Les limites d’une mesure



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En raison de la rareté des devises (baisse continue du prix du pétrole depuis juin 2014), le gouvernement a initié un certain nombre de mesures pour réduire sa dépense en général et économiser de la devise en particulier. C’est dans ce contexte que des mesures de restriction aux importations ont été prises. La dernière concerne une liste de 851 produits, entrée en vigueur le 7 janvier 2018. On se propose dans cette réflexion de faire un commentaire sur les limites de cette mesure. Le premier point à signaler est le caractère temporaire de cette restriction. Dans l’article 2 du décret susmentionné, il est précisé que cette restriction prendra fin dès «…rétablissement de l’équilibre de la balance de paiements …» (voir figure 1 ).  A titre de rappel, une balance des paiements résume la position extérieure d’une nation. Elle est la somme du solde de la balance commerciale et de la balance des services. Pour avoir une idée sur la date probable cette mesure de restriction sera levée, examinons l’évolution passée de la balance des paiements. On remarque que la balance des paiements est déficitaire à partir du second trimestre de l’année 2013 et elle l’est à ce jour. Donc le déficit de la balance des paiements est antérieur à la baisse du prix du baril du pétrole. Du fait des montants faibles des flux de capitaux et de services, comparativement à ceux des marchandises, le solde de la balance des paiements est déterminé dans une large mesure par celui de la balance commerciale (à hauteur 82%). Donc la levée de cette mesure de restriction ne va dépendre que de la valeur des exportations en hydrocarbures pour les prochaines années. Se pose alors la question suivante : est-ce que le gouvernement va lever cette mesure dès que le solde redeviendra positif sur un trimestre ou plusieurs (à définir) ? Du fait de la sensibilité des exportations au prix des hydrocarbures, le solde de la balance des paiements pourra redevenir subitement négatif après le trimestre ou l’année où il était positif. Alors se pose la question évidente suivante : le gouvernement remettra-t-il la mesure de restriction? Je pense que le fait d’avoir lié cette mesure au solde de la balance des paiements dans le texte a lié les mains du gouvernement  et posera un sérieux problème de conduite de la politique économique et brouillera la visibilité des agents économiques locaux et des partenaires internationaux. La dernière évaluation donnée par l’agence Euler Hermes  va dans ce sens. Dans les différentes déclarations du Premier ministre et de son ministre du Commerce, il était mentionné que cette mesure est un signe pour mettre en place une production locale de substitution aux importations. A part les producteurs locaux qui existent déjà et qui vont profiter de cette mesure, il est difficile pour un détenteur de capitaux d’investir dans un secteur qui, à tout moment, pourra être évincé par les importations. Si l’on se penche sur les projections  de la balance des paiements faites par les services du FMI, on remarquera que la balance des paiements va rester déficitaire jusqu’à 2022 au moins (voir figure 2). Ces projections ont été faites sur la base d’un prix moyen de 57$ le baril de pétrole. La diminution de la production physique en hydrocarbures enregistrée depuis le deuxième trimestre de l’année 2006 démontre que l’ajustement de la balance des paiements ne peut se faire que par un effet prix (celui du baril de pétrole). Pour que la balance des paiements redevienne positive, il faut que les exportations dépassent les 50 milliards de dollars et que les importations ne dépassent les 46 milliards de dollars. Comme l’Algérie est un price-taker (aucun effet sur la fixation du prix de pétrole sur le marché international), la seule marge du gouvernement, à l’heure actuelle, est de comprimer les importations, d’où la mise en place de ce système de restriction aux importations. Penchons-nous maintenant sur le contenu de cette liste et le profil des produits interdits d’importation. En termes d’importation, le chiffre «851» impressionne à première vue. Il est important de relever ici que ce nombre de produits est en référence à la nouvelle classification internationale du commerce international (Système harmonisé – SH à 10 chiffres). Cette nouvelle classification comprend près de 16 000 positions tarifaires. Donc la décision prise par le gouvernement ne représente, en termes de nombre, qu’un plus de 5% des produits qu’on peut théoriquement importer. En termes de valeur, la liste des 851 produits représentait, en 2016, un montant d’un peu plus de 2,3 milliards de dollars, soit environ 5% du total des importations. Si l’on s’intéresse au contenu de la liste pour comprendre la logique qui a servi à son élaboration, on remarque qu’elle est très concentrée. Les 851 produits sont répartis sur 31 chapitres sur les 97 possibles qui existent dans la nomenclature du tarif douanier. Un seul, le chapitre 2, concentre à lui seul 26% du nombre de produits interdits d’importation. Ce chapitre est relatif aux «viandes et abats comestibles» essentiellement congelés. Près de la moitié de ces 227 produits (111 positions) concerne la volaille congelée. Le deuxième chapitre est relatif aux «Préparations à base de légumes et de fruits», avec 74 produits. La figure 3 donne une idée sur la répartition de cette liste sur les principaux chapitres. Il est facile de remarquer que la plupart des produits qui figurent dans cette liste concurrencent une production locale existante (produits blancs, laits et dérivés, etc.). Leur interdiction a généré dans certaines filières (produits blancs et laits et dérivés) une augmentation des prix. Cette augmentation ne peut être expliquée par la valeur du dinar du fait que ce dernier ne s’est déprécié que de 2% vis-à-vis de l’euro et s’est même apprécié de près de 1% vis-à-vis du dollar américain sur la période janvier à avril de cette année. Interdire les viandes congelées suppose l’existence d’une offre locale suffisante. Les interventions du gouvernement en période de forte demande pour influer à la baisse les prix montrent que cette offre fonctionne sous forme d’un cartel (existence d’ententes sur les prix). Le mois de Ramadhan prochain en sera un bon test. Il est à craindre que le gouvernement ne se retrouve à revenir sur une mesure qu’il a lui-même mise en place pour contenir l’augmentation des prix sur les viandes rouges et blanches habituellement observées en période de Ramadhan. Pour les autres produits, les demandes formulées par les différents opérateurs, par voie de presse et autre, a montré que les concepteurs de cette liste n’ont pas pris le soin de vérifier l’existence d’une offre locale avant d’établir cette liste. Revenir sur une mesure, défendue au départ, réduit la crédibilité du gouvernement à l’interne et au niveau international. Le poids négligeable au niveau macroéconomique cache, au niveau des entreprises, une appréciation différenciée de cette mesure. Principalement, les craintes avancées par les entreprises sont les suivantes : • Absence totale de production locale de substitution aux produits importés. La mise en place d’une production locale prendrait du temps et pourrait rendre sa rentabilité remise en cause quant la mesure sera suspendue à l’avenir. • Difficulté de mettre en place certaines industries locales de substitution du fait que les étrangers refusent d’exporter leur savoir-faire. •  Risque de mise en place de listes négatives similaires par les partenaires étrangers (risque de réciprocité). Pour avoir gain de cause auprès du gouvernement, plusieurs associations d’entreprises privées organisées par filière (céramique, tisserands, fabricants d’arômes, etc.) ont saisi le ministère du Commerce pour annuler la mesure et/ou pour avoir des autorisations provisoires d’importation par quota. Ce travail de lobbying a porté ses fruits du fait que le ministère du Commerce a revu cette liste dans le sens où une soixante de produits vont être autorisés à nouveau à l’importation. L’annonce du Premier ministre de revoir cette liste chaque trois mois reflète l’absence d’une doctrine bien établie de gestion du commerce extérieur. Cette révision sera plus le résultat du lobbying des importateurs et des producteurs locaux qu’une vision claire du gouvernement en matière de gestion des importations. On remarquera aussi qu’au sein de cette liste, plusieurs produits n’ont jamais été importés. Si l’on prend l’année 2016, sur les 851 produits, 212 seulement ont été importés, soit environ 25% de la liste. Ceci prouve que la conception de cette liste a été pensée plus par famille de produits qu’en fonction de la capacité d’industries locales existantes ou à mettre en place pour prendre le relais. La situation d’incertitude actuelle (quatre ministres du Commerce en trois ans) ne plaide pas en cette faveur.  On a l’impression que le secteur du commerce extérieur a servi de variable d’ajustement pour économiser de la devise. Cette vision comptable d’une réalité macroéconomique n’est pas tenable à long terme. Le gain espéré (économie de devises) est inférieur au coût économique (inflation induite) et perte de crédibilité du gouvernement vis-à-vis des acteurs locaux et internationaux. Il était possible d’augmenter les droits de douane et certaines taxes pour limiter ces importations sans mettre en place des listes négatives. Les dispositions de sauvegarde existantes au niveau de l’Accord d’association et les autres arrangements commerciaux (GZALE, Accords bilatéraux) le permettent. Le bon sens aurait voulu que le gouvernement consulte ses partenaires économiques pour faire l’inventaire de ce qui peut être substituable aux importations avant d’établir cette liste. Il dispose des institutions et de sources de données suffisantes pour faire ce travail. On aurait pu faire l’économie de ce retour en arrière préjudiciable à l’ensemble de la collectivité.   Par : Mohamed Yazid Boumghar – maître de recherche – Cread – myboumghar@gmail.com   (*) Décret exécutif n°18-02 du 07 janvier 2018. (*) Sous l’hypothèse qu’il respecte ses propres engagements. (*) http://www.eulerhermes.com/economic-research/blog/EconomicPublications/country-risk-q1-2018-map-mar18.pdf (*) Malheureusement,  à l’heure actuelle ,on ne connaît aucun travail similaire fait par les institutions nationales (ministère des Finances, Banque d’Algérie, etc.) (*) https://www.commerce.gov.dz/actualites/levee-de-la-suspension-provisoire-a-l-importation-de-certains-intrants-necessaires-a-la-production-de-plusieurs-produits-alimentaires. (*) Conférence de presse du 14 avril 2018.


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