Alger vaut bien une prière



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Par Mesloub Khider – «Il vaut mieux garder la nostalgie d’un paradis en le quittant que de le transformer en enfer en y restant.» (Jacques Ferron)

«La nostalgie ? Ça vient quand le présent n’est pas à la hauteur des promesses du passé.» (Neil Bissondath)

Bien avant l’accession de Bouteflika au pouvoir, notre prestigieuse capitale algérienne avait déjà subi des outrages. Depuis, Alger s’est métamorphosée. Alger la Blanche s’est noirci la figure. On a flétri son centre urbain. Souillé son architecture. Enténébré sa culture. Travesti ses codes vestimentaires. Chassé ses nobles résidents. Même son éternel ciel bleu azur ne reconnaît plus sa terre natale algéroise. D’après certaines sources sûres, il aurait demandé un visa d’installation à un pays européen. Même les frétillants, pétillants oiseaux d’antan ne pépient plus, ne chantent plus, car affligés de chagrin, accablés de tristesse. Beaucoup d’entre eux ont émigré vers d’autres cieux plus cléments. Depuis, Alger s’est recouverte de corbeaux (noirs).

En effet, des nuées de silhouettes, ressemblant toutes à des chouettes noires, sillonnent les sombres artères jonchées de détritus. Tels des corbeaux, dès l’aube, ces silhouettes à la figure grimée de barbes noires ou de turbans wahhabites battent le pavé de la capitale d’un pas hésitant, irritant, débilitant. Emmitouflées sous leur tenue de prière, elles s’aventurent religieusement dans l’espace urbain public algérois dégradé pour prendre d’assaut les chaussées défoncées, les trottoirs engoncés, dans une atmosphère polluée de détresse, saturée d’agressivité réprimée, emplie d’attitudes déprimées. Dans leurs pérégrinations insipides, elles traînent leur oisive vie avec une morose et anxieuse nonchalance. A croire que leur hijab ou leur barbe hirsute leur sert de masque pour camoufler les stigmates de leur mal-être.

Sur les principales rues commerciales que ces ténébreux zombies traversent comme des fantômes dominent trois sortes de magasins : les boutiques de vêtements bas de gamme, les boutiques cosmétiques et, enfin, les établissements de restauration. Ces trois types de commerce symbolisent l’Algérien : sa vie se limite à se vêtir d’habits importés, à se divertir son épiderme à coup de produits cosmétiques importés et, enfin, à se bâfrer d’aliments importés. Chercher l’erreur existentielle. La production ne semble pas avoir été programmée dans la liste des revendications de l’Algérie indépendante. Depuis un demi-siècle, l’Algérie fabrique en série des enfants (on est passé de 11 millions d’habitants en 1962 à plus de 40 millions aujourd’hui), mais ne construit aucune industrie pour intégrer cette excédentaire population dans la production. Il est vrai que, par la grâce de Dieu, le désert pourvoit aux besoins des Algériens au moyen de cet or noir. Mais la bourgeoisie a accaparé cet or noir, source de sa richesse. Offrant au peuple juste la bile noire, cette source de sa mélancolie.

Voilà les trois principales devantures commerciales décorant les artères algéroises. Ecrasés sous le poids frêle d’immeubles vermoulus chancelants aux façades lézardées, ces bazars captent les regards hagards des badauds impécunieux mais au tempérament impétueux. Dans cet Alger anciennement la Blanche, assombri par l’idéologie mortifère orientale, les salles de cinéma ont disparu du paysage urbain. Les salles de cinéma ont été remplacées par les salles de prière. Le grand écran du cinéma a été troqué contre l’immense tapis de la mosquée. Dans ces gigantesques salles, on ne diffuse qu’un unique programme. Le scénario est invariablement et immuablement identique aux cinq séances quotidiennes. Pas de péripéties. Pas de rebondissements possibles. Ainsi en a décidé le réalisateur et son metteur en scène sur terre. La masse moutonnière assiste passivement à la diffusion de sa vie en spectatrice soumise à un destin élaboré, selon elle, ailleurs. Leur vie, remise dans les mains de Dieu, défile au ralenti, devant leurs yeux noirs d’ennuis.

La jeunesse algéroise rêve de conquêtes gauloises, d’accostages français, d’aventures européennes. Trompée par son pays, en attendant elle trempe son ennui dans les eaux troubles du désarroi, du désespoir. Paradoxalement, dans ce pays méditerranéen pourtant baigné d’eau, ces forces vives de la nation ne peuvent même pas s’adonner à la natation. En effet, pour tromper son ennui suintant d’angoisse, la jeunesse algéroise ne trouve même pas de piscine pour tremper son corps déshydraté par la sécheresse de sa monotone vie, mais détrempé de sueurs de ruminations anxieuses. Même la plage n’est plus à la page. Car elle a subi des ravages, des dommages.

Nos plages ne connaissent pas le chômage, devenues sources de profits et d’agiotages, pour les spéculateurs spécialistes du traficotage, ces requins qui ont pris l’Algérie en otage. Les anciennes paisibles plages du littoral algérois à la mer pure et cristalline ont été transformées en décharges publiques où viennent s’échouer et s’agglutiner des hordes de vacanciers sauvages et d’estivantes affublées de scaphandres wahhabisés.

Les routes sont devenues des cimetières à ciel ouvert où circulent sauvagement des cercueils ambulants conduits par des fous du volant. Les derniers grands lecteurs d’antan ont brûlé leurs dernières cellules grises lumineuses à l’époque de la décennie noire, emportées d’abord par l’islamisme rompant, ensuite terrorisant, et désormais envahissant. Et les monolithiques électeurs de jadis ont cessé de participer au cirque électoral aux scores brejnéviens. Jadis tu ne pouvais pénétrer à Alger sans costard et cravate. Aujourd’hui, tout le monde déambule en kamis et savates.

Gageons que la gigantesque mosquée algéroise érigée par notre auguste roi-président Boutef IV soit bientôt inaugurée. Ainsi, il pourrait se faire sacrer dans cette nouvelle cathédrale musulmane des temps modernes.

Pour conclure, quoi qu’il en soit, à nos yeux nostalgiques embués de larmes de rage tragique, Alger demeurera toujours blanche. Toujours cette capitale admirée du monde entier. Cette ville baptisée autrefois La Mecque des Révolutionnaires. Mais devenue aujourd’hui le Goulag islamiste des Algériens.

Alger vaut bien toujours une visite, un séjour, une habitation. Une nouvelle reconstruction. Un blanchiment pour effacer les noirceurs de sa vie architecturale, urbanistique, culturelle.

Alger, je t’aime, nous t’aimons. Alger outragé ! Alger brisé ! Alger martyrisé ! Mais Alger bientôt libéré !

M. K.

PS : N’y voyez aucun snobisme ni algéroinisme. J’aime toute l’Algérie. Il s’agit juste d’un hommage personnel rendu à Alger de mon enfance, de ma jeunesse, en ces jours de fête de l’Aïd où les souvenirs remontent à la surface de la mémoire. Et les dégâts décrits sur Alger s’appliquent en vrai à toute l’Algérie.


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