françaises ont eu la capacité de s’adapter plus rapidement au cahier des charges. Les entreprises françaises ont une parfaite compréhension de l’environnement économique algérien. Il y a une proximité géographique, diplomatique, historique. Elles ont beaucoup plus de facilités à comprendre l’environnement de notre économie qu’une entreprise japonaise ou sud-coréenne qui est beaucoup plus en décalage. Ensuite, il y a la compréhension de la langue qui joue un rôle important. Est-ce qu’il y a une décision politique affichée et assumée (consistant à favoriser ces entreprises, NDLR) ? Non, je ne le pense pas.

Est-ce que les projets de montage de véhicules sont bénéfiques pour l’Algérie ?

Quand on prend en compte les volumes annoncés concernant les projets industriels, on a l’impression que l’Algérie deviendra l’un des plus grands producteurs mondiaux d’automobile. Avoir une ambition industrielle est une très bonne chose car l’industrie est l’un des axes importants qui permettra de pérenniser notre économie et de créer de la valeur ajoutée. Mais l’industrie automobile n’a de la valeur que par la création de filières en amont. Donc dès lors que vous avez une vision industrielle et économique, même si vous commencez par une industrie basique, ce serait bénéfique. Sauf qu’il faut savoir raison garder. Quand on entend parler de projets industriels avec des volumes supérieurs à la capacité du pays, on se pose des questions.

Quelles sont ces questions ?

Les volumes doivent correspondre au marché. On ne peut empiler des volumes comme on empile des livres dans une bibliothèque. Si vous produisez 200.000 véhicules pour un marché de 10.000, cela pose un problème. Vous pouvez me dire qu’il y a des velléités d’exportation. Sauf que pour le faire, l’intégration locale par exemple doit être supérieure à 50% pour que nos produits soient compétitifs. On pourra parler d’exportation quand on sera capables de produire le pare-choc, le vitrage, le moteur et d’autres éléments. Nous avons annoncé un projet avec Nissan, mais pas avec les mêmes volumes. Nous pensons qu’il faut être raisonnable.

En quoi consiste ce projet avec Nissan ?

Nous avons un certain nombre d’axes de développement. Le premier est de se mettre en conformité avec la Loi de finances 2014 (qui oblige les concessionnaires à investir dans l’industrie automobile). Nous sommes en phase de création des investissements industriels ou semi-industriels liés à l’activité automobile. Sans donner trop de détails parce qu’on est en phase de création des entités, je peux vous dire que nous serons notamment dans les filières structurantes de la sous-traitance automobile. Le second axe est lié à la fabrication des pièces de rechange. Parallèlement à cela, nous avons effectivement engagé des discussions avec notre partenaire Nissan d’une part et le ministère de l’Industrie d’une autre part qui accueille très favorablement notre approche afin de pouvoir engager un investissement industriel dans une ligne d’assemblage de véhicules Nissan.

Quelle sera la capacité de votre usine ?

Les volumes sont en phase de maturation mais dans un premier temps, ils seront en phase avec le marché et la réalité de la part de marché de Nissan. Probablement, on visera l’exportation dans un second temps. Mais les conditions internes et externes, industrielles et d’un point de vue réglementaire devront être réunies. Je rappelle que les droits de douane des intrants restent élevés aujourd’hui. Il va falloir assumer soit une baisse des droits de douane, soit la mise en place de zones franches industrielles afin d’assurer une compétitivité. Le ministère de l’Industrie a écouté avec beaucoup d’intérêts ces éléments et il est prêt à mettre une équipe de travail dans ce sens avec les opérateurs.

Comment expliquez-vous le retard accusé dans la publication du cahier des charges relatif à l’investissement dans l’automobile ?

À priori, il sera publié au mois de mars selon le ministère de l’Industrie. Au-delà des aspects techniques, il y a les aspects réglementaires. Comment par exemple imposer 40 ou 50% d’intégration locale alors que les droit de douane des intrants sont supérieurs aux droits de douane des produits finis. Il faut être cohérent et pragmatique. Si vous voulez développer une structure industrielle de sous-traitance, les intrants ne doivent pas coûter plus chers qu’un produit fini. C’est pour cette raison que je préconise la création de zones franches qui permettraient aux opérateurs, sous certaines conditions très strictes, de bénéficier de plus-values en termes d’exonérations de droit de douane. Aujourd’hui, le cahier des charges prend du temps afin qu’il soit agrégé à un cadre réglementaire qui soit cohérent.

Des opérateurs ont d’ores et déjà lancé des projets avant la publication de ce cahier des charges. D’autres seront soumis aux nouvelles conditions. Est-ce qu’il y a un risque de discrimination ?

Non, je ne pense pas. D’abord, le cahier des charges ne concerne pas que l’automobile mais l’industrie mécanique en général. Dans l’automobile, il y a deux phénomènes à prendre en compte. La négociation entre le ministère de l’Industrie et un opérateur économique dans un cadre bien défini pour n’importe quel projet industriel en Algérie. Cela a été engagé par Renault, ensuite par Peugeot comme on a pu le lire et puis un certain nombre d’opérateurs ont suivi cette dynamique. Nous avons opté pour une politique de licences et de quotas (pour l’importation des véhicules destinés à la revente en état). Cela veut dire que le volume alloué au marché global algérien (importation) aura tendance à diminuer. Pour n’importe quel opérateur économique dans l’automobile qui souhaite protéger ou améliorer sa part de marché, un projet industriel est fondamental. Sinon, il sera naturellement exclu de ce marché.

Des constructeurs ont décidé de multiplier les distributeurs pour bénéficier de plusieurs quotas. Quel est le risque pour l’activité automobile ?

Aujourd’hui, il y a un risque de paupérisation dans le secteur de l’automobile en Algérie et de remise en question de l’ambition industrielle. Éprouvant une certaine difficulté de compréhension d’un certain nombre de textes, de grands fabricants feront une analyse tronquée quant à l’intérêt de développer une industrie automobile en Algérie où ils verront un marché d’opportunités sans (nécessité) d’investissements réels. Aujourd’hui, je me pose des questions sur certains acteurs inconnus qui ont un capital social limité, une centaine d’employés et qui existent depuis quelques mois ou années et qui se découvrent une capacité industrielle automobile.  On va vers une paupérisation et c’est le client qui va payer.

Comment le client va-t-il payer le prix ?

Si vous achetez votre véhicule chez un distributeur X et vous le réparez chez le distributeur Y (de la même marque), comment la garantie va-t-elle s’opérer ? C’est important. Je pense que ce risque de paupérisation est très important. On découvre aussi que certains opérateurs dans le domaine de l’automobile veulent collectionner les marques. Prenez le cas de Cevital. Est-ce qu’en s’étendant avec d’autres marques, ce groupe va récréer un autre monopole dans le domaine automobile ? Les déclarations de M. Rebrab (Omar) me font me poser des questions.

De quelles déclarations s’agit-il ?

En fait, nous avons deux éléments. D’abord, il s’agit des déclarations (de M. Rebrab) reprises par la presse et à travers lesquelles, il explique qu’il souhaite jouer un rôle d’intégration industrielle pour l’ensemble des marques. Ensuite, il s’agit d’informations que nous avons obtenues et selon lesquelles le groupe Cevital approche un certain nombre de marques (quatre ou cinq) afin de solliciter une représentation dans le cadre de développement d’une représentation multimarques.

Est-ce que vous soupçonnez Cevital de vouloir distribuer Nissan ?

Nissan fait partie de ces marques (que Cévital veut distribuer, NDLR). Mais elle n’est pas la seule. Il s’agit notamment de Ford, de Fiat, et un certain nombre de marques qui sont distribuées en Algérie de manière indépendante.

Cevital n’est pas le seul groupe qui voudrait multiplier les marques. Tahkout est devenu depuis quelques jours le deuxième distributeur des marques Chevrolet et Opel ?

En effet, le groupe Tahkout a pris General Motors qui a deux marques Chevrolet et Opel. On est dans un risque de multi-distributeurs et donc de paupérisation de la distribution. En tant que président de l’AC2A, je m’inquiète sur la couverture en termes d’après-vente et de suivi de la garantie.

Quelle est votre position concernant la note de l’Association des banques et des établissements financiers (Abef) autorisant des personnes physiques ou morales à importer des véhicules pour leurs propres besoins sans licence ?

D’abord, l’interdiction des importations depuis janvier 2016 est légitime. Elle est parfaitement en phase avec la réglementation des licences et elle est tout à fait logique. Ensuite l’autorité de tutelle (ministère de l’Industrie) a autorisé les importations directes (de véhicules) pour les besoins de fonctionnement d’une entité et non pour la revente en état. Dès lors qu’on a autorisé ce type de processus, il est tout à fait légitime que l’Abef cautionne. Cela étant dit, cette mesure, prise dans la précipitation pour répondre à des besoins immédiats sans tenir compte des risques et des dérives, est malheureuse. Elle ne favorise pas l’investissement et la création de richesse en Algérie. Par contre, elle favorise le risque de transfert de richesses à l’étranger.

Comment ?

Est-il plus rentable aujourd’hui d’ouvrir un bureau à Dubaï par exemple pour exporter un produit qui ne correspond pas au cahier des charges et donc sans aucune restriction à un client final plutôt que d’avoir des obligations d’investissements. Prenez mon cas. Nissan (Algérie) a 300 employés et une cinquantaine de points de vente. Tout cela a un coût et des contraintes réglementaires. Si Nissan Algérie bis existerait à Dubaï, je ne serai pas dans l’obligation de me conformer à la réglementation d’une société algérienne et je pourrais opérer sans contraintes. (Cette mesure) n’est pas légitime et elle doit être amendée.

Quels sont les critères que le gouvernement devrait prendre en compte dans la distribution des licences d’importation ?

Certains éléments font partie des textes réglementaires et ont déjà été évoqués par le gouvernement. En ce qui nous concerne, nous avons mis en avant un certain nombre de critères. Le premier est celui de la vente car il est beaucoup plus réaliste et sain de prendre en compte la part réelle de marché (de chaque opérateur, NDLR). Pour pouvoir la calculer, il convient de prendre en compte les trois dernières années excluant l’année 2015 qui a été perturbée. Le second critère est de ne prendre en compte que l’entreprise dédiée à l’automobile (et non le groupe auquel elle appartient), sa contribution en termes d’impôts, le nombre d’emplois crées dans la filière. Le troisième critère est l’investissement lié à l’activité. Il s’agit des succursales, du réseau de distribution, des représentations après-vente ou d’investissement dans la filiale industrielle.

Est-ce que le gouvernement aurait dû prendre d’autres mesures dont l’augmentation des taxes par exemple au lieu de bloquer l’importation ?

Ce qui est certain est qu’une véritable concertation avec les pouvoirs publics est fondamentale et nécessaire dans l’intérêt général. Les concertations n’étaient pas suffisamment poussées avec l’ensemble des services concernés. Tout cela a induit un certain nombre de risques dans le secteur de l’automobile et une année blanche. D’ailleurs, on est bien parti pour faire un semestre (2016) tout aussi blanc. Quelle entreprise pourrait survivre aujourd’hui dans le monde en ne travaillant pas durant dix-huit mois ?

Y a-t-il une pénurie de véhicules actuellement en Algérie ?

Bien sûr ! Des clients qui lancent des appels d’offres se plaignent de ne pas avoir suffisamment de participations et ce malgré la réduction drastique des appels d’offres. On a une pénurie de voitures, de camions et d’engins. J’ajoute que la pénurie de véhicule de tourisme est moins grave que celle d’un outil fondamental à la dynamisation de l’économie. Encore une fois, on s’étonne qu’un certain nombre d’opérateurs économiques veuillent aujourd’hui intégrer l’industrie automobile. Des opérateurs qui existent depuis 20 ou 30 ans qui paient des impôts, qui ont contribué à l’essor de l’économie nationale, se retrouvent dans des situations difficiles et compliquées.

Quel est l’avenir de l’automobile (distribution) en Algérie ?

Je pense que nous allons de manière quasi-irrémédiable vers un éclatement de la distribution automobile en Algérie avec un appauvrissement profond des opérateurs mais aussi du segment. Vous aurez une médiocrité dans la distribution et peut-être des dérives. Ma crainte est l’utilisation de ce secteur pour le blanchiment d’argent. Le secteur de l’automobile est un axe privilégié pour un certain nombre d’opérateurs qui ont fait beaucoup d’argent dans les années 2000 de manière pas toujours légale.

Pourquoi éprouvez-vous cette crainte puisque l’importation de véhicules devient de plus en plus compliquée ?

Vous réfléchissez de manière logique et mesurée. Sauf que quand on parle de blanchiment d’argent,  il n’y a pas de logique économique ou financière. Il y a une volonté d’intégrer dans le circuit officiel d’une somme et d’en retirer une autre. J’ai des informations dont je ne peux pas dévoiler les tenants et les aboutissants. Il faut que les pouvoirs publics prennent en compte ce risque.

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