Extrait du recueil des mémoires de Khaled Nezzar

la guerre des Toyota



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Eté 1973, la Libye occupe militairement la bande d’Aozou en territoire tchadien dont elle revendique la possession. La bande d’Aozou est annexée par Kadhafi puis rattachée administrativement à Koufra. Kadhafi s’immisce également dans la guerre civile tchadienne, en prenant sous son aile Goukouni Oueddei, opposant à Hissène Habré qui, à l’époque, bénéficie de la protection de la France et des Etats-Unis. S’ensuit une guerre des chefs qui dure pendant plus d’une décennie. L’intervention étrangère, sous diverses formes, exacerbe le conflit.

En 1976, des troupes libyennes font des incursions dans le centre du Tchad avec les troupes du Frolina de Goukouni Oueddei. La capitale N’Djamena est menacée. Les hommes de Habré sont mis en déroute. Après l’échec du projet d’union tchado-libyenne à laquelle s’était rallié Oueddei, les formations de Kadhafi se retirent de la bande d’Aozou et sont remplacées par des forces de l’Union africaine.

Le 21 Juin 1983, des milices du Gouvernement d’Union nationale de transition (GUNT), obéissant à Oueddei, précèdent d’importantes troupes libyennes, franchissent la frontière tchadienne et se dirigent vers N’Djamena, capitale d’un Etat déchiré par vingt années de guerre civile. Décidée à mettre fin à la pénétration de Kadhafi en Afrique, les Français interviennent à «la demande de Hissène Habré».

L’opération «Manta» débute le 10 août 1983 par l’envoi d’un contingent de 314 parachutistes à N’Djamena, qui sera renforcé deux mois après jusqu’à atteindre 3 000 hommes. Ce corps est appuyé par une vingtaine d’hélicoptères et une trentaine d’appareils de l’armée de l’air et de l’aéronautique navale français. L’opération est soutenue par les éléments d’assistance opérationnelle de la République centrafricaine où est installée la base arrière. La Jamahiria libyenne paie très cher l’aventurisme agressif de son leader.

«La guerre des Toyota» est le nom donné à la dernière phase du conflit entre 1986 et 1987 dans le nord du Tchad à la frontière libyo-tchadienne. Les pick-up Toyota armés seront utilisés par les Tchadiens comme moyens de transport et dans des actions de guerre du type «rezzou». En mars 1987, les Tchadiens, aidés sur le terrain par le service Action de la DGSE française et par des renseignements de la CIA et du Mossad, prennent d’assaut et investissent la base libyenne de Ouadi Eddoum, située dans la bande d’Aouzou, pourtant protégée par des champs de mines, des chars, des véhicules blindés et des milliers d’hommes. La chute de la principale base libyenne dans la région donne un coup d’arrêt aux entreprises guerrières du «Guide».

Début 1987, le président Chadli me charge d’une mission auprès du colonel Kadhafi qui, craignant voir les Tchadiens remonter jusqu’au nord, demande une aide militaire urgente, sans nous préciser sous quelle forme il l’imagine. Nous esquissons les contours qu’elle peut prendre. Nous envisageons d’envoyer des unités algériennes prendre position dans le nord de la Libye afin que les forces libyennes en réserve puissent aller défendre les frontières de leur pays au sud.

C’est ainsi que, muni d’un dossier complet listant les moyens susceptibles d’être transférés chez nos voisins, je me rends à Tripoli pour informer le colonel Kadhafi des propositions du président de la République.

Je suis accompagné du colonel Lamari Mohamed, chef des opérations. Nous sommes reçus par le colonel Kadhafi sous sa tente à El-Azizia. D’emblée, il accepte les propositions du président Chadli.

Je reprends l’avion sur Alger et laisse le colonel Lamari sur place pour discuter des modalités pratiques d’installation de nos forces en Libye. Etant bien entendu qu’en aucun cas nous ne prendrons part à des actions contre les Tchadiens hors de la Libye. Et nous le faisons savoir.

Au bout d’une dizaine de jours, le colonel Lamari a «ficelé» le dossier. Reste un point qui ne peut trouver sa solution qu’après l’avis du «Guide suprême». Il s’agit des munitions en dotation dans les unités à transférer. La réponse ne tarde pas : «Les unités algériennes doivent venir sans munitions ! Il leur sera alloué, sur place, des munitions d’instruction à justifier par le reversement des étuis». Nous sommes stupéfaits. Envoyer des troupes dans un pays en guerre sans munitions ! Nous doutons de l’équilibre mental de celui qui ose imaginer une telle aberration. Le Président de la République, informé, reste sans voix. La demande libyenne passe au pilon.

C’est la première fois que j’ai affaire aux Libyens. La seconde, c’est lorsque le chef d’état-major, le général Abdallah Belhouchet, me demande de recevoir une délégation militaire conduite par un colonel qui commande les forces terrestres. Je le reçois avec le général Abdelhamid Djouadi, chef de bureau à l’état-major. Cette «ambassade» militaire est venue nous proposer la fusion avec la Libye. «Nous sommes venus avec une feuille blanche, à vous d’inscrire vos conditions.» Ces avances en direction de l’Algérie font suite à plusieurs tentatives libyennes, toutes avortées, d’union avec ses voisins (avec l’Egypte en 1973, avec la Tunisie en 1974, avec l’Algérie en 1975, avec le Tchad en 1977 et encore une fois avec l’Algérie en 1987).

Le 5 septembre 1987, pendant le séjour en Algérie de cette délégation, les Tchadiens mènent une attaque surprise contre la base aérienne libyenne de Maaten Al-Sarra. Des centaines de soldats sont tués, des centaines d’autres sont capturés et d’autres sont contraints de fuir dans le désert. Les Tchadiens affirment avoir détruit 32 avions, la plupart des L39 tchécoslovaques et quelques Mig et hélicoptères. Des quantités de matériels sont emportées : radars, SAM III, blindés et engins blindés, véhicules de transport et la totalité de l’armement qui était dans la base.

Le jour de son départ, la délégation rend une visite à Abdallah Belhouchet. A la question de savoir ce qu’il était advenu de la base, le chef de la délégation répond : «Elle n’a pas subi beaucoup de dégâts. Les renforts sont sur place. La base fonctionne.» Belhouchet n’insiste pas. Evidemment, nous savions tous que ce n’était pas vrai. Ce colonel était-il de bonne foi ou bien voulait-il nous cacher la vérité ?

A Djenane El-Mithak, je le prends à part et lui dis la vérité sur ce qui s’est passé à la base de Maaten Al-Sarra. Je sors de ma poche la liste des matériels récupérés par les Tchadiens et la lui remets. Je lui dis : «Tout ce matériel va être vendu aux enchères, nous sommes prêts à l’acheter pour vous. Nous attendons votre accord !» Aucune réponse, ni de sa part ni de sa hiérarchie.

Ces aventures tchadiennes de Kadhafi nous ont instruits sur les dégâts que peut commettre un homme contre son peuple et contre ses voisins quand il dispose du pouvoir absolu.

Extrait du Recueil des mémoires du général Khaled Nezzar à paraître bientôt

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