«Le CCE a vu sa légitimité fortement affaiblie après son départ à Tunis»



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Dans un article publié par Insaniyat (65-66 | 2014), vous dites que l’installation d’une «autorité centrale avec une répartition rigoureuse des rôles impartis aux uns et aux autres, initiée par le Congrès de la Soummam d’août 1956, est récusée, un an après au Caire, à la session ordinaire du CNRA». Quels sont les groupes qui ont impulsé cette nouvelle dynamique ?

Il faut bien comprendre, avant tout, que la réussite du Congrès de la Soummam de 1956 reposait fondamentalement sur une conception, une idée, un principe : la prééminence de l’intérieur. En d’autres termes, la Révolution ne pouvait être pensée et vécue que si elle était dirigée de l’intérieur du pays, c’est la philosophie de tous ceux qui ont contribué à l’organisation du Congrès. L’autre force de la Soummam, c’est la mise en place d’un programme politique et idéologique pragmatique, de nouvelles institutions, une réorganisation sérieuse de l’ALN…

Ce résultat ne fut pas aisé à obtenir. Au cours de l’année 1955 et des mois précédant le Congrès de la Soummam, un conflit sérieux opposa les deux directions du FLN, celles du Caire et d’Alger sur, précisément, la question de la légitimité à diriger. Légitimité novembriste ou celle de l’intérieur ? Les correspondances entre les chefs historiques à ce sujet (publiées dans le livre de Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, Le FLN, documents et histoire : 1954 1962) permettent de bien saisir l’importance du groupe (membres de l’OS d’abord, puis les fondateurs du FLN) et de l’antériorité (ceux qui ont créé le FLN estiment qu’ils sont plus légitimes à diriger la Révolution. Ben Bella et Boudiaf en particulier estiment qu’un pacte moral a été signé par les «9» le 1er novembre 1954, des documents l’attestent. En 1962, la même rhétorique va se reproduire avec la libération des détenus d’Aulnoy et les deux pôles qui se sont affrontés pendant la crise avaient comme tête de file Ben Bella d’un côté et Boudiaf et Krim de l’autre).

Au Congrès de la Soummam, la direction d’Alger sort donc consolidée sur les plans politique, militaire et idéologique dans le sens où la quasi-totalité des responsables du FLN et de l’ALN activant en Algérie étaient représentés et ont cautionné la Charte de la Soummam et les décisions prises au sujet de la réorganisation de l’ALN et de la constitution des nouvelles institutions du FLN : un exécutif, le CCE et un Parlement, le CNRA.

C’est le fruit d’un long et difficile processus. La direction d’Alger ayant engagé, depuis 1955, des tractations avec les zones pour les rallier à sa cause. Ainsi, peut-on lire dans la correspondance datée du 20 janvier 1956, dans laquelle Abane informe Ben Bella, Khider, Boudiaf et Aït Ahmed que depuis le 1er novembre 1955, Zighout et les cadres du Nord-Constantinois, réunis en assemblée générale, ont accepté d’«être dirigés politiquement par Alger» (voir Mabrouk Belhocine (2000), Le Courrier Alger-Le Caire 1954-1956 et le Congrès de la Soummam dans la Révolution). Ce courrier montre que tout un travail de fond, d’explication, de négociations et de tractation et d’alliances a été réalisé par Abane, Krim, Ben Khedda, Dahlab, puis Ben M’hidi, à son retour en Algérie (pour ne citer que ceux-là) afin que la direction d’Alger soit représentative et reconnue par les moudjahidine dans les maquis.

Cependant, en quittant le pays au début de l’année 1957, le principe de la primauté de l’intérieur sur l’extérieur est, de facto, remis en cause. Le CCE voit ainsi sa légitimité fortement affaiblie. Cette décision bouleverse radicalement les rapports de force au sein du FLN et de l’ALN. Au CNRA d’août 1957 au Caire, Abane est désavoué politiquement ; le 27 décembre de la même année, il est assassiné au Maroc. Dès lors, le FLN opte pour une nouvelle conception du pouvoir basée sur la prééminence des chefs militaires (Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf, Lakhdar Bentobal (les 3 B), et à un degré moindre Amar Ouamrane et Mahmoud Chérif). C’est la fin de l’esprit de la Soummam, une expérience unique dans l’histoire contemporaine algérienne.

Justement, les 3 B (Boussouf, Belkacem, Bentobal), acteurs de premier plan durant cette période de l’après-Congrès de la Soummam, comme vous le détaillez dans un article très éclairant publié dans un ouvrage collectif en hommage à Mohammed Harbi (Edition Hibr), ont vu leur pouvoir de plus en plus contesté avec l’émergence de Boumediène, chef de l’EMG, qui s’est autonomisé par rapport à son ancien mentor (chef du MALG, Boussouf). Qui a favorisé, selon vous, l’émergence de ces nouvelles forces ?

En histoire, il est important de situer les périodes. Le colonel Houari Boumediène devient chef de l’EMG en janvier 1960. L’EMG est placé sous l’autorité d’un Comité interministériel de guerre (CIG) formé par Krim, Boussouf et Bentobal (les 3B). Cette configuration n’a pas fonctionné. L’émergence de l’EMG comme nouvel acteur politique et militaire est due essentiellement à la stratégie du FLN de se doter d’une armée professionnelle aux frontières. Son autonomisation des anciennes allégeances était naturelle dans la mesure où il avait réussi sa mission, en l’occurrence celle de constituer une armée en Tunisie et au Maroc. L’émergence de l’EMG a été aussi favorisée par l’affaiblissement du rôle et place des wilayas de l’intérieur au sein du FLN.

Dès lors, l’EMG parvient à devenir un des plus importants rouages du FLN. Son influence est des plus réelles. Il est de toutes les péripéties et crises auxquelles le FLN et l’ALN ont été confrontés : affaire Zoubir, puis celle du pilote français, d’où une dure confrontation EMG/GPRA, démission de l’EMG le 15 juillet 1961, affaire Moussa,…

Nous voyons que l’émergence d’une nouvelle force au sein du FLN n’est pas sans incidences ni sur les institutions ni sur les hommes. L’EMG est dans une phase ascendante car il constitue le point nodal de la nouvelle stratégie militaire du FLN : l’ALN des frontières sera l’ossature du nouvel Etat algérien indépendant et non les wilayas (très affaiblies par le plan Challe, et aussi par leur marginalisation de la part du GPRA).

Des divergences sont apparues au sein du FLN-ALN, cumulant avec ce qui a été appelé le «complot des colonels». A cela se sont ajoutées des initiatives comme celle des colonels de l’intérieur (réunion des colonels, 1958). Les militaires sont-ils déjà en course pour le pouvoir ?

L’affaire Lamouri et la réunion des quatre responsables des Wilayas en décembre 1958 est une réaction au changement majeur qui a eu lieu au sein du FLN avec la constitution du GPRA le 19 septembre 1958 et la désignation à sa tête de Ferhat Abbas. Ce n’est pas une course au pouvoir des militaires dans le sens où les 3B en 1958 ont une réelle emprise sur le FLN et l’ALN. Le choix de Abbas répondait, à mon avis, à une nécessité stratégique et pragmatique : opposer à de Gaulle une personnalité charismatique et jouissant d’un capital politique et historique. Abbas, de par son long parcours de militant nationaliste, de ses capacités intellectuelles et de ses combats politiques, était la personne la mieux indiquée.

Peut-être, dire aussi que Krim, qui ambitionnait d’être le premier responsable du FLN, était freiné dans ses ambitions par la nature même de la direction à trois qui dirigeait le FLN (le triumvirat des 3 B). Je pense que ce que redoutaient, et à juste titre, les chefs des wilayas (qui étaient en fonction ou non) est la perte d’influence des maquis de l’intérieur au profit d’institutions créées et dirigées en dehors du pays : CCE, 2 août 1957 ; COM Ouest et Est, avril 1958 ; GPRA et EMG Ouest et Est en septembre 1958, puis EMG et CIG en janvier 1960.

Aussi, le GPRA, conscient de la dangerosité et complexité de cette situation, organisa la réunion des «dix colonels» en 1959. Celle-ci va aboutir à la cooptation d’un CNRA où les militaires seront bien représentés. Cependant, le processus du passage du centre de décision de l’intérieur à l’extérieur, amorcé en 1957, ne s’estompera pas. La primauté de l’intérieur est bel et bien morte en 1957 avec le départ du CCE 1 à l’étranger.

La création de l’EMG en janvier 1960 consolidera encore cette réalité. Il faut expliciter toutefois qu’il n’y a jamais eu un front unitaire solide des maquis de l’intérieur, du moins après le Congrès de la Soummam, où presque la quasi-totalité des chefs de l’ALN étaient présents. Depuis, ce sont des initiatives qui, au final, avaient échoué ; je pense notamment à la réunion de décembre 1958 où seulement quatre wilayas ont assisté à ce conclave (les wilayas I, III, IV et VI).

En 1962, et à l’instar des autres forces et courants politiques et militaires, les wilayas ont dû s’allier soit au groupe de Tlemcen ou bien faire de l’opposition (à ce groupe). Ironie ou ruse de l’histoire, les wilayas étaient dans les maquis, à l’intérieur, et ce sont elles qui, sur le terrain, ont permis à ce que la cohabitation entre les deux armées (l’ALN des maquis et l’armée française) puisse se faire dans des conditions acceptables (peu d’incidents ont été signalés entre le 19 mars et le 3 juillet 1962).

Des choix hasardeux, à mon avis, tel que le recours en masse à de nouvelles recrues à partir de mars 1962 (les marsiens) et leur division à la session de Tripoli ont considérablement affecté leur force sur les plans militaire, politique mais également symbolique.

Il convient, toutefois, de préciser que les wilayas ont, en cet été 1962, pris des initiatives sérieuses à Zemmora, le 25 juin, et à Orléansville (Chlef) les 17 et 18 juillet afin de former un bloc ou une alternative aux autres forces. Les deux réunions n’ont pas abouti à des résultats probants. L’absence d’une réelle vision politique et surtout d’un consensus sur des fondamentaux ont faire échouer, encore une fois, le projet d’un commandement unifié des wilayas.

Le GPRA et le CNRA, comme institutions légitimes, ont été vite disqualifiés lors de la crise de l’été 1962. Pourquoi ?

Non, elles n’ont pas été disqualifiées. La réalité, c’est qu’elles n’avaient plus la légitimité d’avant ni les moyens et forces d’imposer leurs idées et décisions. En effet, le processus de l’indépendance nationale, notamment dans ses derniers mois (crise du FLN de l’été 1962), a créé sa propre logique et de nouveaux enjeux politiques et militaires. Dans cette optique, le GPRA et le CNRA, des institutions qui se sont avérées très fiables et efficaces pendant la guerre, n’ont pas pu s’affirmer après le 19 mars 1962, date du cessez-le-feu. A la session extraordinaire du CNRA de Tripoli de mai/juin, par exemple, le FLN s’est fortement recomposé avec l’avènement (en force) des acteurs historiques du 1er Novembre 1954, en particulier Ben Bella et Boudiaf.

Aussi, les courants politiques (Centralistes, Udmistes et Oulémas) se sont positionnés tout comme les wilayas et les personnalités politiques et militaires du FLN. A partir de la deuxième semaine de juillet, Tlemcen va se substituer, pour un temps, à Alger comme capitale politique et centre de pouvoir et le groupe de Tlemcen va s’imposer comme l’institution majeure de l’Algérie à l’indépendance.


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