«Soyons réalistes, il est trop tôt pour développer les énergies renouvelables»



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S’il se dit très favorable à la mise sur pied d’une véritable industrie dans le secteur de la compensation de l’énergie réactive aux fins de rationaliser la consommation de l’électricité et qualifie de «très pertinent», de «priorité bien-fondée», le projet visant à augmenter les capacités de raffinage du carburant d’ici 2019, action appelée à réduire la facture d’importation des dérivés pétroliers. L’expert international en gouvernance et conformité financière, Pr Messaoud Abda, qui, depuis le Canada où il enseigne la finance à HEC Montréal et à l’université Sherbrooke, suit de très près l’actualité économique de son pays, s’interroge, en revanche, sur la «pertinence» du programme d’envergure portant sur le développement «à grande échelle et en priorité» de la filière photovoltaïque, dans lequel s’est engagé le pays. Multiples et bien fondés semblent être les arguments que Pr Abda, également Fellow à l’Institut des banquiers canadiens et membre de la puissante association américaine des experts en fraude certifiés «Association of Certified Fraud Examiners (ACFE». La question essentielle qui se pose est : faut-il continuer d’investir massivement des projets colossaux, financièrement trop risqués, dont la pertinence est souvent remise en cause, ou bien faire preuve de moins de démesure dans ses ambitions, de plus d’agilité dans ses choix économiques en privilégiant le développement de secteurs qui seront en mesure de supporter réellement l’expansion de notre économie?   A l’ère des difficultés économiques, comment renforcer les échanges interafricains et drainer les IDE. Quelle option privilégier ? De par sa position géographique et l’immensité de son désert, l’Algérie dispose d’un des plus grands gisements solaires au monde, l’équivalent de 60 fois les besoins en énergie solaire de toute l’Europe de l’Ouest. La durée d’ensoleillement étant de 2650 heures/an dans les villes côtières (4% de la superficie totale du pays), 3000 h/an dans les Hauts-Plateaux (10%) et 3500 h/an dans le Sahara (86%). En projetant d’exploiter à l’échelle industrielle cette richesse en énergie propre, le gouvernement a-t-il vu juste ?   Quand on évalue l’opportunité ou la nécessité d’un projet, la question-clé est la pertinence du projet dans son contexte socioéconomique. Pour être pertinent, un projet arrive en général à un moment où il est utile ou nécessaire à un système économique, pas avant, pas après, question d’opportunité de développement économique et de timing. Il est clair que personne n’est contre la vertu des énergies renouvelables, sauf que le choix de développer une énergie renouvelable implique automatiquement la maturité de l’environnement qui accueille ce type d’énergie. Concernant l’énergie photovoltaïque ou la production d’électricité avec des panneaux solaires, les Etats-Unis sont leaders dans le domaine, Tesla Motors fabrique même des voitures avec le toit comme panneau solaire aux fins de la recharge du véhicule, et on entend souvent le message cliché : «Aux Etats-Unis telle ville ou institution utilise ce type d’énergie.» Cependant, on oublie de dire que ce pays, ou des pays aussi avancés, comme l’Allemagne, a développé et même poussé au maximum toutes les technologies possibles de l’énergie fossile et nucléaire. Les Etats-Unis se sont tournés vers l’alternative des panneaux solaires, par intérêt économique, incluant l’exportation de la technologie, et grâce à l’avantage naturel des larges étendues désertiques américaines, propices au développement de cette énergie renouvelable. «Les Etats-Unis se sont tournés vers l’alternative des panneaux solaires, par intérêt économique», dites-vous. Cela n’est-il pas valable pour notre pays, qui se distingue aussi par l’immensité de son désert, ainsi que par son potentiel solaire, deux avantages qui pourraient justifier la validation par les pouvoirs publics de ce nouveau pari, déjà largement pris ?   L’énergie renouvelable dans les systèmes économiques matures, faut-il le souligner, vient combler des besoins énergétiques colossaux et supporter le fonctionnement d’un vaste parc d’infrastructures, des infrastructures aussi complexes que diverses : les hôpitaux, les barrages, les écoles, les chemins de fer, les immeubles administratifs, les stations d’épuration et de pompage d’eau, les aéroports, etc. De plus, les Etats-Unis, pour ne citer que ce pays, en tant que leader de l’industrie des panneaux solaires, maîtrise la chaîne de production de l’énergie photovoltaïque, avec une intégration verticale : expertise et technologie de fabrication des composantes, expertise d’installation et de maintenance, et expertise de stockage et de distribution de l’énergie électrique produite par les panneaux solaires. Maintenant, est-ce que nous avons besoin de développer les énergies renouvelables, la réponse est oui, mais pas à ce stade du développement économique de l’Algérie, plus tard certainement, mais aujourd’hui soyons réalistes et humbles, il est tout simplement trop tôt. On devrait à mon avis continuer de travailler pour assurer un bon tissu d’infrastructures sur l’ensemble du territoire national, ensuite penser à intégrer l’énergie photovoltaïque. Qui plus est, le développement de cette énergie renouvelable nécessite des budgets significatifs et dépend de la qualité du site d’implantation, l’ennemi premier des panneaux solaires est paradoxalement le sable du désert et sa composition, le vent et les tempêtes de sable. Ces éléments réduisent considérablement la durée de vie des panneaux solaires et forcent à de la maintenance prématurée, ce qui altère la viabilité du modèle économique de l’énergie photovoltaïque. Les objectifs dans la filière photovoltaïque ont été revus à la hausse, passant de 12 000 à 22 000 MW. La motivation principale serait «la baisse des coûts de cette filière qui s’affirme de plus en plus sur le marché», d’après nos officiels. Qu’en pense le financier et expert en gestion des risques que vous êtes ? Par exemple, une centrale photovoltaïque de 100 MW en Espagne, l’une des plus grandes puissances dans le domaine, avec une capacité de stockage de 9 heures, exigerait un investissement initial de 400 millions d’euros aujourd’hui et générerait 1000 emplois pendant la phase construction et assurerait 100 emplois pendant les 25 ans d’opérations de sa vie utile. Ce qu’on sait de l’énergie photovoltaïque, est qu’elle est caractérisée par : - le soleil est intermittent, donc nécessite des capacités de stockage en conséquence. -la densité énergétique est faible, donc nécessite une technologie de mise à niveau avec le réseau électrique d’accueil. Les sites de production sont spécifiques : durée et intensité d’ensoleillement, espaces considérables, géographiquement éloignés des zones utilisatrices. -le transport de l’énergie électrique implique des distances importantes et donc des pertes de transmission importantes. Les coûts de construction et d’installation sont élevés. L’expertise est aux mains de quelques grands pays qui exportent cette énergie, comme les Etats-Unis, l’Allemagne, le Canada, l’Espagne et la Chine. Les processus de fabrication sont polluants. -Les technologies efficaces de recyclage des panneaux solaires après la fin de leur vie utile, sont inconnues. Aussi, il n’y a pas à ce jour de technologie ou approche scientifique avérée et fiable de recyclage des composantes toxiques des panneaux solaires. La problématique est si sérieuse qu’une coalition d’experts de la Silicone-Valley (USA) suit de très près les pratiques des producteurs d’équipements de cette industrie, comme SunPower (Etats-Unis), SunWorld (Inde), Trina (Chine). La problématique environnementale ne se pose pas actuellement pour les pays qui ne produisent pas les panneaux solaires, elle se posera dans 25-30 ans, quand il faudra recycler les panneaux solaires.  A moins de pouvoir négocier le renvoi des panneaux usés aux pays producteurs de panneaux solaires, il faudra se résigner à polluer notre propre sol d’ici 25-30 ans, ce qui est une problématique de santé publique sérieuse. Au-delà des enjeux futurs au plan environnemental, certains observateurs considèrent le projet comme le chantier de trop pour un pays qui s’enlise dans la crise. Sa rentabilité étant, à leurs yeux, incertaine.  Moins radicaux, d’autres y voient une alternative non optionnelle mais recommandent la temporisation. De quel côté êtes-vous ?  Si on fait l’hypothèse que la science sera au rendez-vous d’ici 30 ans (problématique environnementale), et qu’on observe l’environnement socio-économique algérien, est-ce que le coût économique d’une stratégie d’énergie renouvelable est si stratégique et sera bénéfique? Pour moi, le modèle économique n’est pas clair; je ne vois pas les bénéfices économiques directs pour une Algérie qui travaille pour accroître ses capacités économiques. Il me semble que les énergies renouvelables deviennent pertinentes quand une économie tourne à pleine ou grande capacité, ce que nous n’avons pas atteint encore. Sans oublier les contraintes de rentabilité, et la discipline budgétaire, selon les données Meteosat, il coûterait pour le territoire algérien entre 0.115-0.13 €/kwh pour produire de l’énergie photovoltaïque, sans compter les coûts initiaux et les coûts connexes. L’Algérie a, pour le moment, assez de potentiel d’énergie fossile pour supporter son économie et se passer d’énergie renouvelable. Par exemple, une priorité bien fondée et inscrite dans la loi de finances 2017 et très pertinente d’ailleurs, le projet qui vise à augmenter les capacités de raffinage du carburant d’ici 2019, cette action réduira la facture d’importation des dérivés pétroliers, et supportera sans aucun doute l’expansion de l’économie. Sur le point des opportunités de développement économique, je verrais bien une action prioritaire dans le domaine de la santé, sur la disponibilité et la présence géographique, notamment au sud du pays, des unités de soins spécialisés des maladies graves, ou encore un hôpital spécialisé pour enfants, comme les hôpitaux Ben Ali Shrine. Dans le cadre de projets stratégiques pertinents pour l’Algérie, on pourrait penser également à accroître la couverture du transport aérien et ferroviaire, avec plus d’aéroports et de lignes de chemin de fer, ce qui augmentera la fluidité et la progression de l’économie algérienne. Avec de telles actions on serait pertinents, socialement et économiquement parlant, et on pourrait alors par la suite électrifier ces infrastructures avec de l’énergie photovoltaïque. En fait, j’aurais tendance à dire qu’on devrait encourager fortement les projets qui visent à renforcer les capacités existantes de l’énergie algérienne dans l’immédiat, et dont on a besoin pour faire progresser notre pays, et on pourrait prioriser plus tard des initiatives d’énergie renouvelable, dont les retombées économiques ne se manifesteraient qu’à très long terme.


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