Mohamed Sidati. Représentant du Front Polisario pour l’Europe

«Le Maroc s’emploie déjà à faire échouer la rencontre de Genève»



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Pour la première fois depuis 2012, les parties en conflit au Sahara occidental, le Front Polisario et le Maroc, se retrouveront, le 5 décembre prochain à Genève, autour de la table des négociations pour tenter de se mettre d’accord sur une sortie de crise pacifique et surtout respectueuse de la légalité internationale et des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU.

Les dirigeants du Front Polisario sentent que le Maroc, comme souvent, fera tout pour casser la dynamique de règlement de ce conflit vieux de 42 ans que vient d’initier l’ONU. Mohamed Sidati, représentant du Front Polisario pour l’Europe, en explique les raisons.

 

A l’invitation de l’envoyé personnel du secrétaire général de l’Onu pour le Sahara occidental, Horst Köhler, le Front Polisario et le Maroc se retrouveront les 5 et 6 décembre prochain à Genève pour une première série de discussions. Avec quel état d’esprit le Front Polisario abordera-t-il cette rencontre ?

Je le dis très clairement, nous aborderons cette rencontre de bonne foi. Nous nous rendrons à Genève avec la volonté de faire progresser le dossier du conflit du Sahara occidental. Pour cela, nous comptons bien évidemment sur le soutien des Nations unies et de la communauté internationale. Je vous rappelle que la mission première de Horst Köhler et de l’ONU est de permettre au peuple sahraoui d’exercer son droit inaliénable à l’autodétermination. Il s’agira donc de chercher, d’approfondir et d’élaborer les voies et moyens pour parvenir à cet objectif essentiel.

Justement, quelle sera la principale demande du Front Polisario lors de ce premier round de discussions ?

Simple. Ce que nous demandons et ne cesserons de demander, c’est l’application du droit à l’autodétermination. Le peuple sahraoui doit pouvoir exercer son droit à l’autodétermination. C’est à lui et à lui seul qu’il appartient de choisir entre toutes les options mises sur la table (l’indépendance, l’intégration au Maroc…, ndlr).

Ce choix doit émaner du seul peuple sahraoui et il faut qu’il soit respecté. Cet aspect constitue notre point de départ. Jusque-là, cela n’a pas pu se faire en raison du sabordage systématique par le Maroc des efforts de paix initiés par l’ONU. Il faut que cela cesse. L’Onu doit faire en sorte que la rencontre de Genève soit le moment et le lieu pour un départ sérieux dans la mise en place et l’application d’un processus de paix qui devrait, encore une fois, culminer avec l’exercice par le peuple sahraoui de son droit à l’autodétermination.

Dans un entretien accordé le 2 novembre dernier au quotidien Le Monde, le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a indiqué que «certaines choses ne sont pas négociables pour le Maroc, à savoir toute solution qui remettrait en cause l’intégrité territoriale du royaume ou qui prévoirait une option référendaire». Comment interprétez-vous cette sortie ?

On revient à la politique basée sur le chantage. Cette déclaration veut dire que le Maroc n’a pas reconsidéré sa politique. C’est un très mauvais signal. Il signifie que le Maroc entend tourner le dos aux négociations prévues à Genève. Son but est, selon toute vraisemblance, de remettre en cause ou de dynamiter le processus de règlement du conflit avant même sa naissance ou son début. C’est grave. Le Maroc essaye de maintenir le statu quo. Par cette sortie, il veut aussi faire pression pour amener la communauté internationale à céder à ses injonctions. C’est ahurissant. C’est l’inverse qui doit se produire.

Dans un discours prononcé le 6 novembre dernier, le roi Mohammed VI a proposé à l’Algérie un dialogue «direct et franc», pour «dépasser les différends» entre les deux voisins. Cette invitation a été lancée à l’occasion de la date anniversaire de l’invasion par le Maroc du territoire du Sahara occidental. Comment décryptez-vous ce discours ?

Ce discours est truffé de contradictions et de provocations. Souhaiter la réconciliation avec l’Algérie et en même temps violer l’un des principes fondamentaux sur lequel repose la politique de son voisin, à savoir le respect de l’autodétermination et le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination, est complètement absurde.

Le timing choisi (la date anniversaire de l’invasion du Sahara occidental, ndlr) pour prononcer son discours est également problématique. S’il avait vraiment voulu se réconcilier avec l’Algérie, il aurait dû choisir un autre moment pour prononcer son discours. Il fait preuve d’une grande mauvaise foi. C’est en même temps perfide.

Sur un autre plan, son message confirme l’échec des politiques du Maroc. Le constat est valable autant pour celle appliquée au Maghreb que pour celle se rapportant au Sahara occidental. Il s’agit de politiques fondées sur la stratégie de la tension permanente et prônant l’hostilité à l’égard de l’Algérie.

Le Maroc sentirait la nécessité d’adopter une approche différente, vraiment ? Quel est, selon vous, l’objectif assigné à ce discours ?

Si c’est réellement le cas, c’est en tout cas à lui de prouver qu’il veut vraiment que la situation change dans le sens de l’apaisement. Ce n’est ni à l’Algérie ni au peuple sahraoui de le faire. Ils fournissent régulièrement la preuve de leur volonté de parvenir à la paix et à une solution pacifique du conflit du Sahara occidental. C’est au Maroc de revoir et de reconsidérer sa stratégie. Or, pour le moment, ce n’est pas le cas. Rien n’a changé.

C’est pourquoi je pense que le roi Mohammed VI n’a pas décidé seul de prononcer un tel discours. Cette décision a dû lui être certainement soufflée par plusieurs parties qui ont des intérêts dans la région. Ce discours est loin d’être innocent. Au vu de l’importante dose de mauvaise foi qu’il renferme, il ne peut que faire partie d’une grande opération ou d’une grande manœuvre dont l’objectif est de fausser le débat sur le conflit du Sahara occidental au niveau des Nations unies.

Le Maroc et ses soutiens cherchent encore une fois à essayer de faire croire que le conflit oppose le Maroc à l’Algérie et non pas le Maroc au peuple du Sahara occidental représenté par le Front Polisario. Il ne peut donc s’agir que d’une nouvelle diversion, surtout qu’elle intervient à la veille du rendez-vous de Genève. Ce n’est malheureusement pas la meilleure voie pour parvenir à une paix durable dans la région.


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