Maroc

le chemin de croix de l’islamiste Abdelilah Benkirane



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Abdelilah Benkirane, le premier ministre nommé le 10 octobre par le roi Mohamed VI, pouvait raisonnablement penser qu’avec sa majorité relative renforcée, après les législatives du 7 octobre, il lui serait aisé de former un gouvernement. Sept semaines après sa désignation, il n’y est toujours pas arrivé. Il n’est d’ailleurs pas au bout de ses peines. Le chemin de croix de cet islamiste modéré, leader du Parti de la justice et du développement (PJD), semble interminable.

Il fût un temps, il y a une quinzaine d’années, où le PJD ne pouvait se présenter aux élections que dans quelques unes des circonscriptions du Maroc. Il limitait ainsi, probablement contraint, sa participation aux législatives.

Puis, quand le PJD devint enfin, à partir de 2007, un parti comme les autres -vainqueur en voix, mais pas en sièges à la chambre basse- Fouad Ali el Himma, le grand ami du roi Mohamed VI et son principal collaborateur, descendit dans l’arène pour contrer sa progression. Il fonda en 2008 un mouvement qui ne tarda pas à devenir une formation politique : le Parti authenticité et modernité (PAM).

« La principale raison de sa création est la préoccupation du palais face à la hausse de la popularité de l’islamisme [qui se manifeste] à travers le PJD », écrivit, en août 2008, Thomas Riley, l’ambassadeur américain à Rabat, dans un télégramme dévoilé par Wikileaks fin 2010.

Le PAM remplit partiellement son rôle. Il gagna, un an plus tard, les élections municipales de par le nombre de conseillers, mais sa victoire fut surtout rurale. La plupart des grandes agglomérations lui échappèrent, mais ce n’est pas pour autant qu’elles revinrent aux islamistes. Le « roi Mohamed VI ordonna que le PJD ne soit pas autorisé à conquérir les mairies de plusieurs grandes villes marocaines (…) », écrivit, en août 2009, Robert Jackson, alors chargé d’Affaires américain à Rabat. « L’élection des maires par les conseillers municipaux semble être un pas en arrière pour la démocratie au Maroc », constata-t-il.

Deux ans plus tard, les airs de changement qui soufflaient sur une bonne partie du monde arabe octroyèrent enfin au PJD la victoire malgré la loi électorale et un découpage des circonscriptions qui lui sont défavorables. Mohamed VI lui-même reconnut ce succès et nomma, pour la première fois, un islamiste au poste Premier ministre.

Ces cinq années de cohabitation inégale entre Benkirane et Mohamed VI -le chef de l’État marocain continue  à détenir et à exercer l’essentiel du pouvoir- n’ont pas été faciles pour les « barbus » marocains. Ils en ont avalé des couleuvres pendant toute la législature. Le ministère de l’Intérieur, théoriquement soumis à l’autorité du Premier ministre, est allé jusqu’à interdire un meeting du PJD où Benkirane devait prendre la parole.

Les électeurs marocains ne lui en ont pas tenu rigueur quand ils se sont à nouveau rendus aux urnes le 7 octobre. Même si le PAM a lui aussi progressé jusqu’à devenir la seconde force parlementaire, le PJD est non seulement resté premier mais il a vu le nombre de ses députés augmenter de 107 à 125.

Mohamed VI s’est rendu à l’évidence et il a à nouveau désigné Benkirane comme Premier ministre. Cette nomination n’est pas une garantie de succès. Le Premier ministre a rallié à sa future majorité les anciens communistes du Parti du progrès et du socialisme (PPS) et l’Istiqlal, la formation historique qui lutta pour l’indépendance du Maroc. Il lui manque cependant encore 15 sièges pour pouvoir être investi.

Benkirane s’est donc tourné vers le Rassemblement national des indépendants (RNI), un de ces partis artificiels appelés « de l’administration », créé à la fin des années soixante-dix par Driss Basri, le ministre de l’Intérieur du roi Hassan II, pour contrer l’influence de la gauche, spécialement des socialistes de l’USFP. Après tout, le RNI avait déjà fait partie, jusqu’à la fin de l’été, de la coalition gouvernementale conduite par Benkirane.

Le RNI qui, en octobre, a subi un cuisant échec électoral, a, depuis, un nouveau chef : Aziz Akhnnouch, qui occupait le portefeuille de l’Agriculture dans le dernier gouvernement Benkirane. Akhnnouch est la troisième fortune du Maroc, évaluée à 1,7 milliards de dollars selon le classement de la revue américaine Forbes. Il est surtout un intime du roi du Maroc au point de l’accueillir régulièrement chez lui, à Casablanca, pour un « f’tour » (repas de rupture du jeûne pendant le Ramadan) ou de passer avec lui, en famille, les vacances du Nouvel an à Hong Kong.

Or, Akhnnouch, à qui son parti a donné carte blanche pour discuter avec Benkirane, a placé la barre de ses exigences très haut pour accepter de faire partie de la coalition gouvernementale : que le Maroc ait à nouveau un gouvernement ne semble pas être une de ses priorités, à en juger par le rythme qu’il imprime à sa négociation. L’homme d’affaires fortuné accompagne ces jours-ci le roi dans la longue tournée africaine qu’il a entamée le 18 novembre, après le sommet de Marrakech (COP 22), et qu’il terminera début décembre.

Benkirane s’est plaint à plusieurs reprises des revendications exorbitantes du leader d’un parti perdant. Le 14 novembre, le PJD a même diffusé une vidéo, tournée neuf jours plutôt, dans laquelle le Premier ministre désigné assure être victime de « tentatives de putsch » à répétition.

Difficile de ne pas soupçonner un homme comme Akhnnouch, si proche du roi, de ne pas semer d’embûches le chemin qui mène à l’investiture de Benkirane en suivant les recommandations du palais. Quelques très rares médias marocains retiennent d’ailleurs cette hypothèse. Le « RNI représente un peu cette volonté du pouvoir, du palais, pour faire barrage au gouvernement désigné », écrit Ali Ammar dans Le Desk. Autrement dit, Mohamed VI aurait nommé un Premier ministre dont, dans le fond, il voudrait bien se passer.

Dans les prochaines semaines, on saura si les taquineries d’Akhnnouch cherchent simplement à faire une fois de plus souffrir Benkirane, à lui rabaisser le caquet après sa victoire éclatante, ou constituent le premier pas pour former une majorité alternative. Le PAM en serait le principal contributeur.

L’article 47 de la Constitution marocaine stipule que le roi choisit le chef du gouvernement au sein du parti arrivé en tête aux élections, mais ne précise pas que faire au cas où l’homme politique désigné n’y arriverait pas. Ceux qui honnissent les islamistes rappellent que le souverain est, selon l’article 42 de la Constitution, « le garant de la pérennité et de la continuité de l’État et arbitre suprême entre les institutions ». Il se doit de veiller à leur « bon fonctionnement ».

Pour sortir le Maroc de l’impasse, Mohamed VI pourrait donc, selon eux, jouer un rôle d’arbitre désignant, par exemple, un autre Premier ministre qui ne soit pas du PJD. S’il le fait, le parti de Benkirane sera la dernière formation islamiste portée au gouvernement par le « printemps arabe » à le quitter. À la différence des « barbus » tunisiens d’Ennahda, il n’aura pas été battu dans les urnes, mais simplement poussé dehors par un monarque qui, malgré la nouvelle Constitution de 2011, garde un pouvoir presque absolu.

Sur le même sujet : Le Maroc sans gouvernement depuis six semaines Maroc : tractations difficiles pour former un nouveau gouvernement


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