Le subterfuge de l’emballage



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Objet de crises cycliques, dont la dernière remonte à novembre 2016, le lait subventionné fait encore parler de lui. Mais cette fois-ci pas en termes de disponibilité ou de perturbation dans sa distribution, comme c’est le cas à chaque fois, mais en termes de prix. Un prix qui risque d’être revu à la hausse de manière indirecte, puisque le changement d’emballage (passage aux boîtes cartonnées), annoncé pour mars prochain, induira une augmentation du prix. Certes, le lait reconstitué à partir de la poudre importé ne sera pas touché par cette mesure, mais subira d’une manière ou d’une autre les conséquences d’une telle décision. Comment ? Le lait pasteurisé conditionné en sachet (LPC), dont le prix est fixé à 25 DA, ne sera plus produit en même quantité qu’auparavant, du moins chez le Groupe industriel des productions laitières (Giplait)-devenu après la dernière restructuration Lait et Giplait- qui détient 50% des parts du marché du lait en Algérie, et ce, à la faveur de la politique de substitution de la poudre de lait par le lait cru produit localement, en vigueur depuis quelques années. Même si jusque-là le taux d’intégration reste faible chez le public, avec 7% contre 25% chez le privé, le remplacement de la poudre de lait par du lait de vache fait son chemin petit à petit. Mais entre les explications du ministre de l’Agriculture, du Développement rural et de la Pêche (MADRP), Abdessalem Cheghoum, et celle du président du Comité international du lait (Cilait), Mahmoud Benchakour, les choses ne semblent pas encore claires pour le moment. Contradictions Le premier tente de rassurer en précisant que le prix du lait subventionné ne sera pas revu à la hausse. «Il n’y aura pas d’augmentation du prix du lait en sachet et il restera inchangé», a-t-il assuré la semaine dernière, au lendemain de la sortie médiatique d’un représentant de Colaital de Birkadem (filiale de Giplait), annonçant la commercialisation du lait en boîte dès mars prochain.  Il précisera dans le même sillage que le lait de vache, qui est de qualité meilleure, est actuellement écoulé à des prix variant entre 35 et 45 DA, alors que ce n’est pas le cas sur le terrain. Les commerçants le revendent entre 45  et 50 DA. Une fois conditionné dans des briques, son prix oscillera entre 60 ou 65 DA, selon Colaital. Mais il sera plus cher chez les commerçants détaillants (puisque le prix du lait de vache en sachet est libre). Donc, même si l’augmentation des prix ne concerne pas le LPC, elle le sera dans tous les cas pour le lait de vache en boîte qui sera produit en grandes quantités au détriment du LPC. Cela pour dire que cette  reconversion se fera au détriment du sachet, mais surtout du pouvoir d’achat. Les consommateurs, notamment ce qui reste des couches moyennes dont le pouvoir d’achat est déjà en érosion et qui ont déjà du mal à trouver du LPC dans certaines localités, se rabattront donc sur le lait de vache. Si auparavant ils dépensaient 50 DA pour deux litres par jour, ils devront débourser 120 DA  par jour pour leurs besoins en consommation de lait. Soit en moyenne 3000 DA par mois, des dépenses qui risquent de passer du simple au double. Ce qui inquiète d’ores et déjà le président de l’Association de protection et d’orientation du consommateur (Apoce), Mustapha Zebdi, qui, tout en relevant le côté positif sanitaire et environnemental d’une telle mesure, ne manquera pas d’afficher son inquiétude quant à l’impact sur le pouvoir d’achat des Algériens. Interrogé à ce sujet, le président du Cilait nous dira dans un premier temps  : «Je n’ai rien à dire. Le ministre a tout expliqué concernant les prix.» Au sujet de l’adhésion du privé à une telle démarche, il répondra : «Tout dépend des transformateurs. Certains ont déjà commencé à utiliser l’emballage en carton pour les produis dérivés. Mais pour le lait de vache, on verra.» Ce sera en effet en fonction du coût, surtout que le nouvel emballage est cher. Selon certaines estimations, une  brique de lait coûte, à elle seule en emballage non recyclable, sans gros investissements, de 15 à 24 DA  (l’équivalent du  prix actuel du sachet de lait rempli et toutes charges incluses). Sachant que de nombreuses laiteries privées traversent des difficultés financières, le défi semble difficile à relever pour l’heure. Le public se contentera à lui seul de donner l’exemple et de baliser le terrain à la levée des subventions via une solution non encore clairement étudiée.  Et pour cause, même au niveau de l’organisation professionnelle, l’on n’arrive pas à expliquer la démarche, comme l’illustrent les déclarations de Benchakour, qui, après avoir éludé la question, a fini par lâcher : «C’est une décision politique.» Et d’aborder autrement la question sur les ondes de la Radio nationale, en faisant part d’une éventuelle hausse du prix du LPC à hauteur de 20% ! C’est-à-dire un prix allant jusqu’à 33 DA. Des déclarations contradictoires qui montrent que c’est encore le flou pour les professionnels du secteur autour d’une décision qui remonte, pour rappel, à trois ans. C’est en effet en janvier 2014 que Abdelmalek Sellal avait appelé les producteurs de lait, à partir de Mostaganem, à passer du lait en sachet au lait en boîte. Il leur avait accordé un délai de trois ans. Ce n’est qu’aujourd’hui que le dossier est remis sur le tapis en pleines difficultés financières et en plein débat sur la révision du système des subventions. Pressions Ce qui suscite des interrogations et des inquiétudes de part et d’autre. Et ce d’autant que l’on s’attend à une diminution des quantités de LPC, donc à une pression avec l’arrivée du lait en boîte, dont la capacité de production sera de l’ordre de 300 000 litres par jour, selon le PDG de Giplait, Mouloud Harim, qui a annoncé par ailleurs la création au cours de cette année d’une filiale spécialisée dans l’élevage de bovins laitiers et la production de lait de vache. Le groupe aura également à son actif la gestion de 19 fermes pilotes attribuées récemment au groupe par le Conseil des participations de l’Etat (CPE). Ce qui confirme cette tendance  graduelle au remplacement de la poudre par le lait cru. Ce qui est une bonne chose puisque cela va diminuer la dépendance du pays confronté aux importations des matières premières laitières. Mais qui va affecter en parallèle les consommateurs, habitués pendant de longues années aux prix subventionnés. D’où la nécessité de préparer le terrain pour ce changement via des mesures spécifiques, sans passer par des subterfuges. Les problèmes sanitaires et environnementaux liés au sachet ne datent pas d’aujourd’hui. Ce sursaut cache en tout cas d’autres desseins. La levée des subventions en marche Et ce, d’autant qu’il est intervenu au lendemain de l’application portant levée provisoire des subventions de l’orge en le vendant aux éleveurs à 2300 DA au lieu de 1550 DA le quintal au niveau des Coopératives des céréales et légumes secs (CCLS).  Ce qui a suscité le mécontentement des éleveurs, plutôt des revendeurs. «Nous ne vendons pas aux éleveurs. Ces derniers boycottent l’orge que nous proposons, alors nous le cédons aux coopératives privées», témoignera un employé d’une CCLS dans la région des Hauts-Plateaux, où la demande en orge est pourtant  importante. A titre indicatif, selon les explications du ministère de l’Agriculture, la suppression de la subvention de l’orge, une mesure introduite par le projet de loi de finances (PLF 2017), répond à une demande émanant des éleveurs, qui estiment qu’ils ne tiraient pas profit de ce soutien à cause de la spéculation. L’orge, qui sert à l’engraissement du bétail, notamment le cheptel ovin, est, rappelons-le, subventionné par l’Etat depuis une dizaine d’années. Autre décision en perspective en cette période difficile, la révision du prix de l’eau. « Il n’est plus question que l’eau soit cédée aux activités industrielles et touristiques ou aux limonaderies au même prix qu’aux ménages», a prévenu par ailleurs, la semaine dernière, le ministre des Ressources en eau, Abdelkader Ouali. Ainsi, une nouvelle tarification de l’eau est à l’étude. Elle déterminera le barème en fonction de la catégorie des utilisateurs (opérateurs économiques, ménages...) et sera basée sur deux principes importants : le premier étant que ceux qui consomment le plus payent  plus, tandis que le second est que la tarification doit aussi être conforme au niveau de consommation.  Une révision qui ouvrira le champ à d’autres hausses sur d’autres produits (jus, limonades, prestations touristiques, restauration…). Les factures s’annoncent donc salées, en attendant que d’autres produits suivent ce chemin. D’ailleurs, les boulangers réclament aussi l’augmentation du prix du pain.


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