Bac, métiers et microcrédits pour la réinsertion sociale des détenus



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A travers une cérémonie organisée le 27e jour du Ramadhan à la prison d’El Harrach, des détenus ont fait brillamment étalage de leurs talents et leurs aptitudes intellectuelles et manuelles acquises grâce à des programmes qu’ils ont suivis en milieu carcéral. L’occasion pour le ministère de la Justice, et plus spécialement la Direction générale de l’administration pénitentiaire (DGAP), de communiquer sur sa nouvelle politique à l’intention des pensionnaires de ses établissements de rééducation en espérant que les virtuoses (hommes et femmes) que nous avons eu le plaisir de découvrir fassent des émules. Il s’agit, pour résumer, d’un ambitieux programme destiné à prodiguer une formation aux détenus dans le but de les préparer à la vie post-carcérale et leur assurer une réinsertion sociale heureuse qui les prémunisse contre toute tentation de récidive. Ce plan offre la possibilité à ceux qui souhaitent reprendre leurs études de renouer avec la vie scolaire et aux plus persévérants de décrocher leur baccalauréat et de préparer un diplôme universitaire. Cette année, plus de 4300 détenus sont candidats au bac. Aux autres, il propose des ateliers d’initiation à divers métiers dans le cadre de la Formation professionnelle et de l’artisanat. Des possibilités de microcrédit sont également promises à ceux qui souhaitent monter un projet par le biais de conventions avec l’Ansej, l’Angem et la CNAC. Grosse opération de com’ que celle organisée mardi dernier par le ministère de la Justice à travers la Direction générale de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion (DGAP), en invitant la presse à assister à une cérémonie qui s’est tenue après le f’tour, à la prison d’El Harrach. Au-delà du prétexte (célébration de Leïlate El Qadr), l’objectif était surtout de promouvoir la politique adoptée depuis quelques années par l’administration pénitentiaire en matière de réinsertion sociale des «nouzala», les «pensionnaires» des établissements carcéraux, par le biais notamment de la formation, étant convaincue que «c’est la meilleure manière de les immuniser contre la récidive». La cérémonie qui s’est étalée de 22h30 à 00h45 proposait un menu extrêmement dense, où se mêlent concours de récitation du Coran, poésie, histoires courtes aux visées didactiques, ainsi que des résumés d’ouvrages pleins d’érudition dont  Zad El Miaâd (Viatique pour l’Au-delà) d’Ibn Qayyim Al Jawziya. A noter que des femmes détenues étaient également de la partie et se sont formidablement exprimées durant cette cérémonie aux accents épiques qui prenait par moments des airs de joutes savantes tant le niveau affiché par les détenus forçait l’admiration. A cela s’ajoutent des témoignages édifiants de prisonniers qui ont bénéficié d’une formation, et qui préparent soigneusement leur carrière post-pénitentiaire. «Ces activités s’inscrivent dans le cadre des différents programmes organisés au niveau des établissements pénitentiaires au profit des détenus, entre enseignement général, formation professionnelle et artisanat, activités sportives, culturelles et éducatives ainsi que des concours de récitation du Coran. L’objectif de ces activités est de permettre aux détenus d’acquérir des diplômes et des compétences qui les aideront dans leur insertion dans la société après leur libération», peut-on lire dans le communiqué de presse du ministère de la Justice. «Laissez vos portables dans le casier» Il était environ 22h20 lorsque nous nous sommes pointés devant les imposantes portes de fer du plus important établissement pénitentiaire en activité à Alger (Serkadji étant fermé pour être transformé en musée). Après avoir franchi un premier portail donnant sur le poste de police et la vérification de nos papiers, nous sommes priés d’abandonner nos téléphones portables dans un casier dont nous devions garder la clé. Nous franchissons ensuite un deuxième portail et nous troquons notre carte de presse contre un badge. Nous sommes orientés à présent vers une grille métallique tenue par des gardiens. Sitôt ayant traversé la dernière grille, nous nous retrouvons dans une cour parée avec faste, un décor qui tranche avec l’austérité habituelle des lieux : des rangées de chaises confortables sont disposées pour recevoir les invités, tandis qu’une scène a été aménagée où sont alignés les membres d’un ensemble musical en costumes traditionnels très cossus (l’ensemble El Aqsa). Un tapis rouge sépare la scène ainsi improvisée du public. Dans l’arrière-scène sont installées des chaises où ont pris place une trentaine de détenus, les uns vêtus d’une abaya et chechia blanches, les autres d’une blouse blanche aussi, sur un pantalon noir. Dans un coin, à gauche, trône le jury derrière une table. Il est composé de deux imams et un spécialiste de langue et littérature arabes. A la manière des émissions de télévision type «Forsane El Qor’an», ils sont conviés pour départager des récitants du Livre saint issus de sept établissements carcéraux (El Harrach, Blida, Berrouaghia, Chlef, Tizi Ouzou, Tidjelabine et Koléa). Un peu plus bas, au fond, à droite, un autre groupe de détenus a été invité à assister à la cérémonie. Ils sont discrètement encadrés par des gardiens. La formation, gage d’une deuxième chance 10h30. Plusieurs cadres supérieurs et directeurs centraux de différents ministères débarquent au milieu d’une grande agitation. Ils prennent place aux premières rangées. Le plus en vue est Mokhtar Felioune, directeur général de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion. Plusieurs départements ministériels sont représentés : MDN, Formation professionnelle, Agriculture, Affaires religieuses, Solidarité nationale…Dans le lot également des juges d’application des peines. A cela s’ajoutent des membres d’organisations partenaires, dont les Scouts musulmans, l’association Ouled El Houma et l’association La Main Tendue qui fait un précieux travail de «réinsertion post-carcérale». Des serveurs passent entre les rangs chargés de plateaux et proposant aux détenus ainsi qu’aux invités, gobelets de thé et qalb Ellouz. Des bouteilles d’eau minérale fraîche de marque «Texenna» sont également distribuées. L’ambiance est bon enfant. On en oublierait presque les hautes murailles hérissées de barbelés qui nous séparent du monde extérieur, les sirènes agglutinées autour d’une tour de contrôle et la foule d’hommes en uniforme qui veillent au grain… Dans un mot de bienvenue, le directeur de la prison d’El Harrach a tenu à souligner d’emblée que cette soirée conviviale est la parfaite illustration de la nouvelle politique mise en place ces dernières années «pour aider les pensionnaires de nos établissements à se remettre sur pied et aller de l’avant d’un pas ferme» en leur offrant un nouveau départ à travers l’accès à l’instruction et à la formation professionnelle. Au niveau d’El Harrach (qui comptait quelque 2500 détenus en 2016), il a enregistré 941 inscrits en 2017-2018, dans les différents paliers de l’enseignement général, indique le directeur, dont 134 inscrits à l’examen du BEF et 125 postulants aux épreuves du bac. En outre, 708 autres pensionnaires du même établissement suivent des ateliers de formation professionnelle et d’artisanat. «Je soutiens mon mémoire après l’Aïd» Nous assisterons ainsi à un véritable changement de paradigme et un changement de doctrine : ce n’est plus le «surveiller et punir» dénoncé par Foucault, mais «éduquer et guérir». Et cela se voit, ou plutôt… «s’entend», même au niveau du vocabulaire : nos hôtes disent plutôt «nouzala» (pensionnaires) que «soudjanaa» (prisonniers), et les établissements pénitentiaires sont désormais désignés officiellement sous l’appellation : «Etablissement de rééducation et de réadaptation». Un jeune détenu, la trentaine, a été invité à livrer son témoignage. Micro à la main, il confie : «Je suis arrivé ici en 2013 avec un niveau de 2e année secondaire. J’ai décidé aussitôt de reprendre mes études. J’ai passé mon bac et l’ai obtenu avec une moyenne générale de 14,65. Ça m’a ouvert des portes insoupçonnées. Je me suis inscrit à l’Université de la formation continue (UFC) de Caroubier. J’ai fait droit des affaires. Des profs venaient donner des cours ici et tout s’est très bien passé.» A chaque semestre, ses moyennes oscillaient entre 16 et 18, assure-t-il. Maintenant, il s’apprête à soutenir son mémoire sur le thème : «La mission des douanes entre la collecte des taxes et le développement du commerce extérieur». «Je vous invite à ma soutenance qui aura lieu juste après l’Aïd», sourit-il. Autre témoignage emblématique : celui d’un monsieur, dans la cinquantaine, qui a suivi, lui, une formation en céramique et a présenté quelques spécimens d’excellente facture, réalisés en prison : des vases, des assiettes, un service à thé… Il espère monter une micro-entrepise après sa libération moyennant un crédit Angem (Agence nationale de gestion du micro-crédit). «Ils sont venus, ils ont vu mon travail et ils ont promis de m’aider à créer une micro-entreprise», affirme le talentueux céramiste. Et de lâcher : «Il ne faut pas se dire que dès lors qu’on a fait de la prison, c’est fini. Il y a une vie après, il ne faut pas perdre espoir.» 4391 détenus candidats au bac Dans une déclaration en marge de cette cérémonie, Mokhtar Felioune, le patron de la DGAP, a mis l’accent sur l’importance de ce genre d’initiatives : «Comme vous l’avez entendu, la meilleure façon pour éloigner ces jeunes de la dérive c’est ce genre d’activités, qu’il s’agisse de l’activité religieuse ou culturelle à travers les concours de poésie, de littérature ainsi que la lecture. Les recettes que nous appliquons à l’intérieur de ces établissements ont trouvé un écho favorable auprès des détenus qui sont de plus en plus nombreux à adhérer à ces activités», s’est-il félicité. Selon les chiffres officiels communiqués par le ministère de la Justice, le nombre de détenus inscrits en enseignement général en 2017-2018 s’élève à 42 937. Parmi eux, on dénombre 4391 candidats au bac et 4698 aux épreuves du BEF. En outre, il y a eu 39 992 inscrits en formation professionnelle et artisanat. M. Felioune ajoute que «le nombre de personnes qui suivent l’enseignement coranique s’est élevé à 8314 inscrits alors qu’il ne dépassait pas le millier d’apprenants. Le nombre de candidats au bac et à l’examen du BEF est en constante augmentation d’année en année». «Ce sont autant d’indices positifs qui montrent que ce programme de réforme est sur le bon chemin et est favorablement accueilli par les détenus», a-t-il estimé en précisant que «ce plan (…) est dicté par le souci de faire en sorte que ces détenus, une fois sortis de prison, n’y reviennent pas. C’est pour protéger la société de la récidive criminelle.» Des conventions avec l’ANSEJ, l’ANGEM et la CNAC Et de faire remarquer : «Vous savez, les sujets que vous allez diffuser seront regardés par les détenus.» «Dans toutes les salles, dans chaque cellule, il y a un poste de télévision. Nous achetons également tous les journaux qui paraissent en Algérie», indique-t-il avant d’ajouter : «Nous tenons à faire parvenir l’ambiance de cette cérémonie à tous les détenus à l’intérieur des établissements (…) et cela dans le but de les convaincre que celui qui persévère dans la poursuite de sa formation, ses efforts seront couronnés de succès.» «Ces jeunes, on les encourage et on les soutient. Il y a aujourd’hui des professeurs, des avocats, des pharmaciens… qui étaient des détenus. Ils sont entrés en prison avec des niveaux d’instruction modestes et ils ont remarquablement réussi. Et cela nous ravit profondément parce que celui qui décroche son bac ne reviendra pas en prison, vous pouvez en être certain !» Interrogé sur l’accompagnement des dispositifs de microcrédit, M. Felioune nous a affirmé : «Nous avons des conventions avec plusieurs agences de l’Angem, de l’Ansej, de l’ADS (l’Agence de développement social) et de la CNAC (Caisse nationale d’assurance chômage). Ils visitent nos ateliers et rencontrent les détenus qui leur montrent leurs réalisations. C’est ainsi que plusieurs d’entre eux ont réussi [à leur sortie] à monter de petites entreprises avec l’aide de ces agences. Le détenu bénéfice ainsi des mêmes prestations accordées au reste de la population.»


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