«Les entreprises ne donnent pas un signal fort du lien entre production et emploi»



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Comment répondre aux exigences du marché du travail et assurer l’équilibre entre offre et demande ? Les données statistiques disponibles et accessibles ne permettent pas d’établir un diagnostic précis : les données d’enquêtes par sondage sont trop fluctuantes sur le CT et les données administratives sont parfois lissées et incohérentes avec les données d’enquêtes. Le SNIS ne permet pas d’aider à l’élaboration des politiques conjoncturelles du fait de la faiblesse des données infra-annuelles. Le suivi des sortants du système éducation-formation devrait figurer parmi les priorités en matière de travaux statistiques. Il y a lieu de réfléchir sur le bon dosage à faire entre formation initiale et formation continue, d’une part, et aux mécanismes à mettre en œuvre pour que la formation initiale réponde à un minimum d’exigence du marché du travail. En effet, la formation et l’enseignement professionnels se sont complètement détachés institutionnellement du monde du travail, et l’Algérie a abandonné l’option de planification centralisée sans pour autant qu’il y ait un véritable marché de la formation puisque c’est toujours le secteur public qui est prédominant. La demande de travail est quasiment non étudiée car non documentée, même si l’ANEM en donne une photographie à travers les offres d’emploi reçues. L’existence d’une forte segmentation du marché du travail, c’est-à-dire les profils des emplois et de la main-d’œuvre sont fortement différenciés selon les secteurs institutionnels. C’est l’administration et le secteur public qui recrutent les diplômés de l’université et de la formation professionnelle parce c’est bien là qu’on retrouve le plus de postes d’encadrement, intermédiaires ou administratifs. Or, il s’avère que ces dernières années c’est plus le secteur privé dans ses différentes composantes (formel et informel) qui crée de l’emploi. Le secteur privé recrute essentiellement un personnel d’exécution (ouvriers qualifiés, main-d’œuvre non qualifiée ou des employés de services et commerce). Il y a une crise de recrutement des professions intermédiaires (techniciens et maîtrise) et de personnel administratif puisque leurs recruteurs sont l’administration et les entreprises publiques. Le même problème est rencontré pour les professions intellectuelles et scientifiques. Quel est le rôle justement pour les entreprises dans ce cadre ? Les entreprises, qui sont le cœur de l’économie, ne donnent pas un signal fort du lien entre production et emploi. En effet, quel a été l’impact de la baisse de la production des hydrocarbures depuis plusieurs années consécutives sur l’emploi dans le secteur ? Comment se fait l’ajustement ? Sur les quantités (emploi, durée de travail) ou sur les prix (salaires) ? En fait, le très grand différentiel en termes de productivité apparente du travail entre ce secteur et le reste de l’économie inhibe tout impact. Quel a été l’impact de la forte croissance continue de la production d’énergie sur l’emploi dans ce secteur ? Nous pouvons ainsi multiplier les exemples. Quid de l’ajustement dans le secteur du BTP qui fait le plus appel à une main-d’œuvre étrangère, y compris informelle (migrants subsahariens) ? La forte dépendance de notre système productif de l’étranger tant pour ses équipements que pour ses consommations productives le rend très vulnérable aux chocs extérieurs. Si la baisse des niveaux des importations s’impose à nous, il faudrait en minimiser l’effet sur les entreprises productrices. D’un autre côté, les entreprises algériennes devraient s’orienter vers plus d’intégration entre elles à travers une véritable stratégie industrielle d’organisation et de développement des différentes filières. Le slogan «Consommons algérien» ne devrait s’adresser qu’aux consommateurs finaux que nous sommes, mais aussi et surtout aux entreprises, tant pour leurs équipements que pour leurs consommations intermédiaires (input), voire même à l’expertise nationale (universités et centres de recherche) en matière de recherche-développement. Quel serait l’effet de la conjoncture actuelle  sur le marché du travail ? La crise va avoir probablement un effet sur l’ensemble des secteurs qui ont connu des fortes croissances durant l’embellie financière des années 2000 : le commerce informel, prolongement naturel du secteur importateur de biens de consommation finale, l’administration publique (sécurité, éducation, santé), mais aussi sur le secteur du BTP qui a été boosté par la dépense publique à travers la réalisation de grandes infrastructures. Le BTP a été le principal pourvoyeur d’emplois pour les jeunes ruraux et les exclus du système éducatif. C’est pourquoi il ne faudrait pas que ce secteur prioritaire soit sacrifié en cette période de crise, sachant que la demande sociale en matière de logements et d’infrastructures est très importante. Les institutions financières et bancaires sont appelées à faire plus d’efforts pour capter l’épargne des ménages et la réinjecter dans le circuit économique plutôt que de compter uniquement sur les fonds publics. Les coupes budgétaires que vont connaître les administrations publiques ne vont probablement pas impacter frontalement la masse salariale globale nominale, mais vont plus se répercuter sur les budgets d’équipements. C’est pourquoi il y a lieu  de mettre en place une véritable stratégie visant à augmenter la durée de vie des équipements acquis avant la crise et les rentabiliser au maximum. Il faudrait donc former et recruter un personnel qualifié en matière d’entretien et de maintenance des équipements techniques, informatiques et de communication, du parc roulant et des bâtiments et autres infrastructures. Les ajustements sur les salaires vont se faire par une perte de pouvoir d’achat à travers l’augmentation des prix à la consommation dans la mesure où les salaires nominaux sont rigides. L’autre effet attendu est la remise en cause de la permanisation, amorcée depuis peu, des personnels contractuels en particulier les moins qualifiés, la baisse de la croissance des recrutements et l’accélération des mises à la retraite. Il faut savoir que la masse salariale globale de l’ensemble des administrations publiques est nettement supérieure aux recettes provenant de la fiscalité ordinaire. La contrepartie attendue serait un meilleur service public tant pour la population que pour les entreprises si on veut avoir un retour sur investissement. Comment faire en sorte que nos administrations tant centrales que locales, ainsi que nos institutions éducatives et sanitaires soient au service du développement de notre capital humain, économique et environnemental ?   Les changements concernant le fonctionnement réel du marché du travail que nous avons observés sur les 30 dernières années et ceux à venir posent le problème de la nécessaire adaptation institutionnelle pour corriger les dysfonctionnements, et l’emploi informel en est un. La coexistence de deux segments du marché du travail fonctionnant selon des normes différentes, les unes formelles et les autres informelles, relève-t-elle de la normalité en période de transition économique ou d’un phénomène d’exclusion d’une frange des acteurs sociaux (les plus jeunes, les moins instruits, les femmes, les ruraux) ? Force est d’admettre que l’examen minutieux de l’évolution de l’emploi sur une longue période nous fait plus pencher vers la deuxième explication et ainsi de poser en conséquence la question de qui porte la voix de ces exclus ? Sont-ils représentés à la tripartite ? Cette question nous semble tout à fait pertinente, d’autant plus qu’il y est question des «insiders», ceux qui sont dans le secteur formel (administration, public économique et le privé formel). Peut-on atteindre les équilibres sociaux et macro-économiques escomptés en omettant plus de la moitié de la population active ? L’exclusion sociale est ainsi une réalité observable sur le marché du travail. Les «outsiders» s’organisent pour survivre à la limite des frontières du formel. En fait, au-delà des discours sur l’informel, aucune action concrète n’a été mise en œuvre pour protéger les travailleurs de l’informel, notamment dans ses formes légitimes, légales et licites. La baisse de l’emploi informel, enclenchée ces dernières années, risque d’être remise en cause par la crise actuelle si des solutions idoines ne sont pas très vite mises en œuvre. Autre changement remarquable dans les catégories socioprofessionnelles, la baisse continue de la part des ouvriers. Cette baisse est liée à la baisse de la part du secteur industriel dans la création d’emplois. En contrepartie, nous notons l’augmentation des catégories d’employés et de cadres moyens et supérieurs. Alors que des questions de fond sur les mécanismes de redistribution des fruits de la croissance sont occultées au profit d’un seul système, celui de la redistribution de la rente. Comment est redistribuée la croissance hors hydrocarbures entre salaires et profit ? Force est de constater que la part de la rémunération des salariés dont le revenu des ménages ne cesse de diminuer au profit de celle des non-salariés qui ont un revenu mixte (profit, plus rémunération du travail non salarié). D’un autre côté, la part des salaires dans la valeur ajoutée (donc de la richesse créée) est faible. Ce qui nous pousse à affirmer que l’informalité n’est pas due aux coûts excessifs de la main-d’œuvre et donc au coût de la légalité. Or, la nouvelle politique de l’emploi qui consiste à prendre en charge une partie des coûts salariaux pour les nouvelles recrues suppose implicitement que la demande de travail de la part des employeurs est faible du fait des coûts supposés excessifs du facteur travail. Quelle alternative face à une telle situation ? La situation actuelle sur le marché du travail algérien interpelle l’ensemble des acteurs sociaux et nécessite l’ouverture d’un vaste débat sans exclusive. En effet, nul ne doit ignorer son fonctionnement à deux vitesses : un secteur formel régi par des normes et une législation du travail et un secteur informel en marge de la légalité tel que spécifié par le code du travail entre autres. Toute réforme systémique et institutionnelle s’inscrit automatiquement dans la durée et ne saurait donc obéir à des considérations conjoncturelles. Pour ce faire, la communauté des chercheurs est particulièrement interpellée pour éclairer le débat public. Faudrait-il que cette réflexion puisse être alimentée par des données fiables et relayées par les médias et la société civile !   


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