Contribution/ Abdelmadjid Tebboune et le « mur de l’argent »



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Pour l’immense majorité de l’opinion nationale, la chose est entendue. La démarche d’Abdelmadjid Tebboune qui visait à séparer le monde de la  politique et celui des affaires s’est fracassée sur le  « mur de l’argent ». En moins de trois mois, le plus éphémère des premiers ministres algériens depuis l’indépendance vient de faire l’expérience amère de la puissance des nouveaux oligarques. Cette image d’Epinal, malgré son côté caricatural, n’est pas complètement fausse.

Depuis au moins une décennie, la scène politique et économique algérienne suggère avec force l’existence de deux courants concurrents au sein da la classe dirigeante du pays. Pour dire les choses simplement: un courant bureaucratique et un courant libéral. Ce sont ces deux courants qui viennent de se succéder en un temps record à la tête du gouvernement. La tendance pragmatique et libérale  incarnée par le couple Sellal-Bouchouareb et la tendance bureaucratique et étatiste représentée par le tandem Tebboune-Bedda.

Stigmatisation du secteur privé…

En moins de 100 jours Abdelmadjid Tebboune a réussi la performance de faire l’unanimité contre lui au seins des opérateurs économiques. L’équipe de M. Tebboune, dans ce qui s’apparente à une offensive en règle contre le secteur privé, a successivement cloué au pilori les importateurs, les investisseurs de la filière automobile, les entreprises de travaux publics, l’industrie du montage électronique et de l’électroménager et les exportateurs de produits alimentaires «subventionnés». On notera au passage que cette mise en accusation publique s’est effectuée sans aucun préavis et sans aucune concertation préalable avec les opérateurs concernés en prenant la forme de communiqués et de rapports directement adressés aux médias.

La démarche du gouvernement Tebboune à l’égard du secteur privé n’a pas  concerné  seulement les entreprises nationales; elle s’est étendue  également aux entreprises étrangères qui ont décidé d’investir  en Algérie: le premier ministre lui-même ainsi que son ministre de l’industrie n’ont pas jugé utile de se déplacer à Relizane pour l’inauguration, fin juillet, en présence du Président du directoire de Volkswagen et de 40 de ses collaborateurs de groupes SEAT et Skoda de la seule usine du premier groupe mondial de l’automobile en Afrique du Nord.

…Et retour de l’Etat régulateur

Cette stigmatisation du secteur privé s’est accompagnée d’une vaste offensive bureaucratique marquée par le développement tout azimuts des licences d’importation destinées à «réguler le commerce extérieur». Simultanément la préparation d’un «cahier des charges» était annoncée depuis plus de deux mois dans la filière automobile pour «encadrer» l’action des investisseurs potentiels. Les deux démarches devant marquer symboliquement le retours de l’Etat régulateur.

 Le couple Sellal-Bouchouareb entre libéralisme et «affairisme»

Avec le recul nécessaire, les trois mois du gouvernement Tebboune apparaîtront comme un retours de balancier et une réaction de la fraction bureaucratique de la classe dirigeante contre ce qu’elle considère comme les excès et les dérives «libérales» du couple Sellal-Bouchouareb. Les cinq années du gouvernement Sellal ont en effet, comme jamais auparavent, donné de  la visibilité à l’action et à la parole des  entrepreneurs privés algériens.

A telle enseigne que ce nouveau statut a, rapidement et hâtivement, été interprété comme une prise de pouvoir économique, voire politique. Les analyses et les dénonciations de l’influence occulte des «oligarques» n’ont pas tardé à pleuvoir. Les dérives «affairistes» de l’exécutif, soupçonné de favoriser les «industriels amis» au détriment de leurs concurrents   ou de laxisme et de complaisance dans l’attribution des marchés publics, ont scellé la réputation du gouvernement Sellal.

Ahmed Ouyahia ou l’«homme de la situation»

A la suite de ces deux expériences d’une durée très inégales, mais tout  aussi instructives l’une que l’autre, le positionnement récent d’Ahmed Ouyahia apparaît comme une sorte de point d’équilibre entre les deux tendances concurrentes au sein de la classe dirigeante qui n’ont certainement pas fini de vider une querelle dont les prochaines années nous promettent encore quelques rebondissements .

Par petites touches, celui qui va entamer aujourd’hui son quatrième mandat de premier ministre en un peu plus de 20 ans est parvenu à imposer au cours des derniers mois son image d’«homme de la situation». Sa dernière intervention publique avant sa désignation à la tête du gouvernement est à cet égard tout à fait significative. Alors qu’il était plutôt affublé jusqu’à ces dernières années d’une réputation de partisan acharné du secteur public, Ahmed Ouhahia, qui n’est pourtant pas suspect de «libéralisme», s’est exprimé clairement sur le sujet sensible des privatisations en préconisant le 12 juin dernier, « la privatisation des entreprises publiques dont la situation financière se détériore en raison des problèmes  liés au plan de charge et à la gestion », en citant à ce titre des hôtels et minoteries qui « doivent être rachetés par des acquéreurs locaux ». Une synthèse très opportune à un moment très opportun. On n’en attendait pas moins d’un homme politique aussi chevronné.

 Yazid Taleb

 

 

 

 

 


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