Les femmes du monde de Tamazgha



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Pouvons-nous parler de la femme en terre de Tamazgha sans dire un mot sur la religion, sans évoquer le chômage dont beaucoup d’hommes mais surtout de femmes sont frappés ? Il y a mille et une manières de parler des femmes.

C’est Jean Déjeux, qui a consacré sa vie à la production littéraire du Maghreb, qui écrit que «les femmes n’ont jamais été absentes de l’histoire du Maghreb, mais elles n’ont pas toujours été reconnues comme elles auraient dû l’être, les chroniques et les livres d’histoire étant écrits par les hommes».

Gabriel Camps a dévoilé dans L’Afrique du Nord au féminin une galerie impressionnante de figures de proue, depuis Sophonisbe, jusqu’à Fadhma Ath Mansour, écrivant l’histoire de sa vie, en passant par les martyres Perpétue et Félicité, les premières martyres chrétiennes d’Afrique romaine, Monique, la mère d’Augustin, docteur de l’église, Tin Hinan et la Kahina, ancêtres berbères, La Djaziya, ou encore au XXe siècle Fatma N’Soumer, Aurélie Picard (La Tidjania),… In La littérature féminine de la langue française au Maghreb.

N’étant pas historien, je me hasarde tout de même à faire une approche plus historique que littéraire sur les noms des femmes qui ont régné sur cette partie centrale du pays de Tamazgha.

Nous n’avons pas besoin de faire dans le légendaire, créer et amplifier des mythes. Ces femmes existent, elles ont vécu et marqué de leur empreinte l’histoire au point de donner leurs noms à leur région.

Ces noms sont comme des balises mémorielles qui jalonnent notre parcours historique que certaines nations nous envient.

Avant l’avènement de l’islam, la femme berbère avait le choix du mari, pratique encore d’usage dans certaines contrées marocaines avec une légère différence. Dans ces tribus occidentales de Tamazgha, la femme est libre de choisir son mari, seulement, il est vrai, en secondes noces, une fois divorcée.

L’homme, le dominant, est tenu responsable de la pratique qu’il fait de la religion. Il relègue en seconde position la femme.

Il estime d’ailleurs que Dieu n’a envoyé que des prophètes. Mais il est de ces cas, rares il est vrai, où la femme a su néanmoins tirer son épingle du jeu. Certaines ici ou ailleurs sont auréolées de gloire ou de légendes. D’autres sont moins connues.

Ainsi, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, deux prétendants se disputaient la main d’une jeune femme malgré l’accord passé avec l’un des deux. L’influence de la famille du second prétendant était telle que les parents de la nubile durent s’incliner et annuler la promesse de mariage.

Courroucés, les perdants firent appel à la justice du cadi, ce dernier ne pouvant trancher entre les dires des uns et les affirmations des autres fit appel à la concernée, la jeune fille qui, derrière un paravent, fit son choix.

Les deux familles en question sont les Ath Oukaci de Tamda Taabit (Lablatt), siège de l’actuelle université à l’est de Tizi Ouzou et la famille Mahiedine, une branche des Bellil originaire de Tuviret (Bouira).

Le cas le plus connu est bien-sûr celui de Fatma N’Soumer, inutile de s’étaler là-dessus. Mais un autre cas qui relève de la grandeur de la femme mérite d’être médiatisé. C’est la fameuse grève du sexe décidée par les femmes du haut Atlas marocain qui a défrayé la chronique il y a quelques années.

Les femmes posaient le problème crucial du manque d’eau. Si leurs hommes n’arrivaient pas à alimenter les foyers, ils n’étaient pas dignes de partager leur couche. Rôle incarné par Biyouna dans un film dont le scénario fut inspiré par cette histoire.

Des femmes à caractère, Tamazgha en a connu. Ibn Khaldoun, bien avant le XIVe siècle, selon Déjeux dans son livre Femmes d’Algérie, avait rapporté qu’une reine de Larbaa Nat Iraten, Chimci de son nom, avait choisi son mari, un prince venu de Tlemcen qui se révélera être un usurpateur par la suite.

Là n’est pas la question. La femme de Tamazgha a su écrire ses pages glorieuses et laisser des empreintes indélébiles dans la mémoire du temps. Elle ne fut pas toujours en marge des événements.

La sédentarisation des tribus amazighes dans le nord du pays depuis des millénaires avait permis la stabilité des relations et la délimitation d’espaces géographiques permettant la naissance ou l’émergence des cités et de guides, chefs.

Cette responsabilité ne pouvait qu’échoir à celui ou à celle qui transmet et qui détient le savoir et les traditions : la femme, la femme de décision.

Malgré le temps et les nombreuses agressions dont Tamazgha est l’objet (ça continue maintenant), certains villages ont préservé le nom de ces femmes. Hélas, nous sommes dans l’impossibilité de donner un sens à ces noms hérités de l’histoire. Il s’est perdu dans les méandres du passé avec la succession de nombreux envahisseurs-prédateurs.

Nous citerons tout de même quelques-uns de ces villages ou des cités dont le nom féminin résisté à la misogynie.

– M’Douha, le cimetière de Tizi Ouzou son nom : poétesse et guérisseuse, prêtresse ;

– Ighil Hammama Fort National Larbaâ Nath Iraten ;

– Makouda Ma-Kouda ;

– Hora Ath Idjer ;

– Mira Ath Djenad, région de Youcef Oukaci, grand poète du XVIIe siècle qui avait marqué son temps ;

– TamdaTaabitt (Leblatt)

– Tizi Ath Aïcha, l’actuel Thénia (Minerville)

– Adeni, Tawrirt Aden, ces noms ont résisté au temps et à l’islamisation. Si Amar Boulifa n’a-t-il pas écrit : «Pour la première fois, peut-être, depuis qu’elle est sous le régime de la foi islamique, la Kabylie démocratique et laïque, menacée dans sa liberté d’indépendance par l’autorité autocratique des Turcs et des seigneurs féodaux, se met ouvertement sous la protection du Coran». Si Amar Boulifa, in Le Djurdjura à travers l’histoire, p. 152. Editions La pensée, année 2016.

Est-il nécessaire de rappeler que le monothéisme a contribué plus à l’appauvrissement qu’à l’enrichissement intellectuel de la société amazighe ?

L’histoire l’impute aux ottomans, mais surtout à l’arrivée dans le nord du pays des marabouts du Sud marocain et du Sahara occidental.

Ces marabouts n’ont pas hésité un seul instant à octroyer des noms à consonance sacrée de leurs aïeuls aux lieux-dits. Ainsi, tous les lieux présentant un intérêt historique, stratégique ou autre est vite usurpé au nom d’un marabout au détriment du nom d’une femme, perdant ainsi son contenu culturel et historique.

Dénaturant ainsi la toponymie des lieux, introduisant par la même occasion la crainte et la peur dans l’esprit des gens. Certains lieux sont ainsi taxés d’endroits maléfiques, mystérieux. Les points d’eau, les endroits fertiles sont les plus visés par ce pouvoir surnaturel inventé de toute pièce.

Sans conteste, la femme amazighe occupait une meilleure position dans la société d’antan qu’elle ne l’est actuellement. En effet, Mesloub Khider écrit dans son article «Le rôle politique de la religion», je cite, «une société où la femme est dominée produit une religion misogyne». Evidemment, l’homme est responsable de l’interprétation, à son avantage, qu’il fait de la religion.

De nombreuses questions, épineuses, discutées en la Djemaâ ne sont en général résolues que bien après, elles trouvaient solutions le lendemain.

Les femmes, les épouses auxquelles les problèmes étaient soumis par leur époux apportaient le dénouement, contribuant à sauver l’honneur de l’homme. L’expression «la nuit porte conseil» ne pouvait trouver meilleure application.

Derrière chaque grand homme il y a une femme ! Cet adage ne peut être démenti par le terrain de la guerre lors des batailles rangées entre tribus.

Les épouses des combattants étaient aussi sur le champ de bataille derrière leur mari à les encourager, et quand ceux-ci et ceux-là manifestaient une quelconque faiblesse et si les encouragements, les youyous ne suffisaient pas, ces dernières les menaçaient de ne plus partager leur couche, qu’elles ne voudraient point de maris couards, lâches dans leur lit.

De nombreuses batailles sont ainsi gagnées grâces à l’apport, aux encouragements féminins.

Nous citons ce fait historique rapporté par la chronique du corps expéditionnaire français. Une bataille rangée entre les Mahiedine et les Ath-Oukaci tournait à l’avantage de ces derniers, mais une femme, la veuve d’Ali Mahiedine, Khedoudja, insuffla courage et bravoure aux hommes de Taourga pour faire face aux hommes de Belkacem Ath-Ou-Kaci.

Armée d’un sabre, elle se joignit aux Touarguis pour affronter ses ennemis et sauva ainsi leur honneur avec une issue heureuse qui se termina par une victoire et l’emprisonnement de Belkacem Ath-Ou-Kaci, le chef.

Les mêmes encouragements se sont vérifiés durant la guerre de Libération où près des villages, lors des accrochages avec l’armée coloniale, les youyous des femmes revigoraient le courage des maquisards.

La femme n’a pas que le ventre pour se prévaloir et assurer par la même occasion la pérennité de la race humaine, elle a aussi la tête à penser et pourquoi pas les capacités de décider.

Les sociétés musulmanes ne sont pas les seules à être traversées par des courants négatifs, interprétations de l’homme. D’autres à travers la planète ont connu des passages tout aussi condamnables. Nous citons deux faits, fruits d’une lecture lointaine.

Il fut un temps, en Indonésie, la nouvelle mariée, pour sacraliser son mariage, passe sa première nuit de noces avec le moine bouddhiste.

En Angleterre, au XVIIe siècle, la reine enceinte était sur le champ de bataille à guerroyer pendant que son roi de mari gardait le lit et se plaignait des douleurs, comme quoi le dicton locale qui dit que «La poule pend les œufs et le coq se plaint de douleurs» ne peut trouver meilleur place.

Les pages glorieuses des femmes en Tamazgha sont nombreuses, à l’exemple de cet article de Nadhir Sbaâ in L’Expression du 22-05-2005, relevé par le professeur Chems Eddine Chitour : «Guerrière redoutable, elle sacrifia ses deux frères pour exalter le respect de la discipline.»

«Née dans la montagne de Hitaouine (Merouana, les Aurès inférieurs, Titaouine), Fatma ‘‘la Rousse’’, (1544-1641) prêtresse et reine, réussit sous son règne, non seulement à unir plusieurs groupes berbéro-arabes, mais à perpétuer le matriarcat en désignant uniquement des femmes au sein du conseil des sages.

Unique femme, dit-on, des siècles après la Kahina, qui ait régné avec majorité sur les Aurès et perpétué le matriarcat, on la retrouve partout dans les chansons des ‘‘Rahabas’’ et les ‘‘contes’’».

«Ses caractères distincts, sa forte personnalité et son instruction avaient fait d’elle, comme l’écrit Nadhir Sbaâ, une femme crainte, prêtresse admirée, jouissant d’un grand prestige grâce à sa culture ancestrale». (…)

«Malgré les affres du temps et grâce à la mémoire de la population et aux poèmes, son souvenir s’est immortalisé et a pu voyager à travers le temps. Ainsi, ses héritiers pérennisent et sauvent de l’oubli cette figure nationale et emblématique en lui tissant contes et poèmes». Nadhir Sbaâ : «Le mystère de Fatma Tazoughert».

L’adjectif moussiva, la mauvaise, la pécheresse… dériverait du nom féminin berbère Massilva parce qu’elle aurait refusé d’associer sa vie à celui qui fut choisi comme époux par son roi de père.

Je n’ai trouvé aucun document attestant cette véracité, mais nous pouvons, sans l’ombre d’un doute, nous fier à la tradition orale malgré le temps lointain. La mémoire collective est un atout certain dans notre culture.

Dyhia Tadmut, Kahina ; une belle épopée qui a marqué l’histoire du pays. Elle est de la même grandeur que celles de Massinissa…

Assia Djebar à la plume révélatrice de la culture (littérature) féminine ; Fatma Ath Mansour, femme…. ; Fatma N’Soumer, maraboute, femme qui osa briser les tabous et dire non à un mariage arrangé ; Taos Amrouche, l’aède, la transmetteuse des chants ancestraux ; Tin Hinan, celle qui régna sur de nombreuses tribus sahariennes et voyagea avec son nom et son histoire à travers le grand désert et qui nous parvient malgré le temps et la sécheresse scripturale de Tamazgha.

Nous ne pouvons pas oublier en conclusion ce fait grandiose des femmes de Bouzeguène. Elles ont construit un centre de santé inauguré ces jours derniers, août 2018.

Et pourtant, rares sont les rues, les places publiques et autres édifices qui portent le nom des femmes qui ont marqué l’histoire tant sur le plan historique, culturel et sportif. Le temps est-il venu où tant d’injustices seront progressivement réparées ?            


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