Tribune. Non, Abane Ramdane n’a pas ordonné la mort des “Berbéristes” !



...

Depuis quelques années, circule sur le Net une note du CCE à l’adresse de la fédération de France du FLN. La missive est présentée comme un ordre pour liquider les berbéristes. Ceux qui diffusent ce document le présentent comme un document à charge contre Abane Ramdane. Qu’en est-il en vérité ?

Émanant du CCE, la direction issue du Congrès de la Soummam, l’instruction porte la paraphe de l’ensemble des membres désignés au Comité de Coordination et d’Exécution. C’est que cette réponse au rapport envoyé par la Fédération de France comporte une extrême prise de responsabilité. Le document traite d’une série de problèmes. Politique d’abord, organisationnels ensuite et enfin militaires :

La façon d’assoir l’hégémonie politique du Front face aux autres courants politiques algériens (Messalistes, berbéristes..). L’interférence de l’organisation de Kabylie dans la gestion des effectifs FLN sur le territoire Français, les mesures pour assoir l’autorité de la direction fédérale sur les collectifs militants et les réseaux de collecteurs e fonds. Le traitement du problème des groupes armés du MNA.

Le passage incriminé et exhibé en acte d’accusation est celui-ci “ vous renouvellent leur confiance et vous assure d’un appui total dans votre travail de clarification, de consolidation du FLN en France et de liquidation des Berbéristes, Messalistes et autres contre-révolutionnaires qui continuent leur travail de sape et de division au sein de l’émigration algérienne”. Quel sens peut revêtir cette orientation ? Le mot “ Liquidation des” est chargé d’un sens létal ? Mais n’est-il pas possible de s’interroger sur ce sens ? S’agit-il véritablement, comme le soutiennent ces ce que les propagandistes du net, d’un ordre de liquidations physiques ?

Pour toute personne honnête et douée de sens politique, la note aborde d’abord la problématique de l’hégémonie politique. C’est donc qu’il s’agit de liquider des courants politiques (au sens d’annihiler toute influence des autres courants). Ce passage concerne manifestement le travail politique et non militaire. Comment défendre cette lecture ? Simplement en relevant que pour le volet militaire la note est absolument explicite dans son 5e paragraphe. Celui qui parle du MNA ; il avance qu’il faut “détruire ces bandes par n’importes quels moyens”. Sans équivoque ! Plus, s’il le fallait, la note demande des précisions sur les capacités de “l’organisation spéciale” (Le Choc) de la fédération de France et pose aussi l’éventualité d’envoi d’éléments aguerris à partir des maquis de l’intérieur. Là, il s’agit bien d’un volet purement militaire. L’objectif de ces mesures est de répondre aux attaques MNA et d’assurer la sécurité des militants et sympathisants du FLN.

Donc à la lecture de ce document il ressort qu’il y a bien une distinction entre les problèmes abordés au 1er paragraphe [hégémonie du FLN, poids et influence des autres mouvements] et ceux traités au 5e. Les premiers sont d’ordre politique et les seconds sont sans aucune ambiguïté d’ordre militaire.

Il n’y a que ceux qui sont abonnés à une façon caractérisée de regarder l’Histoire par la petite lorgnette pour faire porter à Abane la responsabilité de liquidation des patriotes berbéristes.

D’abord, peut-on soutenir que “la dissidence” Messaliste ne posait pas problème ? Défendre l’idée selon laquelle le FLN n’avait pas à établir son hégémonie et la suprématie de sa démarche comme moyen d’assoir l’unité des rangs algériens ? Ne fallait-il pas s’atteler à cette question épineuse ?

Ensuite peut-on sérieusement accoler cette accusation d’anti berbérisme à celui qui, parmi ses pairs, avait le souci d’impliquer les communautés chrétienne et juive après avoir rallié, centriste du MTLD, élus de l’UDMA, Ulémas et communistes ? Il y a comme une incohérence qui transparait dans cette approche [jugement].

En août 1956, Abane arrive, contre vents et marées, à mettre en place une organisation qui se substitue aux fiefs et chefs de guerre. Il critique l’attaque d’août 1955 menée par Zighout. Il met de l’ordre dans le mouvement national et assoit une direction politique vouée à agir à l’intérieur vers des perspectives politiques ouvertes aux différentes communautés sans distinction d’origines ou de confessions. L’œuvre est colossale, mais était-elle au goût de tous ?

Or, dans cette direction collégiale, le chef de la Kabylie avait un passif Messalisteet peut-être a-t-il gardé un certain attachement, bien après le déclenchement de l’insurrection, au zaïm de la Haraka ? On ne peut passer sous silence le fait que sa nomination comme chef [de la Kabylie] s’était faite pour la liquidation des berbéristes. C’est en 1949 que Krim a été coopté par la direction du MTLD et il avait été jusqu’à tenter d’exécuter Ferhat Ali. Celui-ci, interrogé par la police coloniale suite à ses blessures par balle, a dénie connaître ses agresseurs. Pourtant il connaissait parfaitement Krim et Fernane Hanafi. Devant l’adversité et la stigmatisation, cette attitude de Ferhat Ali est restée des “berbéristes”.

Il est à relever que c’est en Kabylie que le 1er paragraphe de cette instruction a pris le contenu de son cinquième, et nous passons de la liquidation “par tous les moyens” des groupes armés MNA à celle des militants “berbéristes”. Dans l’immigration elle n’a pas eu cette signification. Rachid Aliyahia témoigne de l’épisode de son contact avec Slimane Amirat. C’est donc dans la wilaya III et sous la responsabilité du trio : Krim – Si Nacer – Amer At Chikh, ceux-là mêmes qui ont sévi en 1949 en tant que bras armé de la direction du MTLD, qu’elle est devenue un ordre de tuer !

C’est faire un mauvais procès à Abane que de lui faire endosser la responsabilité de cette grave dérive. Et en tout état de cause, au regard de son tempérament, s’il était convaincu de la justesse d’une telle orientation, les berbéristes auraient été cités au 5e paragraphe. Mais ne pouvant éliminer Krim de la direction et encore moins jouer l’unité de la direction naissante sur cette question [marginale ?], il a dû se résoudre, probablement la mort dans l’âme, à voir une orientation mortifère prendre corps et s’appliquer.

Par Mohand BAKIR


Lire la suite sur Algérie Part.