Transport

Un secteur qui tourne en rond



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Bus, tram, métro… Théoriquement, tous les moyens de transport existent à Alger. Alors que des moyens colossaux ont été dégagés pour améliorer la qualité de services, de nombreux couacs restent encore à corriger. Analyse avec une chercheure en économie des transports et responsable. «Je me lève tous les matins à 6h. Dans la région où j’habite, le transport public est quasi inexistant. Je travaille à Alger. Pour rejoindre mon entreprise le matin, je dois impérativement transiter par Chéraga ou Douéra. Vu la circulation connue qu’il y a dans ces régions, il faut compter au minimum 1h30 de trajet. On aurait dit que je viens de Tizi Ouzou. Le pire c’est à la fin de la journée en rentrant d’Alger. J’arrive à Chéraga ou Douéra vers 17h30. A cette heure-ci, il est difficile, voire impossible de trouver un bus, notamment en hiver. Je me rabats alors sur les taxis clandestins. Leurs tarifs sont exorbitants, mais n’ayant pas le choix, je paye.» Mokrane, 32 ans, habite à Souidania. Ce dernier s’interroge : «Pourquoi les bus s’arrêtent  tôt ? Pourquoi ne pas mettre en place un système de roulement afin d’assurer le transport H24 comme à l’étranger ?» Mokrane n’est pas un cas isolé. En effet, nombreux sont ceux qui habitent des coins reculés et qui galèrent chaque matin pour trouver un transport. Alors que des enveloppes conséquentes ont été dégagées pour améliorer le secteur du transport public, il semblerait que de nombreuses lacunes ne soient pas encore corrigées. Pour El Watan Week-end, Lila Chabane, chercheuse en économie des transports et responsable d’une équipe de recherche sur les dynamiques urbaines au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread), fait son constat et livre son analyse sur la situation du transport. Elle propose également quelques solutions pour améliorer la qualité de service dans ce secteur. Etat des lieux Il y a eu des améliorations significatives dans l’offre en transport public de masse. L’Etat a beaucoup investi dans les moyens de transport public (tramways, métro, électrification des lignes de chemin de fer...). Cependant, s’agissant du transport public de petite capacité, comme les bus, des lacunes existent toujours du côté de la qualité du service offert par les opérateurs de statut privé. Ce mode d’exploitation des services publics de transport, qui est de type artisanal, a pris de l’extension dans la ville d’Alger, ce qui pose d’énormes problèmes pour la gestion de l’organisation et le contrôle de cette activité et affecte en même temps la qualité du service en termes de sécurité, de confort des usagers, du non-respect du cahier des charges, du morcellement géographique du réseau et des inégalités territoriales de l’offre en transport public d’une manière générale. La ville d’Alger possède actuellement un important parc de transport public par bus, mais la contrainte d’étroitesse du réseau ferroviaire, de sa saturation en plus de la topographie accidentée et d’un tracé sinueux, a fait que le réseau actuel de transport public par bus n’est pas performant, si on se réfère à la fréquence de passage et au temps de parcours. Pour palier ces contraintes et renforcer l’offre du réseau de transport public, le transport par câble a été introduit dans la ville. Un transport fiable qui ne subit pas les aléas de la circulation routière générale, et par conséquent, l’usager n’est pas pénalisé dans les temps d’attente. Ressenti des voyageurs Nous nous sommes intéressés dans nos recherches à l’analyse de l’offre du transport public. Nous supposons que lorsque l’offre est de bonne qualité en termes de confort, de fiabilité, du temps de transport, de disponibilité, de facilité d’aller d’un mode de transport à un autre, de sécurité et que le prix du service est socialement acceptable, l’usager ne peut être que satisfait. Malheureusement, ce n’est pas le cas sur tout le réseau. D’un côté, la plus grande partie de la demande en déplacement est prise en charge par les services de transport public par bus, dont la circulation est conditionnée par la capacité limitée de voirie qui est aussi utilisée pour la circulation individuelle. Nos voies de circulation sont affectées par le problème de congestion qui allonge les temps de transport. Ajouter à cela une multitude de microentreprises de statut privé, dont l’organisation et le contrôle par l’administration ne sont pas chose aisée. Etusa en bonne voie L’opérateur public du réseau qui est l’Etablissement public de transport urbain et suburbain d’Alger (Etusa) bénéficie des aides publiques pour son fonctionnement et a à sa charge l’obligation de desservir des lignes qui peuvent être non rentables et à transporter des usagers bénéficiant de la gratuité du billet ou de réduction. L’Etusa dispose d’un parc de matériel roulant plus important en nombre et en capacité. L’Etusa, malgré des difficultés financières qu’elle rencontre occasionnellement, assure une meilleure moyenne d’amplitude du service quotidiennement sur tout le réseau qui est estimée, selon nos études, à 12 heures 41 minutes et répond aux exigences et aux normes d’un service public de qualité, si on se réfère à la fréquence de passage, l’amplitude du service, la qualité de la prise en charge du client à bord du véhicule et aux moyens humains et matériels dont elle dispose. Critères essentiels pour exercer dans le service du transport public Pour exercer dans l’activité de transport public de voyageurs, il faut impérativement passer par une formation qualifiante pour les nouveaux postulants à l’exploitation d’un service de transport public de voyageurs et procéder à la professionnalisation progressive des opérateurs en activité (formation convenant aux transporteurs propriétaires du matériel roulant et aux conducteurs, exigences de qualité au niveau du véhicule en exploitation et au niveau du service offert). La professionnalisation du secteur implique la création d’un organisme de formation qui prendra en charge des enseignements sur l’organisation et la gestion de ce type d’entreprise. Par ailleurs, il faut disposer de moyens humains et matériels en adéquation avec l’exigence du cahier des charges pour la prise en charge d’un service public (les lignes à desservir, la fréquence et l’amplitude horaire pour chaque ligne, le matériel roulant adapté, le choix des exploitants, les modalités de concession du service public, la tarification pratiquée…). Etant donné le nombre très important d’opérateurs de statut privé de transport public urbain par bus, les autorités en charge du secteur doivent adopter la meilleure stratégie pour tirer profit de l’existence de ce secteur sur le marché pour offrir aux usagers un service public de qualité. D’où la nécessité de mettre en place, en concertation avec les corporations professionnelles, des mécanismes pour regrouper ces opérateurs dans une optique de création d’entreprises capables de répondre aux futurs appels d’offres de l’autorité organisatrice des transports urbains pour exploiter des services de transport public. Aussi, l’adoption d’un système de billetterie multimodale renforcera la coopération entre les divers opérateurs et facilitera l’intervention de l’autorité organisatrice, en matière de contrôle, de maîtrise et de connaissance du niveau de l’offre et de la demande pour alimenter ses études et prévisions. Qui surveille le secteur privé ? Selon la réglementation en vigueur, c’est l’Etat et les collectivités territoriales qui sont chargés de réglementer et de contrôler les conditions générales d’exercice des activités de transport. Il faut savoir qu’il existe au niveau de la direction des transports de chaque wilaya une commission qui veille au respect des conditions d’exploitation d’un service de transport et à l’exécution du service public. L’Autorité organisatrice des transports urbains d’Alger, mise en place récemment, aura à déterminer les niveaux de service des différents modes de transport public et à assurer les missions et la responsabilité du contrôle de la qualité du service offert par les entreprises et de la bonne réalisation du service. Par ailleurs, il est nécessaire de mentionner que le dispositif contrôle-qualité n’est efficace que s’il est mis en pratique par des sorties inopinées et fréquentes des agents de contrôle et il est suffisamment encadré par la définition des normes de qualité et des sanctions et amendes correspondantes au degré et à la gravité de l’infraction commise. Sur papier,, le secteur est bien encadré La réglementation algérienne est dotée de textes pour encadrer le contrôle de qualité du matériel roulant via le contrôle technique des véhicules de transport public de voyageurs. Aussi, la loi 01-13 portant orientation et organisation des transports terrestres dans son article n°62 alinéa 4 prévoit des sanctions en cas de non-conformité de l’exploitant aux exigences de la qualité. En effet, le non-respect des prescriptions du cahier des charges dans lequel il est clairement précisé que «le transporteur public routier de personnes est tenu de soumettre son véhicule au contrôle technique automobile périodique conformément à la réglementation en vigueur». (Arrêté du 11 août 2007 portant cahier des charges-type fixant les conditions d’exploitation des services publics réguliers de transport routier de personnes, article 11) est passible de sanctions graduelles selon la récidive et qui vont de la mise en fourrière pour une durée de 3 mois jusqu’au retrait définitif de l’autorisation de l’exploitation. Le retrait définitif de tout ou d’une partie des autorisations est prononcé en cas de récidive dans un délai de 12 mois suivant le prononcé d’une sanction d’un retrait temporaire de trois mois. Cependant, les infractions aux règles d’exploitation du service sont constatées par les agents de l’administration responsable du secteur, mais d’autres types d’infraction tels que la revente illégale du véhicule avec l’autorisation d’exploitation en contrepartie d’une reconnaissance de dette, le non-respect du code du travail (droit à la protection sociale et aux heures de repos pour les chauffeurs et receveurs) et d’autres infractions qui échappent au contrôle. Tous ces dispositifs ne peuvent à eux seuls fonctionner convenablement, si en amont nous n’avons pas réglé le problème de l’organisation de l’offre, de la mise en œuvre d’un cahier des charges adéquat à une offre de service de qualité. Aussi, l’interface de l’autorité organisatrice des transports à Alger doit être une entreprise de grande envergure qui aura les capacités humaines et matérielles pour répondre aux exigences de la mission d’un service public pour améliorer les conditions de déplacement des personnes et de ce fait la qualité de vie dans nos villes. Par ailleurs, la société civile doit être impliquée et mise à contribution à travers les associations de défense du consommateur pour dénoncer les pratiques illégales. Qu’en est-il des prix ? Les tarifs applicables sur les services des transports publics urbains sont fixés par voie réglementaire et sont révisés périodiquement. Actuellement, il y a une absence d’intégration tarifaire. Chaque opérateur a une tarification distincte, fixée par l’Etat et sans intégration ou tout au moins coordination. Les opérateurs de statut privé de transport public par bus appliquent une tarification basée sur un prix global arrêté par ligne exploitée, proportionnellement à la distance parcourue. La tarification est théoriquement réglementée, mais il y a un consensus entre les opérateurs de statut privé sur le prix du ticket pour le transport public par bus. Ainsi, le tarif est différent d’une ligne à une autre. Initialement il devait être calculé en fonction d’un prix unitaire voyageur/km. Cependant, après chaque augmentation des prix des carburants, les exploitants privés ne manquent pas de réviser leurs tarifs à la hausse en recourant à la négociation avec les autorités publiques après un mouvement de grève où l’usager est utilisé comme un moyen de pression, mais sans que cela ne se répercute positivement sur la qualité du service offert. Pour ce qui est de l’Etusa c’est une tarification unique qui est pratiquée sur les lignes qu’elle exploite. Le système actuel de tarification de l’Etusa est basé sur le principe du sectionnement : les lignes exploitées sont découpées en sections. C’est-à-dire que la grille des tarifs comprend des niveaux dont le minimum de perception, le prix d’une section moyenne de 3 km, s’ajoute à cela, le prix d’embarquement, ce qui donne un tarif minimum pour une section. Les coûts de production d’un service de transport public par l’Etusa sont plus élevés que ceux des services comparables gérés par le secteur de statut privé. En prenant en considération l’aspect purement économique et financier de cette activité, la pratique par l’Etusa d’une tarification réglementée n’obéissant pas aux lois de la rentabilité économique, mais plutôt à la sujétion du service public, d’un bien considéré comme stratégique par l’Etat. Cependant, cela a des effets négatifs sur la solvabilité financière de l’entreprise et de ce fait sur le service offert si les compensations ne sont pas équivalentes aux pertes et si des ressources pérennes de financement des transports publics faisaient défaut. Concernant le transport via métro et tramway, le prix appliqué a été fixé de manière à ce que l’Etat prenne en charge une partie du prix réel pour offrir un prix socialement acceptable et couvrir le coût de production du service. Ce type de tarification pratiquée dans le cadre de contrat PPP pour la délégation d’un service public et où le risque commercial est pris en charge par le partenaire le mieux apte à le maîtriser et à l’estimer à sa juste valeur. Il existe aussi un fonds spécial pour le développement des transports publics qui est constitué essentiellement de la taxe sur les transactions des véhicules neufs et de la contribution des concessionnaires pour financer les dépenses de soutien des tarifs des transports publics. Réguler l’activité Il faut en premier lieu revoir l’organisation actuelle des opérateurs de statut privé du transport public par bus. Les conditions de départ d’exploitation de ce service n’ont pas été respectées pour parer au plus urgent, c’est-à-dire présenter une quantité importante de l’offre au détriment de la qualité. Maintenant, il faut carrément revoir les conditions d’entrée sur le marché des transports publics, nous devons à moyen terme passer de la concurrence dans le marché à une concurrence pour le marché et être plus exigeant dans les clauses du cahier des charges en termes des conditions de délégation du service public et des normes de fourniture de services de transport public. Pour une meilleure rationalisation des moyens disponibles et une meilleure rentabilité et visibilité du réseau, il faut hiérarchiser les services de transport public par capacité en recherchant la complémentarité entre les modes de grande capacité et les modes de petite capacité pour mettre à la disposition des usagers un système de transport public intermodale intégré. A moyen terme, le transport public par bus exploité par les opérateurs de statut privé pourra jouer un rôle complémentaire à un noyau d’axes forts d’un système de transports publics urbains. Les pouvoirs publics sont le principal acteur du financement des transports publics, néanmoins pour assurer la pérennité du système, il faut en plus de la part du coût de production du service supportée par l’usager à travers le prix du ticket à l’unité, mettre à contribution les bénéficiaires indirects des transports publics, tels que les grandes surfaces, les moyennes et grandes entreprises qui sont localisées dans le périmètre du réseau en exploitation à travers un dispositif d’imposition proportionnelle. Par ailleurs, la pratique de la fraude sur un système de transport public peut porter un grand préjudice aux performances économiques du système. Ainsi, si pour le métro la fraude est pratiquement inexistante, étant donné le système efficace de surveillance mis en place et le passage protégé par des barrières magnétiques pour l’accès aux quais, ce n’est pas le cas pour les bus de l’Etusa, les trains de banlieue et le tramway, pour lesquels même le recours à des contrôles inopinés ne dissuade pas les fraudeurs. Il faut mettre en pratique les systèmes de validation des tickets à l’intérieur du bus ou de la rame et/ou l’accès aux quais et encourager l’usage de carte d’abonnement magnétique avec des tarifs avantageux. L’Autorité organisatrice des transports urbains doit exercer pleinement son rôle dans la planification et la coordination du secteur du transport public urbain dans la ville d’Alger. Enfin, en ma qualité de point de contact national du programme de recherche européen H2020 «Transports intelligents, verts et intégrés», je dois mettre l’accent sur l’importance d’encourager la mise en service de modes de transport public moins consommateurs d’énergie et moins polluants, mais aussi sécuriser les déplacements en mode doux (la marche à pied et le vélo). Nous (les pouvoirs publics, les opérateurs économiques, le monde académique…) devons aussi encourager les jeunes start-ups qui proposent des solutions innovantes dans le domaine d’optimisation des déplacements, pour une plus grande visibilité et lisibilité du réseau actuel de transport public, pour une information en temps réel sur la qualité du trafic routier.  


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