Pourquoi l’Arabie Saoudite a lâché du lest



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Certes, la réunion de l’OPEP est loin d’avoir provoqué un choc pétrolier, elle a néanmoins réussi un coup de théâtre en parvenant à obtenir un accord de principe sur une baisse légère de la production. Une décision qui devrait être formalisée notamment pour la répartition des quotas entre les pays lors de réunion officielle de l’OPEP à Vienne, prévue le 30 novembre prochain. Le «consensus» d’Alger a été possible aussi en raison du revirement spectaculaire de la position de l’Arabie Saoudite – première puissance pétrolière au sein de l’organisation – en acceptant à la surprise générale le principe de réduire sa production. Opposée depuis quelques années à toute idée de réduction au risque de perdre ses parts du marché soumis à une rude concurrence, Riyad a fini par céder non pas par «gaieté de cœur», mais contraint et forcé. En effet, derrière les assurances affichées par ce chef de file  de l’OPEP, la monarchie saoudienne est soumise, depuis au moins deux ans, à une conjoncture économique difficile doublée d’un environnement régional et international défavorable. Le pays résiste de moins au moins à l’effondrement des cours du pétrole. Confrontée à un déficit budgétaire record sans précédent, la riche monarchie golfiote est poussée à puiser dans ses réserves. L’Arabie Saoudite est sérieusement affectée par la chute des prix du pétrole. Sa situation économique est devenue intenable. Pour l’année en cours, Riyad enregistre un déficit de près de 90 milliards de dollars, ses réserves ont chuté à 560 milliards. Pour y faire face, le pays s’est imposé une économie d’«austérité» après avoir vécu pendant des décennies dans l’opulence : augmentation des prix des services, du carburant, de l’électricité, de l’eau et réduction des salaires des fonctionnaires. Le risque de tensions sociales dans le royaume est fortement redouté, alors que les manœuvres au sein même de la famille royale ne font plus mystère. Sur un autre plan, l’Arabie Saoudite, qui pendant longtemps imposait ses choix à l’OPEP, est soumise aujourd’hui à une conjoncture politique aussi inconfortable que difficile. C’est un pays en guerre contre son voisin du sud. Son implication directe dans un conflit armé au Yémen visant à réduire l’influence de l’Iran – son ennemi de toujours – sur la région exige d’elle un effort économique considérable. Les dépenses en temps de guerre sont énormes et difficiles à supporter. Un prix du baril de pétrole orienté vers la baisse et de manière durable n’arrange plus les affaires du royaume. Ce dernier a dû faire une concession importante lors de la réunion d’Alger, alors qu’en face, l’Iran a opposé une position intransigeante, refusant d’emblée la réduction de son quota. Le ministre iranien de l’Energie l’a fait savoir clairement et crânement à la veille du sommet. Une capitulation qui en dit long sur l’état de la monarchie. Est-il révolu le temps où Riyad dictait sa loi ? Pour nombre d’analystes, la récente position saoudienne est à la fois tactique et stratégique. «En acceptant de réduire sa production, facilitant ainsi un accord à Alger, les Saoudiens, tactiquement, marquent un point positif en jouant collectif. Ils ne veulent pas d’une politique égoïste qui risque de les isoler davantage», fait remarquer un politologue. Même ses alliés au sein du Conseil de coopération du Golfe ont joué de leur influence pour réduire la production de pétrole. Par ailleurs, l’Arabie Saoudite n’est plus le pays choyé et dragué par tous. Il est ouvertement mis au ban des nations. Critiqué par nombre de pays de la région à cause de son rôle dans la montée de l’islamisme violent dans le monde musulman, rappelé à l’ordre par les Occidentaux pour les mêmes raisons et, tout récemment, par le vote par le Congrès américain d’une loi autorisant les familles de victimes des attentats du 11 Septembre 2001 à poursuivre la monarchie wahhabite. L’hostilité internationale contre l’Arabie Saoudite est grandissante. La levée des sanctions contre l’Iran marquant son retour sur la scène internationale bouscule la géopolitique de la région, acte la fragilisation d’une monarchie longtemps maîtresse du jeu d’une grande partie du monde islamique. Il va sans dire que les puissances économiques mondiales vont subtilement accentuer les rivalités entre Riyad et Téhéran pour mieux les affaiblir. Riyad n’est plus l’unique et privilégié interlocuteur de la région et non plus le leader énergétique mondial. La Russie et les Etats-Unis sont devenus les deux principaux acteurs. Ainsi donc, l’Arabie Saoudite passe d’allié stratégique à «ami» encombrant auquel il faut limiter le champ de manœuvres. La nouvelle carte géopolitique, qui se redessine au Moyen-Orient sur fond de guerres et d’affaiblissement des Etats, semble toucher également le golfe d’Arabie. Le pacte du Quincy n’est pas éternel. Les Etats-Unis opèrent de plus en plus leur «retrait» de la région pour mieux se redéployer dans l’Asie de Sud-Est qui est déjà le terrain de lutte d’influence avec le monstre chinois.


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