«Il faut diversifier autant que possible les sources et les mécanismes de financement»



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- Contrairement aux prévisions des institutions de Bretton Woods, vous ne croyez pas du tout à une spirale inflationniste en Algérie dans les deux ou trois prochaines années, malgré le recours à la planche à billets. Qu’est-ce qui conforte votre optimisme ? Il faut faire attention au sens des mots. Spirale inflationniste, cela renvoie à l’emballement de la boucle prix-salaires, et à des épisodes inflationnistes induits pouvant produire facilement des taux d’inflation à deux chiffres. Où voyez-vous les prémices d’un emballement de la boucle prix-salaires en Algérie ? Les fonctionnaires des institutions internationales que vous mentionnez ne sont pas dans ce scénario, ils semblent plutôt pointer l’inflation de type monétaire et ne vont pas jusqu’à prédire une inflation à deux chiffres dans les prochaines années. Regardez la première mouture de la toute récente note de la Banque mondiale que nous avons gentiment brocardée avec mon collègue Nour Meddahi dans un article rendu public avant-hier. Elle prévoit 7,5% d’inflation en 2017 et 9% en 2020. Ce que j’ai personnellement trouvé particulièrement gratiné dans cette première mouture, ce ne sont pas ces prévisions respectables, bien que contestables, mais l’absence totale de fond scientifique dans sa conclusion, après une argumentation particulièrement hasardeuse et spéculative : prendre la responsabilité scientifique d’annoncer une crise financière très proche en Algérie sur la base de spéculations aussi oiseuses et catastrophistes ! Je ne me suis pas contenté de grommeler dans ma barbe. La Banque mondiale a fait ce qu’il fallait, elle a rectifié. Pour revenir au fond du problème, il faut bien savoir de quoi on parle. Je ne suis ni optimiste ni pessimiste. Chacun sait que le biais inflationniste d’un stimulus monétaire peut ne pas être anodin. Mais tout dépend de sa taille, de son encadrement temporel et de l’allocation des ressources monétaires créées. Commençons par l’argument scolaire, l’inflation monétaire. La masse monétaire (M2), après avoir quasiment stagné en 2015 et 2016, a augmenté de 4,27% au premier semestre de 2017 et de 3,83 % au second semestre (8,27% pour toute l’année 2017). Hors dépôts du secteur des hydrocarbures, l’accroissement de M2 en 2017 a été plus faible (4,88%). On est loin des 14,6% en 2014, 8,4% en 2013, 10,9% en 2012 ou 19,9% en 2011. Il y a bien des raisons pour expliquer cet effet modéré sur la masse monétaire, l’une étant qu’une partie de la monnaie injectée a quitté le pays (certaines entreprises étrangères auront fait sortir leurs dividendes, Sonatrach aura probablement remboursé des dettes envers ses partenaires...). Une raison bien plus puissante pour ne pas céder au catastrophisme professé par certains milieux est de constater la bonne tenue de la Banque d’Algérie dans la gestion globale de sa politique monétaire dans cette nouvelle phase (ajustement de sa politique d’open market, augmentation du taux de réserves obligatoires…) et la bonne qualité de la coopération entre le Trésor et la Banque d’Algérie. - Pensez-vous qu’il est préférable de recourir à un financement non conventionnel qu’à un endettement extérieur bien géré et maîtrisé ? Il faut regarder le contexte. A l’époque où je faisais partie de la défunte task force du Premier ministre Sellal, j’ai pu constater de près l’étendue catastrophique de l’assèchement des liquidités bancaires qui sont passées de 2731 milliards de dinars à fin décembre 2014, à 821 milliards à fin 2016, pour en arriver à 780 milliards à fin juin 2017. Situation urgente s’il en est. Pensez-vous qu’on avait le temps de négocier dans les meilleurs termes et sans conditionnalité stricte un emprunt extérieur, de surcroît pour payer des dettes et honorer des engagements de très court terme ? Encore une fois, il faut être clair sur le financement non conventionnel ou «la planche à billets» si vous préférez. C’est un levier comme un autre. Comme l’emprunt national de 2016. Certains ont cru intelligent de dire que ce n’est pas parce que les Etats-Unis et l’Union européenne ont utilisé jusqu’à plus soif la planche à billets que cela nous habilite nous, Algériens, à la pratiquer. D’abord, le stimulus monétaire pratiqué est resté raisonnable jusqu’à présent et il est bien géré par la Banque d’Algérie et le Trésor. Nous avons quelques îlots de compétence quand même, je le dis avec une certaine ironie. Ensuite, concernant l’argument de l’inflation trop élevée en Algérie, il faut croire que l’inflation monétaire n’est pas si rampante que cela. L’inflation algérienne est une bien curieuse bête économique où la dérégulation des marchés est un facteur prégnant. La responsabilité de l’Etat dans le contrôle de l’inflation est absolument engagée. - L’injection graduelle et contenue de la nouvelle masse monétaire par le Trésor est-elle de nature à minimiser l’effet inflationniste de la planche à billets ? Existe-t-il d’autres mécanismes pour parer aux risques inflationnistes ? C’est un point que nous développons avec Nour Meddahi dans l’article ci-dessus mentionné. Les calculs que nous avons faits sur la base de la dernière Lettre de conjoncture de la Banque d’Algérie et la situation de compte de la Banque en novembre 2017 (notamment concernant la position créditrice du Trésor) est qu’il y a un montant de l’ordre de 718 milliards de dinars de la création monétaire récente qui n’est pas encore injecté dans l’économie. On peut donc en déduire que le Trésor dépense graduellement les ressources nouvelles. Ce qui permet d’éviter les pics d’inflation. Il y a bien d’autres instruments et actions que la Banque d’Algérie a pris récemment pour tenir compte de la nouvelle donne et remplir sa mission de contenir l’inflation monétaire : j’ai déjà mentionné la remontée du taux de réserves obligatoires (qui a conduit au gel de 320 milliards de dinars) et l’inflexion de sa politique d’open market, toujours pour moduler les liquidités bancaires (qui sont passées de 780 milliards de dinars en juin 2017 à 1380 milliards en décembre 2017). - Sous le régime des «licences d’importation» et le recours à la planche à billets, comment éviter une dévaluation risquée et critique du dinar ? Je veux bien faire tourner des scénarii catastrophes. Avouez quand même que le scénario dont vous parlez est un peu dépassé avec la fin programmée des licences d’importation (mais je reconnais que le rationnement des importations n’est pas en passe de disparaître) et les prix actuels des hydrocarbures, qui ont conduit à une très forte contraction du déficit commercial algérien au premier trimestre 2018. Il y a bien sûr un lien entre création monétaire et valeur de la monnaie interne et externe. Je rappelle que la valeur externe du dinar (le taux de change) est en flottement contrôlée par la Banque d’Algérie. Je fais partie de ceux qui pensent que l’instrument du taux de change n’a pas été suffisamment manié depuis le début de 2017, et bien avant le recours à la planche à billets. - Doit-on s'arrêter à ce type de financement qui reste tout de même fragile et comporte certains risques ? Vous avez raison de poser cette question, qui est majeure. Je pense qu’une partie du discours catastrophiste véhiculé par la première mouture de la récente note de la Banque mondiale se fonde largement sur la croyance presque religieuse que le gouvernement algérien va continuer, passez-moi l’expression, à se shooter à la planche à billets. Je ne peux pas être plus clair : la planche à billets ne peut pas être la clé de voûte du système de financement moderne que beaucoup d’entre nous appellent de leurs vœux depuis longtemps. Il faut diversifier autant que possible les sources et les mécanismes de financement, désengager l’Etat (par exemple, financer un groupe comme Sonelgaz sur un marché obligataire stimulé massivement, et non pas par la planche à billets ou par les banques) et… ne pas trop compter sur le monitoring de la Banque d’Algérie pour gérer une séquence accélérée de stimuli monétaires. La modernisation passe aussi par engranger des gains de crédibilité pour l’action publique. Le respect des engagements budgétaires en est un pilier essentiel, qui doit résister à la bonne tenue du brent ces dernières semaines.  


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