L’arrière petite-fille du Bachagha Bengana

« Il était obligé de reconnaître la souveraineté de la France »



...

Ferial Bentchikou Furon suscite la polémique en Algérie, depuis la parution d’un livre visant à réhabiliter le Bachagha Bouaziz Bengana, son ancêtre. Considéré comme un harki et collaborateur par les historiens, sa descendante le défend et insiste pour « resituer les faits dans leur contexte » pour justifier ses actes. Dans un entretien à TSA, Madame Furon, revient sur cette polémique et explique ses motivations.

Comprenez-vous la polémique suscitée par la parution de votre livre et, surtout, par sa promotion sur Canal Algérie ?

C’est une polémique qui a émergé sur les réseaux sociaux, où il y a du vrai et du moins vrai. Une personne poste une publication, qui peut être de l’intoxication et tout le monde s’emballe, il y en a qui déversent leurs frustrations…

Je m’attendais à cette polémique, mais j’appelle les gens à lire le livre et ne pas faire de raccourcis historiques. Pour la chaîne publique (Canal Algérie, NDR), j’ai trouvé ça formidable, je m’étais dit que l’Algérie est un pays  de liberté d’expression. J’ai été très bien reçue par la journaliste, qui dit avoir adoré le livre et j’ai eu beaucoup de commentaires extrêmement positifs.

Depuis, plusieurs responsables ont décidé de supprimer les séances de dédicace, comme le directeur du Palais du Bey à Constantine qui a préféré annuler, parce qu’il a eu peur. Mais cela ne m’empêchera pas de visiter le palais, un endroit où mes ancêtres ont été élevés.

Qu’est-ce qui a motivé la parution de ce livre ?

J’ai écrit ce livre par rapport à tout ce qui a été colporté depuis des décennies sur lui, sa famille. Ce sont des faits parfois mensongers, parfois vrais, mais complètement retirés de leur contexte historique.

On ne peut pas faire de l’histoire avec une telle superficialité, en amalgamant des faits. Un des historiens a écrit un article (…) sans parler de la bataille, sans nommer le combat, sans citer sa date et sans faire comprendre les enjeux.

Toutes ces informations, je les mets dans le livre. Je mets deux pages sur la bataille entre Hassan Benazouz, marabou de Tolga et les forces de Bengana, qui eux protégeaient les tribus qui voulaient faire leur transhumance pour remonter dans le Tell en été…

Or, le Cheikh el Arab Boulahkras Bengana a résisté aux Français. Ce sont des informations qui sont occultées et on fait des raccourcis. On parle de mon arrière-grand-père et on dit qu’il a « coupé des oreilles » alors que la bataille a eu lieu en 1840 et il n’était même pas né ! C’est pour ces raisons que j’ai écrit ce livre, pour restituer des faits historiques dans leur contexte.

Mais par exemple, on parle de Ferhat Ben Said Bouakkaz , qui représentait le clan adverse des Bengana dans le Sud. Juste après la prise de Constantine par les Français, et reconnu par les Français comme Cheikh el Arab, c’est le premier qui a reconnu la souveraineté de la France dans le Sud. Et on traite les Bengana de « collabos »

Mais les historiens ont documenté le fait qu’il ait lutté aux côtés de l’armée coloniale française, ses troupes ont même commis des exactions et mutilé des corps, n’est-ce pas un fait ? Il y a même une lettre d’un Général français qui louait les actions de Bengana…

C’est un fait historique ça. Il a fait sa reddition en 1839. Je raconte les circonstances de cette reddition. Il y a eu la bataille de Constantine, après une première défaite en 1836 des Français où les Bengana étaient du côté d’Ahmed Bey. Il a ensuite reconnu la souveraineté française.

Je suis prête à débattre avec les historiens. Mais il faut qu’ils lisent le livre et qu’ils puissent me dire : « vous avez écrit ceci à telle page, c’est une contre-vérité». Certains prennent des raccourcis d’un siècle, se trompent de dates, de personnage et confondent leurs titres…

Après sa reddition en 1839, il reconnait la souveraineté de la France et devient Cheikh el Arab. Les Bengana étaient administrateurs des tribus et les protégeaient. Et ils rendaient compte de leurs victoires aux Français.

Mais il y a une distinction à faire entre la reconnaissance d’une défaite face aux Français et participer à leur côté dans ce que les historiens décrivent comme des exactions et des mutilations…

Après il faut savoir qu’à l’époque, il y avait des guerres de tribus, ils coupaient des têtes et des oreilles, c’est ce qu’on appelle « le régime du sabre ». Toutes les tribus le faisaient, c’était pour prouver qu’ils avaient remporté les batailles et punir ceux qui ne payaient pas l’impôt par exemple. Mais je ne veux pas refaire l’histoire, je l’assume, ce sont aussi des faits, je l’ai écrite. C’est ce que j’appelle assumer son histoire. Mais après, le Sud était pacifié, les Bengana administraient les tribus…

Vous tentez de réhabiliter Bengana, perçu comme un harki et un collaborateur. Il y a une différence entre reconnaître la « souveraineté de la France » et combattre les résistants et les tribus qui combattaient et refusaient justement de faire allégeance à la France. N’est-ce pas une posture révisionniste ?

Ce n’est pas une posture révisionniste, parce que je voulais expliquer le système tribal, avec des guerres entre tribus. On voit l’histoire avec une grille de lecture du 21e siècle. Mais ce sont deux époques différentes. Il faut savoir que les descendants des Bengana ont aidé le FLN pendant la Révolution. La résistance s’est faite dans une complexité inouïe.

Mais ces guerres de tribus de l’époque n’étaient-elles pas aussi dues au fait que certains aient reconnu la souveraineté de la France alors que d’autres refusaient de se soumettre ?

Mais…Ce n’était pas contre le Français. C’était pour pacifier. Lorsque les Français ont pris les centres de pouvoir, il fallait faire un État, il fallait administrer et pacifier à un moment donné. Il y avait beaucoup de personnes qui ne voulaient pas se soumettre aux impôts…

Oui, parce qu’ils ne voulaient pas légitimer l’occupation française. Est-ce que vous n’êtes pas en train de légitimer l’occupation française ?

Que voulez-vous que je vous dise. Moi je n’étais pas avec mes ancêtres. Je rapporte des faits. J’explique juste le système tribal pour que l’on puisse comprendre les motivations des uns et des autres. Pourquoi ils étaient obligés de reconnaître la souveraineté de la France. Par exemple, il y avait des transhumances, il y avait des troupeaux qu’ils devaient alimenter et ils devaient reconnaître la souveraineté des Français pour aller sur leurs terres dans la région de Constantine. Sinon la population allait mourir de faim…

C’est pour ça que je dis à ces historiens qui me jettent en pâture de lire le livre et de me dire à quel moment j’ai une posture révisionniste.

Justement, quand vous dites « Roi » des Ziban en affirmant que c’était un « protecteur », plus qu’un « collaborateur »…

Effectivement, on voulait trouver un titre avec mon éditeur, qui puisse accrocher. On avait le choix entre plusieurs titres, comme « dernier seigneur du Sahara ». Il s’avère que les autorités de l’époque le surnommaient « Roi des Ziban », de par son prestige, son aura…

Les autorités françaises !

Oui à l’époque. Je suis désolée, mais à l’époque l’Algérie était un département français, donc les autorités étaient françaises. Tout le monde était un « sujet français », même les parents de ceux qui ont fait la Révolution étaient des sujets français.

Dans le Sud, il y avait un régime militaire, pas une administration directe. Et lui [Bengana, NLDR] administrait toutes les populations musulmanes. Il les protégeait. C’était un chef religieux. Les Bengana étaient une famille chérifienne, avant de devenir des chefs de guerre.

Mon arrière-grand-père descendait de cette lignée et il avait une aura dans tout le pays, il était adoré par sa population musulmane. Il a d’ailleurs financé la construction de la grande mosquée de Paris. Il était proche du roi Mohamed V et du recteur Benghebrit (…).

À un moment, il a demandé à se faire restituer le titre de Cheikh el Arab, qui était tombé en désuétude. Jusqu’alors il était Bachagha. Il fallait construire des madrasas, des mosquées… Avec quel argent vous financez tout cela ? Avec les impôts !

Justement, le titre de « Cheikh el Arab » n’était qu’un titre administratif des Ottomans pour distinguer les Berbères (Kabyles) des Arabes…

Oui, vous voulez dire surtout les Kabyles, parce que dans le Sud, ils étaient arabisés. Mon arrière-grand-père a milité pour l’enseignement de l’arabe à haut niveau et il a fait partie de l’association des Oulémas réformateurs.

| LIRE AUSSI : Quand le Bachagha Bengana s’invite à la télévision algérienne


Lire la suite sur Tout sur l'Algérie.