La récupération des terres inexploitées en ligne de mire



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Au ministère de l’Agriculture, du Développement rural et de la Pêche (MADRP), le cap est mis sur la récupération du foncier agricole non exploité. C’est l’une des 86 recommandations des dernières assises nationales sur l’agriculture. Il s’agit en fait de récupérer plus de 35% de la Surface agricole utile (SAU) sachant que 3 millions sur les 8,5 millions d’hectares de SAU sont inexploités. Le dossier a toujours fait débat et continue à le faire à travers les multiples changements intervenus sur le plan législatif depuis l’indépendance. Mais aussi à travers les polémiques suscitées par les déclarations des uns et des autres et les scandales liés au détournement du foncier de sa vocation agricole. En matière de détournement des terres de leur vocation, ce n’est pas ce qui manque en effet. L’Office national des terres agricoles (ONTA) en charge de cette épineuse question comptabilise de nombreux cas. D’où l’ampleur du travail qui reste à faire pour assainir ce dossier. Instruction a d’ailleurs été donnée lors des assises de l’agriculture pour achever ce chantier d’ici la fin de l’année via notamment la mise en application de la loi 10-03 du 15 août 2010 fixant les modalités d’exploitation des terres agricoles du domaine privé de l’Etat via le droit de concession. Une mesure dont l’application a été prolongée à deux reprises avec des délais supplémentaires de 6 mois sans pour autant être ficelée et aboutir à des résultats probants à travers l’augmentation de la SAU. L’Office national des terres agricoles a entamé ce travail en organisant des réunions au niveau des wilayas regroupant les différents acteurs (services agricoles, domaines, cadastre) pour voir ce qui bloque réellement l’assainissement et identifier les terres qui ne sont pas exploitées pour pouvoir les récupérer. «Mais, nous commençons d’abord par sensibiliser ceux qui ont des actes et qui n’ont pas commencé à travailler les terres avant de passer à la récupération pour les réattribuer», nous expliquera à ce sujet le directeur de l’ONTA, Kennis Messaoud, qui rappellera le lancement de l’opération depuis une année avant d’être accélérée après les dernières assises. «Qu’on en finisse avec ce dossier puisque la volonté politique existe, même si la tâche s’avère difficile», enchaînera-t-il, affichant une détermination à accélérer le processus. Un travail de longue haleine Dans ce cadre, des réunions hebdomadaires se tiennent pour faire le point sur l’avancement de ce dossier. Il s’agit donc pour l’ONTA d’en finir avec les dossiers pendants et régulariser les cas en suspens pour récupérer le maximum de terres non exploitées. «D’ici la fin de l’année en cours, l’opération d’assainissement et d’épuration du foncier agricole sera achevée et toutes les terres inexploitées seront récupérées, même celles détenues par les EAI (Exploitations agricoles individuelles) et les EAC (Exploitations agricoles collectives)», répètera-t-il précisant que les terres ne seront plus détournées ou abandonnées, même s’il est difficile de dissocier le foncier agricole du développement social et économiques avec l’affectation de grandes surfaces pourtant fertiles à des chantiers d’habitat et d’équipements publics. C’est le cas, à titre d’exemple, à Bouinan, dans la wilaya de Blida, où 2175 hectares ont été dédiés à la construction de logements alors que la faiblesse de la SAU est à maintes fois relevée du moins par rapport aux défis à relever en matière de sécurité alimentaire. «Une faiblesse qui nous commande une vigilance et une intransigeance à cet égard que seule peut garantir efficacement l’affirmation de la propriété publique inaliénable de ces terres», fera remarquer à ce sujet l’expert agricole Slemnia Bendaoud. C’est justement l’essence même de la loi 10-03 qui ambitionne de régler les dossiers en suspens. Au total, ce dispositif réglementaire a permis la réception jusqu’à présent, selon les chiffres recueillis auprès de Mme Amrani Karima, directrice de la gestion du foncier agricole à l’ONTA de 217 000 dossiers à traiter dont 178 893 actes ont été établis à ce jour, soit un taux de 82,2%. Bilan chiffré Cette loi a donc touché jusqu’à présent 2,23 millions d’hectares, alors que 10 000 dossiers ont été différés pour différentes raisons dont 4466 sont à l’étude par les commissions de wilaya en application de la circulaire interministérielle 1808 du 5 décembre 2017 venue libérer les dossiers en souffrance. Aussi, 1402 mises en demeure ont été adressées et 126 actes ont été résiliés pour manquements aux obligations de la loi (constructions illicites, détournement de la vocation agricole, non exploitation des terres…). Par ailleurs et toujours en matière d’assainissement du foncier agricole, il y a eu la circulaire interministérielle n°1839 du 17 décembre 2017 remplaçant la n°108 du 23 février 2011 portant création de nouvelles exploitations agricoles et d’élevage. Cette circulaire adressée aux walis a pour objet de définir les dispositions d’accès au foncier agricole relevant du domaine privé et de l’Etat, destiné à l’investissement dans le cadre de la mise en valeur des terres par la concession. Il s’agit de revaloriser des terres non exploitées ou insuffisamment exploitées, relevant aussi bien de la propriété privée que du domaine privé de l’Etat, à travers la création de périmètres agricoles. Dans ce cadre et depuis la mise en œuvre de cette circulaire, 1096 périmètres pour 1,9 million d’hectares ont été validés mais pas encore attribués totalement puisque 800 000 hectares l’ont été, soit près de la moitié. Sur ces 800 000 hectares, 500 000 ont été dotés d’actes pour un nombre de 16 553. Les enquêtes sur le terrain ont permis de constater que les conditions ne sont pas disponibles pour exploiter ces terres (absence d’eau, d’électricité, inaccessibilité…). D’où ce retard et aussi l’annulation de certains périmètres. Ce dispositif a permis d’identifier 12 909 concessionnaires défaillants pour 175 000 hectares inexploités et pour lesquels 3018 mises en demeure ont été adressées et 30 actes résiliés. En plus des deux circulaires précédemment citées, il y a un autre dispositif pour la mise en valeur par l’accession à la propriété foncière agricole. Il concerne les périmètres du Sud. Il s’agit de la loi 83-18 qui a bénéficié à 151 115 exploitants pour 1,073 million d’hectares dont 138 000 sont dotés d’arrêtés de cession. 210 949 hectares ont été mis en valeur dans ce cadre avec 19 418 actes de propriété établis. Ce sont donc autant de mesures en application pour en finir avec l’épineux dossier du foncier agricole, notamment le régime des concessions qui, faut-il le noter, a connu de nombreux manquements, entre autres les sous-locations. Dépassements De nombreux concessionnaires ont en effet loué les terres sans les travailler alors que ce sont eux-mêmes qui bénéficient des avantages, notamment les prêts bancaires qu’ils utilisent finalement pour d’autres fins. Du côté de l’ONTA, on reconnaît ces dépassements. Ce qui explique le recours à ces dispositifs. Cependant, d’autres conditions sont à assurer de l’avis des experts. «Il est essentiel que dans la définition de ce régime des concession et des dispositions diverses qui en découleront puissent être assurées pour les exploitants agricoles les conditions d’une sécurisation totale et celles d’une insertion non pénalisante dans les mécanismes et les circuits économiques qui se mettent en place. Il est nécessaire, en particulier, que ne soit pas dissuadé ou rendu impossible l’investissement», préconise Slemnia Bendaoud. Pour sa part, le secrétaire général de l’Union nationale des paysans algériens (UNPA) Mohamed Allioui, estime indispensable d’apporter des amendements à la loi 10-03, notamment pour le volet morcellement pour garantir les investissements agricoles, préserver les terres et rassurer les agriculteurs. Mais, faudrait-il aussi toujours, selon M. Allioui, s’organiser en coopératives productrices spécialisées. «Les coopératives permettront de régler les problèmes auxquels sont confrontés les agriculteurs algériens, notamment en ce qui concerne le statut des exploitations agricoles», nous expliquera-t-il précisant que l’amendement de la loi 10-03 a été proposé lors des assises de l’agriculture sans toutefois avoir d’échos. Du côté de l’ONTA, on juge inutile d’apporter des changements de l’avis de son DG, surtout que le regroupement des terres est favorisé dans la loi via l’article 11. M. Kennis a cependant préféré ne pas aborder la question relative à l’ouverture des concessions aux étrangers, rappelant juste que la mesure prévue initialement dans le projet de loi de finances complémentaire 2018 a été retirée. Et précisant dans le même sillage que la loi 10-03 du 15 août 2010 stipule que l’exploitation agricole peut conclure tout accord de partenariat, par acte authentique publié, avec des personnes physiques de nationalité algérienne ou morales de droit algérien dont la totalité des actionnaires est de nationalité algérienne. Pour rappel, en mai 2017, le gouvernement a décidé d’octroyer la concession des terres des fermes pilotes à la société de joint-venture à travers une résolution du Conseil des participations de l’Etat (CPE).


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