Mayotte, département français à majorité musulmane, où Marine Le Pen a été accueillie chaleureusement



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L’île française, située à 10.000 km de la métropole, entre l’Afrique et Madagascar, fait face à une situation économique et sanitaire alarmante. Mais seuls deux candidats, Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen s’y sont rendus dans le cadre de leur campagne électorale pour la présidentielle.

Dimanche 12 février, François Fillon, en déplacement à l’île de la Réunion, est au centre de toutes les attentions. Et pour cause : en pleine tourmente, il poursuit sa course à la présidentielle. Pourtant, à quelques centaines de kilomètres, un autre candidat est aussi en campagne sur une île française.

Nicolas Dupont-Aignan, candidat souverainiste de Debout la France (DLF) à l’élection présidentielle pour la troisième fois, passe deux jours à Mayotte, territoire d’outre-mer devenu le 101e département français en 2011. Au terme de sa visite, il déplore l’absence de « vraie politique de la France pour Mayotte », et estime que l’État français a « démissionné » de son 101e département.

« Une démission sur tous les plans, sur le plan migratoire, sur le plan des équipements publics, sur le plan de la justice », qu’il qualifie d’« inacceptable ».

Depuis décembre, le département français d’outre-mer souffre d’une pénurie d’eau. La saison des pluies attendue depuis novembre tarde à arriver, et l’île ne dispose pas d’un réseau d’eau sécurisé. Dans ce contexte, la préfecture est contrainte de prendre des mesures : depuis le 14 décembre, les habitants de certaines communes n’ont accès à l’eau qu’un jour sur trois, indiquent plusieurs sources à TSA. Une telle situation déstabilise l’activité sur l’île, au niveau éducatif ; comme pour l’accueil des élèves dans les écoles, d’un point de vue économique, et aggrave aussi la situation sanitaire.

Le gouvernement tarde à réagir. Les candidats à la présidentielle, eux, portent peu d’intérêt au problème. Le candidat Nicolas Dupont Aignan (à 2% d’intentions de vote), lui, s’insurge : « Comment dans un département français au XXIe siècle, il y a des pénuries d’eau ? »

L’île à 98% musulmane accueille chaleureusement Marine Le Pen 

Trois mois plus tôt -Mayotte n’est à cette date pas encore confrontée à un problème de sécheresse- la candidate du Front national, Marine Le Pen, effectue elle aussi une visite express sur cette île de l’océan indien. En 2012, elle n’a d’ailleurs recueilli que 2,77% des suffrages aux élections présidentielles.

Mais contre toute attente, l’île -à 98% musulmane- réserve un accueil chaleureux à la candidate frontiste. « Marine présidente », « Bienvenue Mme Marine Le Pen, Mayotte a besoin de vous », « Non à l’immigration clandestine, et vous avez la solution », ou encore « Mayotte ne peut pas accueillir toutes les misères du monde » peut-on lire sur des banderoles. Une scène incongrue ? Pas vraiment.

Car, depuis plusieurs années, la petite île de l’océan indien est très attractive pour les îles voisines et se retrouve confrontée à un problème d’immigration clandestine quotidienne en provenance de l’île comorienne voisine d’Anjouan, en Union des Comores, située à 70 km.

Il faut comprendre que la départementalisation de 2011 a renforcé l’attractivité du territoire. Un rapport sénatorial de 2012 note d’ailleurs que le Produit intérieur brut (PIB) par habitant de Mayotte (6.575 euros par habitant en 2010) est huit fois supérieur à celui des Comores (760 euros en 2010).

Cette attractivité existe aussi en raison d’événements historiques. Mayotte, cédée à la France en 1841, a choisi de rester française en 1974, après consultation par référendum, alors que les autres îles de l’archipel (annexées par la France en 1912), La Grande Comore, Mohéli et Anjouan ont choisi l’indépendance.

Officiellement, Mayotte compte, selon l’Insee, 220.300 habitants mais à ce chiffre il faut ajouter les « nombreux clandestins qui pourraient être plusieurs dizaines de milliers », indiquait, début 2016, la Cour des comptes dans un rapport sur Mayotte, « La départementalisation de Mayotte, une réforme mal préparée, des actions prioritaires à conduire ». Bref, l’estimation officielle serait bien en dessous de la réalité puisqu’elle ne tient pas compte de la population clandestine.

En outre, les magistrats de la rue Cambon estimaient que cette immigration illégale était « très mal maîtrisée ».

Cette situation (île surpeuplée, centre hospitalier pris d’assaut par les clandestins) engendre des tensions communautaires. Plusieurs fois en 2016 -mais aussi les années précédentes- les habitants se sont réunis en collectif pour chasser les clandestins des villages en détruisant leurs habitations de fortune. Mais l’État ne réagit pas : ni pour condamner une telle démarche, ni pour mettre fin à un problème d’immigration explosif auquel les habitants sont confrontés.

À cette situation déjà complexe, il faut ajouter un problème d’insécurité grandissant ces dernières années. En 2016, puis début 2017, plusieurs agressions de « coupeurs de route » -individus qui mettent en place des barrages à l’aide de branches et de troncs d’arbre dans le but de bloquer la circulation pour commettre des vols et, dans certains cas, des agressions physiques- ont été recensées, selon nos sources.

Immigration clandestine, insécurité, chômage, l’île française fait face à de nombreux défis 

Alors forcément, quand Marine Le Pen arrive sur l’île avec ses deux sujets de prédilection, la lutte contre l’immigration clandestine et l’insécurité, qu’elle dissocie d’ailleurs rarement, elle est accueillie à bras ouverts.

Même les responsables religieux musulmans de l’île, les cadis, assument parfaitement de rencontrer la candidate FN. Autrefois à la tête des tribunaux islamiques, garants du droit coutumier, les cadis n’ont, depuis la départementalisation en 2011, qu’un rôle de médiateur social.

Je rencontrais ce matin le Grand Cadi de #Mayotte pour aborder les problèmes d'immigration clandestine, de radicalisation et de laïcité. pic.twitter.com/KDrzL92IhZ

— Marine Le Pen (@MLP_officiel) December 1, 2016

Ces représentants religieux ont avec Marine Le Pen plusieurs points communs : d’abord, ils partagent le même point de vue sur la nécessite de lutter contre la radicalisation.  » Un certain nombre de nos adversaires font croire que nous sommes des adversaires de la religion musulmane, c’est faux. Je suis très attachée à la laïcité (…). Je lutterai contre le fondamentalisme islamiste comme l’a fait aussi le grand Cadi », indique alors Marine Le Pen au micro de Mayotte 1ere.

De plus, ils veulent mettre un terme au problème de l’immigration clandestine sur une île qui doit déjà faire face à de nombreux défis : 71% de la population n’a aucun diplôme qualifiant, et le taux de chômage est le plus élevé des départements d’outre-mer (36,6%), selon le rapport de la Cour des comptes de janvier 2016.

Mais une dépêche de l’Agence France Presse, massivement reprise par les médias français à la suite de cette rencontre entre les chefs religieux et la candidate frontiste, sème le trouble. Elle indique que « le grand chef des religieux musulmans adoube Marine Le Pen », laissant penser qu’il apportera son soutien à la présidente du Front national pour les élections présidentielles de 2017. Une conclusion bien hâtive.

Pour le réseau Udjama, l’association des jeunes actifs mahorais, il s’agit d’une instrumentalisation des propos du représentant religieux. « Udjama tient à rappeler le caractère apolitique de la haute instance religieuse locale qui, conformément à l’hospitalité Mahoraise et aux pratiques de bonne conduite de l’islam, ont conduit le grand Cadi à honorer de sa présence l’invitation de Madame Le Pen », peut-on lire dans un communiqué du 5 décembre.

Le document précise que « le Grand Cadi qui a toujours prôné un islam d’ouverture, combattant le fondamentalisme, malgré les crises migratoires et sociales qui gangrènent Mayotte, ne saurait apporter un soutien à une organisation politique d’extrême droite en quête de légitimité auprès des Musulmans ». En dépit de points de vue partagés, une rencontre ne vaut pas approbation, laisse comprendre l’association, dirigée par la fille du grand Cadi, Cansel Nourdine Bacar.

Le gouvernement attend trois mois pour débloquer 500.000 euros 

Pendant ce temps, à deux mois du premier tour, les autres candidats à la présidentielle ne se pressent pas sur l’île. François Fillon, candidat Les Républicains, s’est contenté de dire, depuis la Réunion, qu’il souhaitait remettre en cause le droit du sol à Mayotte et en Guyane où « l’immigration clandestine est une menace pour la cohésion sociale ».

Rien d’annoncé du côté de Benoît Hamon. Quant à Emmanuel Macron, candidat de En marche !, il devrait se rendre sur l’île en mars, selon un membre de son équipe.

Du côté du gouvernement, il a fallu attendre début février, soit deux mois après le début de la pénurie d’eau, pour qu’un financement d’urgence de 500000 € soit débloqué. Mercredi 22 février, Bruno Le Roux, ministre de l’Intérieur, a indiqué qu’il se rendrait à Mayotte début mars. Le problème de la pénurie d’eau n’est cependant qu’un dossier urgent parmi tant d’autres dans le 101e département français.


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