L’ex-DG de Schlumberger North Africa 

«N’achetez pas la raffinerie d’Augusta !»



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Par Hocine-Nasser Bouabsa(*) – Le peuple algérien est-il condamné à être éternellement le dindon de la farce ? Une autoroute qui coûtera en final 25 milliards de dollars, alors qu’elle n’aurait jamais dû dépasser 5 milliards d’euros (si on prend comme référence le prix moyen allemand de 5 millions d’euros par kilomètre, pour une qualité supérieure). Ajoutez à cela les affaires ArcelorMittal, Lafarge, Haliburton, Total, BRC, qui ne sont que la partie visible de l’iceberg de la corruption et la dilapidation criminelles des deniers publics de la nation algérienne.

L’encre qui a coulé pour dénoncer ces crimes qui minent la sécurité du peuple et de l’Etat algériens n’est pas encore sèche et voilà que surgissent à l’horizon les prémices d’un nouveau scandale dont les acteurs nous ont tellement habitués à la gabegie que le contraire nous aurait surpris. Il s’agit bien sûr de l’affaire de la raffinerie italienne Esso, que Sonatrach serait en train d’acquérir de l’américain ExxonMobil. Le PDG du molosse public n’a pas trouvé mieux que de parler d’affaire du siècle ! Possible. Mais certainement pas pour l’Algérie. Pour ExxonMobil très probablement. En effet, la major américaine essaye depuis plusieurs années de se débarrasser de sa plus grande raffinerie européenne à Augusta sans qu’elle puisse lui trouver un repreneur en raison des facteurs suivants :

1- la demande des carburants en Europe – où il y une surcapacité dans les sites de production – stagne depuis longtemps ;

2- la raffinerie Esso en Sicile est vétuste, car construite déjà en 1949. Les investissements de sa rénovation ont été dérisoires, les dix dernières années. Ce qui est normal lorsqu’un propriétaire veut se débarrasser d’un passif problématique ;

3- la région où se trouve la raffinerie est un no-go pour les investisseurs, puisque très polluée, donc à éviter. Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics italiens s’attèlent, d’ailleurs, à réduire la concentration des industries pétrochimiques et mettent le forcing sur les propriétaires des usines ;

4- la pollution est tellement désastreuse que l’opinion publique est très remontée contre les raffineries (il n’y a pas seulement que la raffinerie Esso) et réclame leur fermeture. C’est ce qui a fait réagir en juillet 2017 le procureur de Syracuse, qui a fait sceller temporairement la raffinerie en question et a ordonné à son management de lui fournir un calendrier précis et détaillé des mesures qu’il compte entreprendre pour réduire de manière significative les émissions toxiques ;

5- les ramifications entre les syndicats et la mafia causent un facteur de coût supplémentaire non négligeable au détriment de la rentabilité ;

6- beaucoup d’acteurs majeurs du raffinage, comme ExxonMobil et Total, ont décidé de délocaliser leurs activités en dehors de l’Europe.

En prenant en considération tous ces paramètres, il est très probable qu’ExxonMobil soit prêt à offrir gratuitement le site à tout preneur sérieux qui prendrait aussi le passif lourd et incertain des conséquences de la pollution de l’environnement. Déclarer dans ce contexte que Sonatrach a réalisé «l’affaire du siècle» est plus qu’une aberration. C’est un mensonge !

La rapidité avec laquelle le patron de Sonatrach s’est engagé dans cette affaire soulève beaucoup de questions. D’autant plus que les acquisitions de ce gabarit sont le résultat de longues et difficiles négociations, pendant lesquelles l’acquéreur essaye de tirer le maximum d’avantages du vendeur, des pouvoirs publics et des syndicats. Que M. Ould-Kaddour nous montre son trophée, études et chiffres détaillés à l’appui ! Des sources affirment même que la partie algérienne était tellement pressée que la maire d’Augusta a publiquement exprimé sa surprise et sa consternation concernant la légèreté des négociateurs de Sonatrach. Ceci confirme l’esprit du bricolage dans lequel Sonatrach a été enfermé depuis 20 ans. Dans un secteur névralgique et stratégique comme celui de l’énergie, on ne change pas de caps et de chefs toutes les 24 heures.

Sans rentrer dans les détails des chiffres de rentabilité, que la grande majorité des spécialistes ont jugés irréalisables, les points suivants contredisent les déclarations du PDG de Sonatrach quant à la pertinence de son projet d’acquisition :

1- Le premier et le plus important concerne l’aspect de la défense et la sécurité nationales, car, en cas de guerre ou de conflit, il est clair qu’une raffinerie sur le territoire national assurera mieux la continuité de l’approvisionnement de la population, de l’ANP et des forces de sécurité en carburants ;

2- Avec ses 70 ans, la raffinerie Esso est en fin de cycle. Des sources affirment qu’elle doit fermer définitivement dans onze ans. Et que fera Sonatrach après ?

3- La construction d’une nouvelle raffinerie en Algérie aura un impact positif sur l’emploi local direct et indirect pour une durée d’au moins 50 ans. Une telle usine sera relativement plus profitable en raison des coûts locaux plus compétitifs que ceux d’Italie ;

4- Tout le monde sait que dans la chaîne de création des valeurs, il est plus préférable de transformer localement les matières brutes pour vendre des produits finis localement ou les exporter ;

5- Le Trésor public algérien profitera des impôts que génèreront les opérations d’une nouvelle raffinerie construite en Algérie. Ce qui ne sera pas le cas avec la raffinerie Esso en Sicile qui paiera ses impôts en Italie et non en Algérie.

Le peuple et l’Etat algériens n’ont aucun intérêt dans l’acquisition de cette raffinerie. Ils doivent stopper cette aventure à son début, au lieu de se laisser embarquer sur un bateau dont le commandant de bord ignore même la destination.

H.-N. B.
(*) PhD, ex-directeur général, Schlumberger North Africa


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