«Il est de l’intérêt du gouvernement de maintenir les programmes sociaux et d’améliorer leur efficacité»



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Dans ses discours, le gouvernement s’engage à maintenir la politique sociale en cette période de crise. Quelle faisabilité pour cette promesse ? L’Algérie passe effectivement par une crise économique qui est en train d’altérer plusieurs segments de l’économie nationale. Nous devons repenser toutes les règles du jeu en vue d’apporter des solutions de sortie de crise. La protection sociale est un élément stabilisateur dans les moments de crise dans les pays en développement, mais aussi dans les pays développés. Cela est défendu par le J. M. Keynes (1936) qui a proposé le versement de supplément de salaire aux populations afin d’augmenter la demande globale et faire face à la surproduction et la crise économique mondiale de 1929. Cette hypothèse est aussi reconnue par plusieurs autres chercheurs, dont le prix Nobel d’Economie, J. Stiglitz (2001). La protection sociale est considérée comme un élément stabilisateur, car elle permet de maintenir le pouvoir d’achat et donc la demande globale à des niveaux élevés, ce qui est en faveur de la croissance économique. Il est alors de l’intérêt du gouvernement de maintenir les programmes sociaux, mais aussi d’améliorer leur efficacité. Le gouvernement devrait aussi rassurer la population sur la certitude des revenus futurs, car l’incertitude quant au revenu futur va inciter la population à augmenter son épargne de précaution et diminuer sa consommation, comme le démontre Deaton (1989). La baisse de la consommation aggravera la crise et empêchera toute politique de relance par la demande. Par ailleurs, dans cette période de restrictions budgétaires, nous devons nous assurer de l’efficacité des différentes politiques sociales, notamment les politiques sociales actives. Celles-ci consistent dans la création d’emplois salariés et non salariés : dispositifs ANEM (Agence nationale d’emploi), Ansej (Agence national de soutien à l’emploi des jeunes), CNAC (Caisse nationale d’assurance chômage) et les dispositifs d’insertion de l’ADS (Agence de développement social) et de l’Angem (Agence nationale de gestion de micro-crédit). Ces programmes sont censés participer à la croissance économique à travers l’augmentation de la production et la création de la richesses. Cependant, le constat de la dernière décennie a montré que la réussite de ces programmes est très discutable. Les programmes d’emploi et de relance économique ont manqué d’efficacité, mais cela n’est pas une particularité algérienne, d’autres pays ont aussi eu des mauvaises expériences avec les programmes d’emploi des jeunes. La littérature sur les politiques actives du marché du travail insiste sur la nécessité d’accompagner ces programmes d’emploi par de la formation, la nécessité de cibler les bénéficiaire et les régions adéquates (Kluve, 2010). En Algérie, la plupart des emplois créés dans le cadre de ces dispositifs sont placés dans le secteur des administrations publiques qui n’est guère un secteur à forte valeur ajoutée. Les expériences des pays d’Amérique latine ont déjà montré l’inefficacité des placements dans le secteur public (Puerto 2007, Urzúa et Puentes, 2010). Ces dispositifs d’emploi doivent plutôt cibler le secteur privé qui a une meilleure valeur ajoutée, selon les données des comptes économiques (ONS, 2015). Ces données montrent aussi que les secteurs de l’agriculture et de l’industrie sont ceux qui ont une plus grande valeur ajoutée et donc ils sont pourvoyeurs d’emplois. La politique sociale active d’emploi salarié et de création d’entreprise doit donc s’orienter vers ces secteurs. La réussite de cette politique d’emploi aurait des effets positifs sur le marché de travail et donnerait plus de recettes budgétaires à travers l’impôt sur le revenu. Quel serait justement l’impact de la crise actuelle sur le développement social ? Dans les temps de crise, les gouvernements doivent fixer leurs priorités. Le développement humain et le développement social devraient figurer dans les priorités de tous les pays en développement, dont l’Algérie. Tout en prenant en compte la pression budgétaire causée par la crise, le gouvernement devrait continuer ses programmes de développement social visant à améliorer le bien-être de la population. Cela permet de préserver le contrat social entre la population et le gouvernement (Davies et McGeorge, 2009) et facilite ensuite l’implémentation des réformes politiques et économiques. Le développement social doit être soutenu par le gouvernement et par les citoyens aussi. Il est de la responsabilité de toute la population occupée d’adhérer au système fiscal et au système de sécurité sociale qui sont considérés comme des mécanismes de solidarité et de mutualisation des risques entre les individus. Ils constituent aussi la source de financement de programmes sociaux. Certains de ces programmes sont universels (santé et éducation) et sont ouverts à toute la population. Malgré cela, une grande partie de la population occupée se fait passer pour des «passagers clandestins» profitant des soins gratuits dans les hôpitaux publics, mais ne contribuant pas au système de sécurité sociale et fiscale. Ce comportement de «cavalier seul» est présent dans plusieurs pays en développement et serait motivé par le manque de confiance dans les institutions, la lourdeur bureaucratique ou le taux élevé des prélèvement (Maloney, 2004). Le gouvernement algérien doit offrir des incitations à ces cavaliers seuls pour les attirer vers les systèmes de sécurité sociale et fiscale d’autant plus que les données de la comptabilité nationale de l’ONS montrent que les ménages ont une capacité de financement importante. Comment faire pour atténuer les conséquences sur les couches vulnérables ? Il se peut que certains secteurs soient touchés par la crise plus que d’autres et que la population pauvre soit plus affectée par la crise. En effet, les couches de la population vulnérable tel que les personnes âgées, les handicapés et les enfants issus de ménages à faible revenu devraient être pris en charge par le système de protection sociale. Il existe aujourd’hui des programmes d’assistance sociale pour toutes les catégories de la population vulnérable gérés principalement par le ministère de Solidarité, de la Famille et de la Condition de la femme (allocation forfaitaire de solidarité, allocation pour les handicapés, programme pour enfance privée de famille, programme pour famille démunie, etc.). Ces programmes doivent être préservés en cette période de crise. Cependant, le ciblage de la population vulnérable doit être bien étudié pour éviter d’en faire bénéficier des personnes indues. Aussi, les allocations fournies aux bénéficiaires doivent être actualisées en fonction de l’inflation et du Salaire minimum national garanti (SNMG). Par ailleurs, la gratuité des soins et de l’éducation constitue une réelle protection de la population contre deux risques sociaux majeurs. Cependant, l’amélioration de la qualité de l’éducation et des soins devient une urgence. L’éducation des enfants est l’une des trois leçons de l’Etat-providence avancé par Esping Anderson (1990). La bonne prise en charge de l’enfant dans le system éducatif et les autres écosystèmes (dont le système de santé) qui forment son environnement permet de produire une future population active productive sachant éviter les crises économiques.   *Centre de recherches en économie appliquée en développement


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