Décryptage/ La bureaucratie algérienne veut créer une industrie automobile «sur le papier» 



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Décidément le montage automobile semble la grande affaire du gouvernement Tebboune. Une réunion interministérielle lui a été consacrée, dimanche dernier, en présence des  ministres de l’Industrie, du Commerce, des Finances, du gouverneur de la Banque d’Algérie et du président de l’ABEF, réunis autour de Abdelmadjid Tebboune. Tout ce beau monde a étudié le nouveau cahier des charges annoncé depuis quelques mois et  consacré à l’industrie automobile en dénonçant au passage les «failles» et  les «incohérences» de l’ancienne  réglementation.

Les indiscrétions distillées sur le futur cahier des charges élaboré par le gouvernement algérien pour réguler l’industrie automobile filtrent au compte goutte. Il  comporterait trois nouveautés. C’est  ainsi que les nouvelles entreprise de productions seraient astreintes à un seuil minimal de participation au capital du partenaire étranger, elles devront investir en même temps dans la sous-traitance et seront tenus d’exporter une partie de leur production. En attendant, décision a été prise de geler les dossiers encore à l’étude au niveau du ministère de l’Industrie. Une décision qui ne concerne pas les trois usines déjà fonctionnelles: Renault , Hyundai et Volkswagen, inaugurée voici seulement quelques jours.

Usine Volkswagen: le gouvernement envoie le ministre du commerce

Pour l’inauguration de la nouvelle usine Volkswagen sous le soleil de Relizane, jeudi dernier, le gouvernement algérien a envoyé le ministre du commerce. Pas de Premier ministre. Pas de ministre de l’Industrie. Le message est clair : le gouvernement algérien ne considère apparemment pas l’activité de montage automobile dans sa version actuelle comme une activité industrielle. L’ennui c’est que, voici à peine quelques mois, les représentants du gouvernement algérien considéraient, Premier ministre et ministre de l’Industrie en tête, l’annonce de l’implantation d’une usine Volkswagen comme un succès éclatant pour notre pays et la stratégie industrielle de son gouvernement .

Ahmed Saci: «La phase de construction le plus vite possible»

Jeudi dernier, le ministre du Commerce, Ahmed Saci, s’est montré impatient en restant très ferme sur les nouveaux principes affichés par les autorités algériennes et en continuant à renvoyer tout le monde «à un cahier des charges en préparation, qui sera rendu public dans les prochaines semaines, et qui donnera plus de visibilité à la démarche du gouvernement». Il a affirmé ainsi que «le soutien de l’Etat à l’industrie mécanique vise à passer de la phase du montage des véhicules à celle de la production». M. Saci a ajouté: «Nous demandons l’extension de cette usine à toutes les activités pouvant servir l’économie nationale par la réalisation d’autres usines de sous-traitance, la réalisation de l’intégration économique, l’acquisition du savoir-faire et des technologies, l’exportation des véhicules et la mise en place d’une véritable industrie créatrices de richesses».

Herbert Diess: «On décidera après deux ans d’expérience»

De son côté, le président du directoire de Volkswagen, Herbert Diess, qui s’était, lui, donné la peine de faire le voyage de Relizane en compagnie d’une délégation de plus d’une quarantaine de cadres de Volkswagen, Seat et Skoda, a déclaré que «ce projet est une première phase d’un grand projet. Grâce à notre usine en Algérie, nous développons avec notre partenaire Sovac la présence des marques du groupe en Afrique du Nord […] la marque Volkswagen peut désormais écrire une nouvelle histoire à succès en Afrique». Le dirigeant du géant allemand de l’automobile est cependant resté prudent en adressant ce qui peut être interprété comme une sorte de mise en garde aux autorités algériennes: «Nous commençons par le montage de quatre modèles de véhicules, ce qui est en soit une première. La prochaine étape pourrait être le passage à un taux d’intégration supérieur. C ‘est une décision qui sera prise ultérieurement après deux années d’expérience».

Mourad Oulmi arrondit les angles

Entre le marteau et l’enclume, le PDG de SOVAC Production, Mourad Oulmi, marche sur des œufs et cherche à arrondir un peu les angles face à l’humeur et aux stratégies changeantes de nos dirigeants et à la prudence compréhensible de son partenaire allemand. «Depuis plus de dix ans, nous sommes le représentant officiel du groupe Volkswagen en Algérie. Aujourd’hui, commence une nouvelle ère pour notre partenariat. Sovac Production fait désormais partie intégrante du groupe», a déclaré M. Oulmi. «Ensemble, nous créerons un réseau industriel dans lequel nous construirons non seulement des véhicules, mais aussi une structure d’approvisionnement qui répond aux exigences de la production locale», a ajouté le PDG de Sovac. «Aujourd’hui, la première phase a été amorcée et l’objectif est vraiment de faire de l’Algérie et de Relizane une plateforme d’exportation de pièces de rechange et d’équipements de véhicule, et créer tout un écosystème pour que l’Algérie puisse devenir un exportateur».

Mourad Oulmi continue de plaider en faveur d’un partenariat privilégié avec le groupe allemand. Un message qui a peut être été entendu par le gouvernement algérien, si on en croit Ahmed Saci. «Nous voulons que le Groupe allemand de renommée mondiale devienne notre allié et notre partenaire pour consolider l’industrie automobile en Algérie, acquérir le savoir-faire en matière de construction et de technologie, élargir le champ de cette industrie et faire de l’Algérie un pays exportateur de ces véhicules», affirme le ministre du Commerce.

De huit à dix ans pour passer au stade «industriel»

Mourad Oulmi en est convaincu et le  répète depuis plusieurs mois: la taille du marché algérien ne permet pas d’accueillir plus de deux ou trois constructeurs et ces derniers doivent être en priorité Renault et Volkswagen qui sont les seuls susceptibles de mobiliser autours d’eux les réseaux de sous-traitants qui permettront de créer une vraie industrie de montage auto en Algérie. Il ajoute, en cherchant à tempérer l’impatience quasi juvénile des responsables gouvernementaux, qu’«il faudra dix ans pour créer une telle industrie dans notre pays».

Jeudi dernier, à Relizane, le DG-adjoint de Sovac Production, Mokhtar Naïli, expliquait à son tour aux journalistes que «d’ici deux ans, nous passerons au MKD et ensuite au CKD à moyen terme. À cette étape-là, le véhicule sera complètement méconnaissable, car tout est pratiquement démonté. On aura besoin d’un écosystème d’équipementiers qui entourent l’usine et qu’on est en passe de mettre en place. Comme on aura besoin d’expertise, du coup le SKD et le MKD sont deux étapes essentielles pour mettre en œuvre une véritable usine. D’ici huit ans, nous ne recourrons à aucun de ces process» .

Les fonctionnaires algériens perfectionnent leur «cahier des charges» 

Le PDG de Sovac et  ses collaborateurs n’ont d’ailleurs rien inventé et ils ne s’en cachent pas. La stratégie dont ils parlent est exactement celle que nos voisins marocains ont mis en œuvre avec succès depuis plusieurs décennies, en établissant une relation privilégiée avec le groupe Renault d’abord, et son grand concurrent Peugeot depuis quelques années. Pendant ce temps, nos fonctionnaires  qui continuent de couper les cheveux en quatre, semblent persuadés qu’on peut construire une industrie rien qu’en perfectionnant tous les six mois des textes réglementaires et annoncent le prochain «cahier des charges» de l’industrie automobile comme la huitième merveille du monde. Au fait, au Maroc, il n’y a ni 51/49, ni cahier des charges pour les constructeurs automobiles. Le pays prévoit de produire d’ici 2020, près d’un million de véhicules dont 90 % seront exportés avec un taux d’intégration local supérieur à 60 %. Cherchez l’erreur!

Yazid Taleb


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