«La rentrée sociale se fera sous le signe des luttes unitaires»



...

Dans cet entretien, le secrétaire général du PST qualifie les dernières lois du gouvernement relatives au remodelage du code électoral et au système des retraites, ainsi que la multiplication des atteintes aux libertés démocratiques, de la presse et d’organisation, de «dérives autoritaires». Pour lui, elles participent d’une escalade qui «intervient dans un contexte de crise de succession à la tête du régime». Rencontré en marge de la tenue de l’université d’été du PST à Aokas (Béjaïa), Mahmoud Rechidi invite à une convergence des luttes et à travailler «patiemment» pour l’éveil des consciences et au dépassement du corporatisme.   On assiste depuis quelque temps à une multiplication des actes de répression et d’atteinte à la libre expression dans le pays, où la presse indépendante est particulièrement ciblée. Comment peut-on qualifier ce verrouillage du champ des libertés démocratiques ? La répression et les atteintes aux libertés démocratiques auxquelles nous assistons ces derniers temps constituent une escalade supplémentaire dans la dérive autoritaire qui a marqué tout le règne du régime «monarchique» de Bouteflika. Cette escalade intervient dans un contexte de crise de succession à la tête du régime et de luttes ouvertes entre les différentes factions du pouvoir, exacerbées par l’approche des échéances électorales de 2017. La presse qui permet encore l’expression de positions politiques diverses en paye le prix. Mais, sur le plan économique, le contexte est marqué par la chute des prix du pétrole et son instrumentalisation outrancière pour accélérer la mise en œuvre du programme libéral. C’est tout un nouvel arsenal juridique qui est mis en branle pour faire payer la crise aux travailleurs et aux couches populaires. Pour le pouvoir, la remise en cause de nos acquis sociaux passe par la remise en cause de nos acquis démocratiques. Il faut se rappeler que depuis la répression sanglante de 2001 et l’interdiction du droit de manifester, nous avons assisté à la mise en place de dispositifs administratifs et juridiques entravant l’exercice effectif des libertés démocratiques dans notre pays. Les quelques acquis démocratiques arrachés de haute lutte par la jeunesse d’Octobre 1988 ont été réduits et remis en cause. Les droits et les libertés d’expression, d’organisation, de manifestation, de grève, etc. n’existent que dans les textes. Sinon, leur exercice est tributaire du bon vouloir de l’administration ou du rapport de forces qu’imposent les mobilisations et les luttes démocratiques et sociales. En revanche, la nouvelle classe de la bourgeoisie algérienne, ces oligarques et autres prédateurs, qui accaparent de plus en plus le centre de la décision politique, bénéficient de tous les droits et des libertés de piller notre économie et d’amasser des fortunes qu’ils placent aussitôt dans les paradis fiscaux et chez leurs amis et complices des puissances impérialistes.        La répression s’accompagne par l’adoption en peu de temps de lois restrictives, à l’exemple des nouvelles dispositions apportées au code électoral. Peut-on aller jusqu’à parler de dérive autoritaire ? Evidemment, il y a dérive autoritaire. Ce que vous appelez lois restrictives participe de cette escalade qui traduit, dans ce contexte, une volonté de mettre les bouchées doubles afin de parer à toute mauvaise surprise aux élections de 2017, qui constituent un enjeu majeur dans les préparatifs de la succession, anticipée ou pas, de Bouteflika. Mais cette escalade cache mal une situation d’incertitude et de contradiction dans laquelle se trouve le régime. Contrairement à ses promesses de réformes démocratiques proclamées lors de l’amendement de la Constitution, le pouvoir s’est empressé d’imposer la pire des lois électorales depuis l’époque du parti unique. L’exigence d’un seuil minimal de 4% aux élections de 2012, sous lequel les partis politiques doivent rassembler des milliers de signatures, est une négation du multipartisme. Cette disposition contredit non seulement un principe de droit, puisqu’elle est imposée avec effet rétroactif, mais elle piétine aussi la Constitution et la souveraineté du peuple algérien du moment qu’elle recompose le champ politique national de façon autoritariste et non pas par des élections démocratiques et transparentes. Seuls les partis du pouvoir et des milliardaires qui se sont illustrés lors des élections passées par la fraude, la corruption et l’achat des sièges pourront participer à la future mascarade. En éliminant du jeu électoral toutes les autres expressions politiques, comme celle du PST qui n’est financé que par les cotisations de ses militant(e)s, le pouvoir réduit sa façade démocratique déjà insignifiante et enfonce un clou supplémentaire dans le cercueil du taux de participation déjà alarmant. La nouvelle loi électorale élimine les débats d’idées sur les programmes politiques et les projets de société et décrète la course aux signatures individuelles, consacrant le clientélisme, le régionalisme et le tribalisme. Au lieu d’apporter des amendements démocratiques afin de rendre les prochaines élections plus crédibles par l’introduction d’un mode de scrutin à la proportionnelle intégrale et nationale par exemple, le pouvoir rate une opportunité de mobilisation du peuple algérien autour d’un débat politique national que constituent les prochaines élections. Ainsi, le pouvoir fragilise nos capacités de résistance aux pressions extérieures de plus en plus menaçantes et contredit son discours pompeux sur «le front intérieur» et autre «mur national ». Des mesures prises dernièrement, telles que la suppression de la retraite partielle adoptée quasiment en catimini, font jaser mais pas au point de susciter une vive riposte du monde du travail. Est-ce seulement le calme avant la tempête ? L’annonce de la suppression des retraites anticipée et proportionnelle à la veille des départs en congé annuel (tripartite du 5 juin) traduit la volonté du pouvoir et du patronat de désamorcer toute mobilisation du mouvement ouvrier. Mais la réaction des travailleuses et travailleurs et des organisations syndicales, y compris au sein de l’UGTA, ne s’est pas fait attendre. Les grèves entamées à SNVI se sont propagées aux champs pétroliers et gaziers dans le Sud. La mobilisation des syndicats autonomes de l’Education nationale s’est élargie à d’autres secteurs, comme la santé et l’administration publique. Sous la pression des travailleuses et des travailleurs, les fédérations UGTA menacent de recourir à la grève et désavouent publiquement Sidi Saïd et la direction bureaucratique de leur organisation. L’exemple de la création d’une intersyndicale, qui a regroupé 16 syndicats le 30 juillet dernier, témoigne de la nécessité de l’unité syndicale qui se fait sentir plus que jamais. En un mot, la résistance s’organise et la rentrée sociale se fera sous le signe des luttes et des mobilisations unitaires. Mais la reconstruction du mouvement ouvrier et du syndicalisme démocratique indépendant et combatif ne se fera pas en un jour. Il faut travailler patiemment pour éveiller la conscience de la classe du mouvement ouvrier et des masses populaires dans notre pays afin de dépasser les divisions et les expériences corporatistes. La bataille pour la défense de la retraite ne sera qu’un prélude à la cristallisation de cette perspective. Car d’autres batailles décisives nous attendent. Le programme du libéralisme économique qu’on veut imposer aux travailleurs et aux masses populaires, préconisé régulièrement par le FMI et la Banque mondiale, vise la remise en cause de nos acquis sociaux, de notre souveraineté sur nos richesses et de notre indépendance nationale. L’offensive libérale, qui se décline sous forme d’une transformation radicale de l’édifice juridique actuel, est en réalité une tentative sans précédent du pouvoir pour imposer les intérêts du patronat et de l’oligarchie contre ceux de la classe ouvrière et des masses populaires. Oui, c’est une séquence des plus évidentes de la lutte des classes. Au moment où le nouveau code de l’investissement multiplie les facilités financières et les cadeaux fiscaux au patronat national et étranger, facilite la privatisation du secteur public et réduit les quelques mesures de protection de notre économie…, le nouveau code du travail se charge de généraliser les CDD, faciliter les licenciements, permettre l’allongement de la durée du travail et limiter les libertés syndicales et le droit de grève. Quant au nouveau code de la santé, il se charge de démanteler la politique de la santé publique basée sur la prévention, ouvre la voie à la privatisation du secteur et remet en cause la médecine gratuite. En d’autres termes, comme à l’époque coloniale, on veut réduire les travailleuses et les travailleurs ainsi que les masses populaires à l’esclavagisme et la misère. Le PST a lancé un appel pour une «convergence démocratique, antilibérale et anti-impérialiste». Où en est cette initiative, sachant que la situation en Algérie, marquée par des attaques itératives contre des acquis durement arrachés, invite, justement, à plus de cohésion dans les rangs de l’opposition ? Pour le PST, la conjoncture actuelle nécessite un large front de lutte des forces politiques, syndicales et sociales pour résister à cette offensive libérale sans précédent d’un pouvoir antidémocratique, gangrené par la corruption et inféodé aux intérêts du patronat et des multinationales. Un large front qui se construit dans les luttes démocratiques et sociales réelles et non pas entre des appareils seulement, ou entre des leaders autoproclamés. C’est un front démocratique parce qu’il regroupera tous ceux qui luttent pour la défense des libertés démocratiques, notamment la défense des libertés syndicales et le droit de grève, la défense du droit des femmes à l’égalité et à l’émancipation. C’est un front antilibéral parce qu’il regroupera tous ceux qui luttent contre l’injustice sociale, la politique d’austérité et de précarité imposée aux travailleuses et travailleurs et aux masses populaires. C’est un front anti-impérialiste parce qu’il regroupera tous ceux qui luttent pour la défense de notre économie nationale, de nos richesses nationales et de notre souveraineté et l’indépendance de notre pays. Nous faisons face aujourd’hui à un projet de démantèlement du modèle social de l’Etat algérien hérité du combat historique de notre peuple pour l’indépendance nationale, la justice sociale et la dignité humaine. Voilà pourquoi le PST appelle à un large front de résistance dans le cadre d’une convergence démocratique, antilibérale et anti-impérialiste.  


Lire la suite sur El Watan.