Quand le Bachagha Bengana s’invite à la télévision algérienne



...

Canal Algérie a invité, dans l’émission matinale « Bonjour d’Algérie » du mardi 21 février, Ferial Furon, arrière petite-fille du Bachagha Bengana, pour faire la promotion de son essai « Si Bouaziz Bengana, dernier roi des Ziban », paru en France. Cette invitation de la part de la télévision d’Etat suscite une vive polémique sur les réseaux sociaux parce que Bouaziz Bengana n’était pas « roi » des Ziban mais Bachagha, c’est-à-dire « Caïd des services civiles ».

M’Hamed Ben Bouaziz Bengana avait rallié la France en 1839 en tant que chef de tribus dans les régions de Biskra, de Batna et du Hodna, deux ans après la prise de Constantine par les troupes coloniales françaises. Il portait le titre de « Cheikh el arab » donné par le dernier Bey de Constantine, Ahmed Bey.

Les Ottomans avaient écarté, à l’époque, Ferhat Ben Bouakkaz, véritable cheikh El arab des Ziban, après avoir été désigné khalifa de Biskra par l’Emir Abdelkader. Bouaziz Bengana avait également été désigné chef militaire par le général Sylvain Charles Valée, gouverneur général d’Algérie entre 1837 et 1840, connu par ses méthodes expéditives (il avait notamment trahi le Traité de la Tafna signé entre l’Emir Abdelkader et le général Bugeaud en 1837).

« Il coupait les oreilles des résistants algériens »

Doté de pouvoirs militaires, Bouaziz Bengana s’était montré impitoyable, selon des récits d’Histoire, avec les résistants algériens, menés notamment par Ahmed Bey. Il mutilait les cadavres de ses victimes.

« Le Bachagha Bengana coupait les oreilles des résistants algériens auxquels il tendait des embuscades avec ses goumiers. Puis, il les entassait dans des couffins qu’il remettait ensuite aux officiels français, contre espèces sonnantes et trébuchantes. Bengana envoya au général Négrier le sceau, les oreilles et la barbe du chef de guerre Farhat Bensaïd, qui fut attiré dans un guet-apens», a écrit l’historien algérien Ali Farid Belkadi.

Bachagha Bengana, qui agissait avec les membres de sa famille, avait appuyé les troupes du général Emile Herbillon pour écraser l’insurrection de Zaâtcha (novembre 1849) menée par Cheikh Bouziane. La tête de Bouziane aurait été coupée par un des membres de la famille Bengana.

L’historien français Camille Rousset a repris, dans son livre « L’Algérie de 1830 à 1840 : les commencements d’une conquête », une lettre du général Valée envoyé au ministre de la guerre. « Pour la première fois depuis dix ans, un chef institué par nous marche seul contre les troupes d’Abdel Kader et obtient sur elles un succès constaté. Désormais le petit désert nous appartient. Bengana, soutenu par nos troupes qui vont se rapprocher des Portes de fer, soumettra toutes les tribus du Djérid et appuiera Tedjini. Je prescris de lui rembourser les dépenses qu’il a faites », avait écrit le chef militaire français.

Pour ses « bons et loyaux » services, Bachagha Bengana a été décoré par une quinzaine de médailles militaires dont « la légion d’honneur » avec grade de commandeur et la « Médaille coloniale ».

« Secret de famille »

Pour Ferial Furon, la famille Bengagna s’insère complètement dans l’histoire franco-algérienne. « Mais, c’est une mémoire qui a été effacée des deux côtés de la Méditerranée. J’ai écrit ce livre pour rendre hommage à mon arrière grand-père, Bouaziz Bengana, dernier représentant d’une dynastie des Ziban. Il avait le prestige et l’autorité dans cette région. Je révèle dans ce livre des pans de l’histoire algérienne complètement occultée. Je traite le contexte de la conquête française de l’Algérie et notamment de la période 1830-1839  durant laquelle la famille Bengana était obligée, parce que c’était une question de lutte de pouvoir dans le sud, de reconnaître la souveraineté de la France (…) Le Cheikh el arabe se battait pour la citoyenneté française à toute la masse musulmane (après l’ordonnance du 7 mars 1944) », a-t-elle déclaré lors d’une conférence à Paris, organisée par son association FARR (Franco-algériens républicains rassemblés).

Selon elle, Bouaziz Bengana aurait été assassiné le 17 juin 1945 par les autorités françaises à Sétif. « C’est un secret de famille que je révèle », a-t-elle affirmé. Fin juillet 2016, Ferial Furon a promis, sur son compte Facebook, de répondre à ceux qui ont traité son arrière-grand-père de « collabo et de harki » les qualifiant de « petits perturbateurs sans repères ». « A ces petites âmes, je leur rétorque que si elles ont un tel problème avec la France, que font-elles sur le sol français ? », s’est-elle interrogée.

« Si Bouaziz Bengana, dernier roi des Ziban », paru aux éditions Riveneuves, a été présenté pour la première fois le 14 janvier 2017 en marge de l’exposition « Biskra, sortilèges d’un oasis 1844 2014 », à l’Institut du Monde arabe (IMA)  à Paris.

Comment Férial Furon a-t-elle été invitée par Canal Algérie et pourquoi ? Elle a eu droit à un temps d’antenne important à un moment de grande écoute, trois jours seulement après la célébration de la journée du chahid.  Et comment un média public participe-t-il à la réhabilitation et à la glorification d’un homme et d’une famille qui a grandement participé à l’œuvre coloniale en tuant les algériens et en assumant ses actes ?

Contactés par TSA, les responsables de l’émission « Bonjour Algérie » ont souhaité ne pas s’exprimer sur l’affaire. Mais selon nos informations, le responsable et la présentatrice de l’émission ont été suspendus par la direction de la chaîne jusqu’à leur traduction devant le conseil de discipline.


Lire la suite sur Tout sur l'Algérie.