Bouteflika face à ses promesses



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C’est loin d’être une journée historique. L’adoption de la réforme constitutionnelle, hier, par le Parlement réuni en congrès au Palais des nations n’a été qu’une simple formalité juridique. Le message du président de la République envoyé aux parlementaires est rempli de professions de foi et de promesses. Une ultime opération de marketing pour convaincre des «avancées démocratiques et constitutionnelles» d’une réforme qui, a priori, souffre d’un manque évident d’adhésion large des courants politiques et opinons. En dehors des deux partis de la coalition gouvernementale – une majorité numérique – la nouvelle charte fondamentale a rencontré une résistance quasi massive des partis de l’opposition et autres acteurs politiques et sociaux les plus en vue. Le message du chef de l’Etat a beau affirmer que le pays «vient d’écrire une nouvelle page de son histoire politique et constitutionnelle», la «nouvelle» Constitution s’apparente plus à une opération préparant la prochaine étape politique. La succession. Car toutes les manœuvres qui ont agité le sérail post-quatrième mandat convergent à la réunion des conditions d’une «reconquête» des pouvoirs par de nouveaux acteurs issus des différentes «familles» régnantes. Certes lancé à la hussarde et sous la pression d’un environnement régional insurrectionnel en 2011, le texte approuvé par le congrès du Parlement, hier, est devenu cinq années après une escale pour apporter des réaménagements internes aux multiples embarras et complications de la maison du pouvoir. Les journées qui ont suivi l’annonce du projet de révision ont été marquées par une polémique opposant les partis du pouvoir. C’est dire, si besoin est, que la conjoncture révèle des batailles tactiques qui laissent entrevoir une guerre de position à l’intérieur même du pouvoir. Ce qui a fait dire à nombre d’observateurs que la réforme de la Loi fondamentale est «une affaire des gens au pouvoir». D’autant que les propositions venues de «l’extérieur» sont balayées d’un revers de main. Les multiples appels et propositions venus des divers partis et personnalités de poids de l’opposition – pourtant enclins à forger un compromis historique – n’ont rencontré que rejet, stigmatisation et diabolisation de la part des tenants du pouvoir. C’est dire que la volonté d’en finir avec un système crisogène ne figure ni dans l’agenda du pouvoir ni dans ses préoccupations majeures. Ils n’admettent surtout pas que l’initiative politique vienne en dehors des règles qu’ils fixent eux-mêmes. Le pouvoir de Bouteflika ne laisse aux acteurs politiques et sociaux en désaccord qu’une marge d’action étroite. C’est l’esprit même de la nouvelle réforme constitutionnelle. L’opposition dans ses différentes composantes n’est conviée qu’à figurer, sinon à approuver une démarche politique dont les tenants et les aboutissants sont fixés préalablement par le Palais. Ahmed Ouyahia lui-même l’a souvent et clairement assumé. «Le pouvoir ne va pas tout de même pas s’asseoir à la même table et avoir le même siège que les autres partis», ne cesse-t-il de marteler. «Ligne Maginot» Le chef de l’Etat qui, dans son message, se veut «consensuel» en assurant que le projet de révision constitutionnelle avait besoin de «recueillir le plus large consensus possible en vue d’apporter les réponses adéquates aux différentes attentes», a récolté au final un boycott massif de l’opposition. De nombreux intervenants dans le débat public parlent d’une «Constitution de régime et non pas celle d’un Etat». Il est évident que la «ligne Maginot» qui sépare le pouvoir et l’opposition rend difficile toute possibilité de rapprochement de positions. Les tentatives lancées, entre autres, par le FFS en vue de «la reconstruction d’un nouveau consensus», les appels incessants d’un Mouloud Hamrouche pour un «nouveau consensus», qui pourtant garantissent un changement sans heurt, mais graduel et ordonné, ont été battus en brèche par les tenants du statu quo. La profonde divergence dans l’analyse de la crise, dans la conception de l’Etat et surtout dans la marche à suivre pour sortir le pays de son impasse historique aggrave irrémédiablement les clivages. L’équipe dirigeante, dont le souci permanent est de se maintenir vaille que vaille au pouvoir, s’enferme dans la logique «d’évolution» lente du système, synonyme d’un statu quo périlleux pour le pays. Pas de rupture. En face, l’opposition, qui s’affaire à ressouder ses rangs, considère à juste titre que le système politique algérien en vigueur depuis l’indépendance est «finissant, à bout de souffle, incapable de se réformer». Elle milite pour l’avènement d’un nouveau régime politique fondé véritablement sur les valeurs de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés. Une revendication qui passerait non pas par une élection ou une replâtrage de l’architecture institutionnelle, mais par la négociation d’un nouveau contrat politique national. Les processus électoralistes organisés dans le cadre d’un Etat autoritaire, où le champ du non-droit prend le pas sur le champ légal, ont vidé la démocratie formelle de toute substance. Les différentes réformes constitutionnelles – souvent produits de conjoncture et d’urgence – n’ont pas pris en charge la vraie crise. Celle d’un système de pouvoir qui a lamentablement échoué dans la construction de l’Etat rêvé par les pères fondateurs. «L’Etat algérien sera un Etat démocratique ou il ne survivra pas», a réitéré Mouloud Hamrocuhe en célébrant le combat de Hocine Aït Ahmed. Manifestement, la réforme constitutionnelle votée hier n’a pas cette ambition. Une autre occasion manquée.


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