«Le problème des exploitations agricoles est dans le manque de bonne gouvernance et de stratégie»



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Le dossier des concessions agricoles continue à faire débat. Où en est réellement la question à votre avis ? Parler du régime de la concession invite indiscutablement à revisiter les péripéties ayant traversé l’histoire récente des terres du domaine national. Il faut rappeler que les velléités de la privatisation se sont manifestées, timidement certes, au lendemain de la disparition du président Boumediène et ouvertement au cours de l’historique 3e session du comité central du FLN, tenue en décembre 1981, qui a abouti à un consensus de maintenir la propriété publique des terres, tout en abandonnant la Révolution agraire. Ainsi, l’ensemble du mouvement coopératif institué dans le cadre de la Révolution agraire a été dissous et les terres et les exploitants ont été intégrés dans les domaines autogérés restructurés à la faveur de la fameuse instruction présidentielle n°14 du 17 mars 1981. Ensuite est intervenue pour la première fois la cession des terres publiques, dans le cadre de la loi 83-18 relative à l’APFA. Le principe de base, inspiré du droit musulman, étant que celui qui met une terre en valeur sur ses propres fonds peut se l’approprier ; cette loi s’adresse en priorité aux terres sahariennes et exclusivement aux nationaux, quitte à ce qu’ils engagent des partenariats avec des personnes ou des sociétés étrangères sous réserve de la préservation de la propriété au national ; ceci est valable aussi pour les terres privées ; cette loi est toujours en vigueur. Sous l’effet de la crise économique et financière, l’Etat voulait se désengager du secteur le plus rapidement possible. C’est ainsi qu’en 1987 est intervenue la loi 87-19 qui a permis le démantèlement des 3415 domaines agricoles socialistes et leur effritement en 30 000 exploitations agricoles collectives et autant d’exploitations agricoles individuelles, sous un statut hybride appelé «jouissance perpétuelle» qui a introduit une instabilité permanente des attributaires, les inscrivant pour certains dans une collectivisation imposée et sous la menace permanente et l’autoritarisme de l’administration, des walis et de l’organisation de masse, l’UNPA en l’occurrence. Cette loi fut qualifiée d’antichambre de la privatisation n’était l’article 14 de l’ancienne Constitution qui empêchait toute privatisation des biens de la collectivité nationale. La loi 90-25 du 18 novembre 1990, portant orientation foncière a permis la restitution des terres nationalisées dans le cadre de la Révolution agraire en 1971 et 1973 et celle mises sous protection de l’Etat en 1963 et 1964. Ces importantes restructurations étaient souvent préparées dans la confidentialité totale induisant un désarroi des acteurs de base au moment de leurs annonces. Devant ce désarroi, la consultation nationale sur l’agriculture organisée en mai 1992 n’a pas pu trancher sur le devenir des terres agricoles, mais a introduit des pistes de travail à côté d’autres recommandations qui concernent la mutation de l’économie agricole. En 1995, sous les directives du FMI, mais aussi de la crise multidimensionnelle que connaissait le pays, un projet de loi a été introduit pour permettre la privatisation des terres agricoles, projet de loi autour duquel a été organisée une conférence nationale en 1996, projet soutenu avec force par l’UNPA. A cause des multiples controverses et des risques de déstabilisation d’un secteur malmené pendant près de deux décades, ce projet de loi a été retiré in extremis du bureau de l’APN. Il faudra donc attendre l’élection du président Abdelaziz Bouteflika pour mettre fin à ces débats byzantins. Après des hésitations au courant de la campagne électorale de 1999, les grandes réponses de type politique ont été apportées par le président Bouteflika en mai et en novembre 2000, d’abord, au cours de la réunion des walis en mai, ensuite en novembre dans un discours prononcé à l’occasion de la célébration de l’anniversaire de l’UNPA. Il s’agissait du mode de gestion de terres du domaine privé de l’Etat, des modes à développer en matière de financement et de régulation, du développement rural intégré et de la participation des acteurs de base. En effet, le régime de la concession est l’émanation du président de la République puisqu’il s’agit de l’une de ses premières décisions. Il s’agit d’un véritable coup de poing sur la table lancé au mois de novembre 2000 devant l’UNPA et à l’encontre de ce que défendait son SG, mettant ainsi fin à plusieurs années de tergiversations quant au devenir des terres agricoles du domaine national entretenues par les tenants de la privatisation tous azimuts et les partisans du maintien de la propriété publique des terres. Malgré cette décision salutaire, sa consécration n’a pu intervenir que 8 ans après par la loi 08-16 du 03 août 2008 portant orientation agricole et les dispositions de sa mise en œuvre par la loi 10-03 du 15 août 2010. Pourquoi un tel retard d’une décision de la plus haute instance du pays ? L’importance de la question et sa sensibilité ainsi que les rapports des forces sur la scène politique en sont certainement à la base. Pourquoi cette recherche par certains de vouloir désengager l’Etat de toutes possibilités d’intervention sur le secteur alors que même les règles de base d’une économie libérale ne sont toujours pas en place ? La réponse ne peut s’imaginer que dans la sphère politique, loin de toute dimension économique, sociale, culturelle, sécuritaire, voire même historique. En tout état de cause et malgré les réticences du SG de l’UNPA, la loi et les dispositions prises pour les concessions agricoles ont induit l’adhésion et la satisfaction des opérateurs économiques de base, en premier lieu ces mêmes exploitants agricoles qui se sont empressés de déposer leurs dossiers de conversion du droit de jouissance en droit de concession au regard notamment de la levée de nombreux verrous, tels que la possibilité de sortie de l’indivision, la cession du droit de concession, le partenariat… Aujourd’hui, l’opération est une réussite et est presque terminée, nonobstant certains contentieux. La sécurisation des exploitants titulaires pour la première fois d’un acte de concession individuelle publié, corollaire de libération des initiatives sont à l’origine du «boom» qu’a connu le secteur à partir de 2010. Malheureusement, suite aux multiples changements à la tête du secteur dès la fin 2013 a de nouveau réintroduit le doute, les hésitations et parfois des remises en cause injustifiées politiquement, économiquement et même socialement ; c’est dire les enjeux que représente ce secteur et les luttes souvent sournoises qui bloquent toutes velléités de développement continu et durable. Il était question d’ouvrir les concessions aux partenaires étrangers dans le cadre du projet de loi de finances 2018, puis il y a eu changement. A votre avis, quelle stratégie adopter dans ce cadre ? Le Partenariat public-privé (PPP s’avère être une nécessité pour inscrire de nouvelles perspectives aux exploitations agricoles publiques et privées. Par leur expérience et leur savoir-faire, il permettra aux EAC et EAI et fermes pilotes de survivre légalement grâce au capital privé et à la facilité de prise de décision dans la gestion de l’exploitation. Le partenariat dans l’exploitation des terres agricoles a été introduit dans la législation algérienne pour encourager l’investissement public et privé. Deux formes de partenariats dans l’agriculture sont consacrées par la législation algérienne : la première forme de partenariat instituée par la loi de finances complémentaire pour 2009, ouverte à tous les domaines d’activités, en distinguant, d’une part, le partenariat entre l’entreprise nationale, publique ou privée avec des investisseurs étrangers et, d’autre part, le partenariat entre l’entreprise nationale publique et l’entreprise nationale privée. Cette disposition concernait les différentes unités agro-industrielles mais aussi les fermes pilotes pour le partenariat avec les nationaux. A travers cette règle : dans le cadre d’une société de joint-venture, l’entreprise étrangère se met en partenariat avec l’entreprise algérienne publique ou privée. Ceci pour les unités industrielles ; l’entreprise nationale publique, ferme pilote SPA devra se mettre en partenariat à travers une société de joint-venture avec une entreprise algérienne privée. Jusqu’à mai 2017, la terre était concédée : à la ferme pilote en vertu du décret 11-06 du 10 janvier 2011 précisant les modalités d’exploitation des terres agricoles relevant du domaine privé de l’Etat et affectées ou rattachées à des organismes et établissements publics pris en application de la loi d’orientation agricole de 2008 ; à l’entreprise nationale algérienne lorsqu’il s’agit d’un partenariat avec des étrangers. A partir de mai 2017 et juste avant les élections législatives et sur pression des détenteurs de capitaux convoitant le patrimoine foncier de ces fermes pilotes considéré parmi le plus fertile du pays, le gouvernement a décidé de modifier le dispositif en octroyant désormais la concession des terres à la société de joint-venture à travers une résolution du Conseil des participations de l’Etat (CPE) de mai 2017. Cette manière d’agir rend non seulement caduque l’existence des fermes pilotes destinées initialement à la production de semences, plants et géniteurs pour les besoins nationaux, mais également ouvre la voie à l’accaparement de vastes superficies de terres par le capital non professionnel. La disposition du projet de loi de finances complémentaire pour 2018, qui vient d’être retirée, ne fait qu’entériner les dispositions prises par le CPE, en prévoyant de donner le droit de concession aux sociétés de joint-venture créées dans le cadre des partenariats entre les fermes pilotes et les partenaires nationaux et/ou étrangers. Il semble que ce qui pose problème dans cette disposition est l’allusion faite aux étrangers, ce qui a soulevé le tollé dans la presse et à travers les réseaux sociaux. A ce propos, j’estime inopportun le recours à une nouvelle disposition législative dans la mesure où, comme cité auparavant, le dispositif existe déjà, explicité dans l’instruction du ministre de l’Agriculture et du développement rural n°219 du 14 mars 2011 et de la circulaire interministérielle n° 108 de 2011 modifiée par la 1839 du 17 décembre 2017 portant accès au foncier agricole destiné à l’investissement dans le cadre de la mise en valeur des terres par la concession. La seule modification objective aurait été l’annulation de la disposition qui exigeait que l’ensemble des actionnaires de la joint-venture soient de nationalité algérienne. Il faut reconnaître qu’un débat préalable aurait évité les malentendus et aurait présenté les arguments du recours au bienfait du partenariat, notamment avec les capitaux et le savoir-faire étrangers, débat, faut-il le rappeler, qui n’est jamais sorti de la sphère administrative. En outre, les concessions de terres à grande échelle accordées, à l’image des nouveaux projets de partenariat passés avec des investisseurs étrangers ou nationaux, nécessitent à notre sens un débat quant aux risques d’agression sur les ressources naturelles, notamment l’eau dans les régions sahariennes et l’élevage ovin au niveau des zones de parcours concernées justement par ces projets. S’agissant d’une question liée au mode d’appropriation du foncier domanial, les débats devront exposer la problématique et évaluer les risques de voir le patrimoine foncier public accaparé par le capital et la masse des concessionnaires convertis en salariés ou réduit au chômage. Ils devront rappeler les dispositifs juridiques et réglementaires en vigueur, établir l’état des lieux (pression exercées sur les terres et quantification des affectations), évaluer les changements sociaux résultant de ces formes de réappropriations du domaine privé de l’Etat et les risques portant sur les ressources naturelles et la sécurité alimentaire des ménages et des territoires impliqués dans ces processus et interrogera l’efficacité d’un modèle d’organisation sociale développé dans les territoires ruraux où la ressource naturelle est rare et menacée. En définitive, tout en garantissant la propriété publique des terres, deux formules peuvent être discutées : - La première vise à poursuivre la mise en œuvre des dispositions sus-évoquées tout en assurant la transparence dans l’attribution de la concession, la préservation des terres et le maintien de la vocation des fermes pilotes dans la production de semences, plants et géniteurs. - La complexité des procédures dans le dispositif actuel de partenariat invite à réfléchir sur une deuxième formule en vigueur dans d’autres pays, et qui se limitent à de simples locations à long terme sur la base d’un cahier des charges dont le contrôle est assuré par un organisme ad hoc. 1. La deuxième forme de partenariat est instituée par la loi 10-03 du 15 août 2010 fixant les conditions et les modalités d’exploitation des terres agricoles du domaine privé de l’Etat La loi 10-03 du 15 août 2010 est très claire quant au bénéficiaire du partenariat. La loi précise en effet que l’exploitation agricole peut conclure tout accord de partenariat, sous peine de nullité, par acte authentique publié, avec des personnes physiques de nationalité algérienne ou morales de droit algérien dont la totalité des actionnaires est de nationalité algérienne. Cette disposition a été introduite pour permettre au capital privé de passer des contrats de partenariat avec des concessionnaires dépourvus de moyens financiers et matériels. Nous estimons que les quelques précisions apportées sur les procédures en la matière par le décret portant application de la loi de 2010 sont insuffisantes et nécessitent de les compléter, notamment en ce qui concerne le rôle de l’Etat sur le contrôle du contenu du contrat de partenariat et ne pas laisser uniquement le notaire chargé de sa formalisation seul responsable de son aboutissement. L’approche telle que mentionnée dans la circulaire interministérielle numéro 1839 du 05 décembre 2017 ne semble pas là plus appropriée en dictant d’une manière administrative le taux de participation des deux candidats au partenariat par l’application de la loi de finances complémentaire pour 2009 (système 66%-34%). Le partenariat est un acte volontaire de l’exploitant et du partenaire et le taux de participation de chacun devra être déterminé en commun accord selon les apports de chacun d’eux et tenant compte notamment de la valeur du droit de concession, des infrastructures et vergers existants, de la situation agro-pédo-climatique des terres. En outre, il est indispensable d’établir un modèle unique de contrat conjointement entre l’ONTA et la Chambre nationale des notaires pour uniformiser les concepts et aider les notaires dans la passation des contrats et les magistrats dans le traitement des contentieux. De nombreux cas de concessions sont en suspens ? Où réside le blocage ? Normalement, il ne devrait y avoir aucun obstacle pour achever définitivement l’opération de conversion du droit de jouissance en droit de concession puisque le ministère de l’Agriculture a été amené, dès 2011, à prendre des initiatives à travers : - la diffusion d’un guide des procédures ; - l’organisation de regroupements au niveau des wilayas ; - l’institution d’une commission de wilaya chargée de l’instruction des dossiers qui nécessitent des informations complémentaires ou méritent une vérification des documents ou des faits déclarés ; - la diffusion de l’instruction interministérielle n°654 du 11 septembre 2012. Toutes les procédures et les orientations données, notamment en 2011 et 2012, avaient comme principe de base le règlement de tous les exploitants participant directement au travail de la terre et répondant aux exigences de la loi. - La prudence exagérée des walis et des membres des commissions de wilaya caractérisée par des lenteurs administratives injustifiées et un manque flagrant de pragmatisme font que 8 années après, l’opération n’est pas encore achevée. Autrement, comment expliquer que certaines wilayas n’ont pas encore régularisé les exploitations agricoles individuelles issues de la Révolution agraire, notamment sur les terres dites «arch», ou encore n’ont pas déchu les héritiers des exploitants décédés et qui ne se sont pas entendus pour la désignation de leurs représentants à l’acte après 8 années, n’ont pas pris des décisions pour les 5096 exploitants n’ayant pas encore déposé leurs dossiers en dépit des délais supplémentaires de 6 mois à deux reprises accordés par le Premier ministre. De manière globale, où en est la gestion du foncier agricole et comment le préserver ? Il est heureux de lire, de voir et d’entendre des membres du gouvernement, notamment le ministre de la Justice et garde  des Sceaux, les agriculteurs et les citoyens d’une manière générale à travers la presse et les réseaux sociaux dénoncer les nombreuses atteintes aux terres agricoles, notamment à haute potentialités, irriguées et plantées. Il faut rappeler que 282 000 ha de terres ont disparu de la SAU depuis l’indépendance, sans compter les consommations effectuées sur les terres de propriété privée par leurs propriétaires ainsi que les grandes surfaces constituant les moins-values occasionnées par les démembrements des exploitations agricoles induits par le tracé des routes et autoroutes. La préservation des terres constitue l’un des fondements d’une sécurité alimentaire nécessaire pour notre pays au moment où les crises économique et financière instituées par le capital international rongent de nombreux pays. Faire leurrer les options d’industrialisation et d’agriculture saharienne autre qu’oasienne comme alternatives à garantir la sécurité alimentaire du pays pour justifier la consommation des terres au nord du pays est une flagrante erreur. En effet, cet intérêt de la préservation des terres est justifié par la faible superficie agricole utile du pays qui tend à se réduire face à l’évolution démographique, mais également par le caractère aride ou semi-aride de la majeure partie du territoire, obstacle sérieux aux volontés de gagner de nouvelles terres notamment dans le Sud, à des coûts de revient à l’hectare exorbitants et aléatoires et sur les terres de parcours aux dépens de l’alimentation du cheptel ovin. Comment préserver ? D’abord, il faut appliquer les lois de la République dont l’arsenal juridique est très suffisant, en évitant de recourir aux terres agricoles pour la réalisation des projets notamment d’habitat, mais plutôt d’aller vers les terres de piémonts et de faible potentialités ; les fonctionnaires au niveau local, en premier lieu les walis, seront certainement interpellés par les générations futures pour la légèreté avec laquelle les choix de terrains sont opérés. Ensuite que les procureurs de la République se saisissent de toutes les atteintes constatées pour mettre fin à cette consommation effrénée des terres que nous constatons à travers le pays, notamment concernant les terres à haut potentiel, irriguées et plantées. Enfin, procéder à la promulgation de la loi prévue par l’article 19 de la Constitution révisée de mars 2016 et qui concerne la protection des ressources naturelles, notamment la terre et l’eau qui n’est pas encore promulguée à ce jour. En conclusion... En conclusion, on peut dire que le problème de l’exploitation des terres agricoles du domaine national n’est pas du tout au niveau du régime de la concession comme le prétendent certains, mais plutôt dans les institutions administratives auxquelles il est observé un manque flagrant de bonne gouvernance et de stratégie, voire une absence de vison à moyen et long termes. L’organisme de régulation et de contrôle de la gestion des terres représenté par l’ONTA devra être renforcé en moyens humains et matériels et envisager, peut-être même rapidement la révision de son statut pour lui permettre de remplir convenablement ses missions, notamment celle visant la sécurisation des concessionnaires face à la dilapidation des terres et le changement de leur vocation. Les organisations professionnelles, en premier lieu, les Chambres d’agriculture sont également interpellées dans le même sens.  


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