Enquête. Pourquoi la professionnalisation du football algérien a échoué



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En Algérie, c’est à travers l’instauration du code de l’EPS en 1977 qu’apparait
pour la première fois dans le football algérien une forme de professionnalisme prise en charge totalement par l’Etat. Puis, il a fallu attendre 1997 pour que le Ministre de la Jeunesse et des Sports de l’époque Mohamed Aziz Derouaz fasse élaborer un premier cahier des charges pour le passage des clubs de football au professionnalisme.

Trop draconien par rapport aux pratiques de gestions utilisées par les gestionnaires des clubs à l’époque, ce système n’est pas mis en œuvre. Et il fut impossible d’imposer ce
professionnalisme même durant le passage de Yahia Guidoum à la tête du Ministère de la
Jeunesse et des Sports et la promulgation en 2005 d’un décret fixant les règles en la
matière.

Le 28 décembre 2007, à travers le circulaire n° 1128, la FIFA impose aux associations qui lui sont affiliées un règlement sur la procédure d’octroi de la licence professionnelle, qui viserait à garantir que les «clubs participant aux compétitions internationales remplissent les exigences standard minimales»5 qui seraient tributaire de la satisfaction obligatoire de 06 critères, listés par la FIFA et la CAF : des critères d’infrastructures (homologation et certification de stades, disponibilité des terrains d’entraînement, de moyens de récupération…), des critères sportifs (école de formation, programme de développement…), des critères financiers (budgets prévisionnels, bilans contrôlés et certifiés par une entité officielle, des statuts financiers audités annuellement…), des critères liés à la ressource humaine (mise en place d’un organigramme spécifique avec les différents staffs…) et enfin des critères juridiques (portant sur les statuts du club, son registre…)

Certains sont obligatoires, d’autres ne le sont pas. C’est dans l’ambiance des matchs de qualification de l’équipe nationale de football à la coupe du monde 2010 que la FAF décide d’appliquer le système du professionnalisme dans le championnat de football algérien. Il ne fut pas donné beaucoup de temps aux clubs de nationale une et nationale deux afin de présenter un dossier pour intégrer ce nouveau système (le dernier délai était fixé au 30 juin 2010).

Il était convenu que les clubs qui ne se conformeraient pas à certaines premières conditions seraient exclus du nouveau championnat professionnel de ligue une3 et relégués donc en championnat amateur. Sans surprise, les 32 clubs de nationale une et deux ont fait acte de candidature et ont répondu au premier des six critères exigés (le critère juridique), à travers lequel furent créé des Société Sportive Par Action (SSPA) avec l’accord des Assemblée Générale des clubs sportifs amateurs.

Leur choix était logique puisque l’Etat algérien s’était impliqué à sa manière dans la facilitation à cette mutation promettant d’apporter une batterie d’aides nécessaires aux clubs qui feraient la transition. Parmi ces promesses :

– Un prêt de 100 millions de dinars pour chaque club, remboursable après 10 ans.
Ce prêt sera remboursable sur 15 ans, avec un taux d’intérêt de 1 %, au bout de la
dixième année d’exercice, c’est-à-dire que ce n’est que 10 ans après la date du prêt que le
club commencera à le rembourser sur une période de 15 ans. Ce taux d’intérêt très bas se
veut comme un geste d’encouragement de l’Etat pour favoriser le développement du
professionnalisme en Algérie.
– Des assiettes de 2 hectares pour la construction de stades. En plus du prêt  financier, chaque club bénéficiera d’une assiette d’une superficie de 2 hectares au prix
symbolique de 1 DA le mètre carré, soit pour un montant global de 20 000 DA. Cette
assiette devra servir à l’édification de centres d’entraînement avec une aide de l’État qui
avoisinera les 80%. Des mesures de contrôles seront instaurées afin d’empêcher que
l’assiette de terrain soit utilisée à des fins autres que la construction de biens immobiliers
du club.
– Un bus haut standing pour chaque club. Chaque club professionnel sera aussi
doté d’un bus de haut standing pour ses déplacements à l’intérieur du pays.
– Des prises en charge à hauteur de 50% des frais de transport des équipes
– Et des remboursements à hauteur de 50% sur les dépenses des clubs qui
participeraient aux compétitions internationales.

Toutes ces dispositions sont destinées à baliser le terrain pour permettre aux clubs de se
donner les moyens de base nécessaires pour faire face à leur nouveau statut. Ce genre de
soutien a pour objectif la stabilité financière des clubs surtout durant la phase aboutissant
au professionnalisme en attendant de trouver de nouvelles sources de financement qui
leur assurent la poursuite de leurs activités.

Toutes ces promesses d’avantages matériels, financiers et fiscaux incitèrent toutes les
équipes concernées sans exception au changement de statut sans trop se soucier du cahier
des charges et des conditions à remplir pour accéder au statut de club professionnel. C’est
le 12 juillet 2010 que la FAF et la LNF ont rendu public le fameux cahier des charges
relatif aux obligations techniques devant être souscrites par les clubs éligibles au
professionnalisme, et dont l’application commença à partir de la saison 2010/2011. Le 24
septembre 2010 débuta le premier championnat de football professionnel en Algérie. Dès
2011, une structure1 de contrôle (la DNCG) une sorte de gendarme économique chargé de
surveiller de près les comptes des clubs est mise en place, car soumettre les clubs
professionnels à un fair-play financier reste aussi parmi les principaux objectifs de la
FIFA.

Outre toutes les mesures citées précédemment, afin de permettre aux clubs de bénéficier
de la licence FIFA ; l’organigramme du futur club professionnel devra comprendre, un
directeur général du club, un directeur technique un directeur des finances et de la
comptabilité, ainsi que les personnels techniques nécessaires ; sans oublier les dirigeants
de la société. Transformés en société par action et gérés par des personnes physiques privées, les clubs professionnels ont certes bénéficié de certains avantages de la part de l’Etat, qui considère cela comme entrant dans son rôle de régulation pour les nouveaux
investissements. Mais il est clair qu’après cela, les clubs professionnels n’auront plus
droit aux subventions de l’Etat, ni à la donation des entreprise publiques, car il n’existe
maintenant aucun support juridique qui permette d’octroyer une subvention à un club
professionnel.

Le professionnalisme entre promesses et attentes 

Comme nous l’avons vu, les clubs sportifs en entrant dans le système du
professionnalisme acceptent de se transformer en Société commerciale générant des
bénéfices par le produit de la prestation sportive. En s’inscrivant sous ce nouveau statut,
ils ne sont plus régit par la loi 90/31 du 04 décembre 1990 et perdent de ce fait les
avantages liés à cette loi comme l’octroi de subventions et la donation des entreprises. Le
nouveau contexte (et la nouvelle batterie de lois) dans lequel se sont inscrit ces clubs de
football, font que ces derniers ont besoin d’un capital économique afin de démarrer.

Lors du lancement du projet chaque club s’était transformé en Société Par Action et leurs
actions furent mises en vente afin de réunir la somme d’argent qui allait constituer le
capital social du club. Le club le mieux loti fut l’Union Sportive de la Médina d’Alger
(USMA) dans lequel l’industriel et homme d’affaire Ali Haddad (l’ETRHB) injecta 700
millions de dinars. A part ce dernier, tous les autres clubs ne réussissent pas à vendre
toutes leurs actions et entrent donc dans le professionnalisme mais avec des capitaux
économiques assez faibles. Ce qui change aussi dans la nouvelle organisation est que les
présidents de clubs ne sont plus élus par l’assemblée générale mais plutôt par un conseil
d’administration ou le plus logiquement du monde par l’assemblée des actionnaires du
club.

A travers toutes ces mesures, es-ce que cela voudrait dire que la FIFA voudrait
écarter l’Etat de la destinée du sport de haut niveau et es-ce que l’état acceptera de laisser
ces clubs de football aller vers cette forme de privatisation (si nous pouvons la qualifier
comme telle) proposée par la FIFA ? Prenant en considération bien entendu tous les
enjeux qui l’accompagnent sachant qu’il peut être un outil d’éducation, d’identité,
d’investissement … comme nous l’avons vu précédemment.

Le professionnalisme dans la gestion du football commence comme tout le monde le sait
par un état d’esprit, des attitudes et toute une culture. Et comme il est connu, les clubs de
football en Algérie sont de véritables tubes digestifs, qui demandent beaucoup d’argent.
Les dirigeants des clubs de football avaient été habitués dans le passé à ce que les budgets
des clubs proviennent de subvention émanent de l’Etat et d’entreprises publiques et
privées. Aujourd’hui, contrairement à ce qui se pratique dans les clubs européens, les
banques algériennes refusent de faire des prêts sans aucune garantie à nos clubs de
football. Il faut dire que ces derniers ne sont encore propriétaires d’aucune infrastructure
sportive, malgré que les ressources financières destinées par l’état aux infrastructures
sportives sont passées de 50 milliards de dinars durant la période 2000–2004 à près de
200 milliards de dinars durant la période 2005-20092 ; mais toutes les infrastructures
sportives existantes sont il faut le savoir la propriété de l’état.

Beaucoup d’investisseurs qui s’étaient lancés dans l’aventure dès le départ encouragés
par les aides promises par l’état se sont rendu compte après deux années de championnat
que ces dernières n’allaient arriver qu’après que le club ai réussit à obtenir sa licence
professionnelle afin de l’aider à asseoir son statut.

Les investisseurs s’approchent du football professionnel en tant que projet pour un retour
en capital symbolique (acquisition de notoriété par exemple) d’un côté mais aussi et
surtout pour réaliser un bénéfice matériel. Il s’agirait donc d’un investissement. Mais s’ils
ne réalisent pas de bénéfices resteront-ils à la tête de ces institutions ? En Europe par
exemple, 60 % des recettes du club sont assurées par les droits de télévision (il s’agit de
la principale source de revenu de ces clubs). En Algérie, l’ENTV détient le monopole sur
la diffusion audio-visuelle, il n’y a donc aucune concurrence et aucune surenchère, et
donc une manne financière de moins pour les sociétés sportives professionnelles. Et si les
dépenses du club commencent déjà à peser (malgré qu’ils sont encore dotés des
subventions émanent de l’état) ; beaucoup de nouvelles mesures comme les fiscalités et
les couvertures sociales des footballeurs salariés sont déjà appliquées en attendant les
aides publiques promises.

La professionnalisation : utopie du football algérien !

L’argent, moteur du sport est certes très important dans la réussite des clubs
professionnels ; mais d’autres éléments aussi bien matériels que culturels sont aussi
indispensables. Les clubs de football algériens se sont transformés en sociétés par action
pour s’inscrire dans le nouveau système de professionnalisme que proposait le football
algérien. L’objectif était de ne pas rester à la traîne, de faire tout ce qui était possible afin
de rester parmi l’élite et de saisir l’opportunité qui était offerte à tous les clubs de 1ère et
de 2ème division (en attendant les procédures qui promettaient de révolutionner le football
en Algérie).

Pendant ce temps et au courant des deux années qui suivirent le lancement
officiel du professionnalisme, le manque d’infrastructures (stades) respectant les normes
internationales (règlementaires) se faisaient ressentir au niveau de tout le territoire
algérien. Dans beaucoup de cas aussi, c’est l’ancienne habitude qui perdure et l’on
entend à chaque fois dire que se sont des présidents de clubs qui procèdent aux choix des recrutements, comme c’est encore eux qui détiennent tout les monopoles sur le club
comme par exemple répondre à la presse sans que soit désigné un attaché de presse pour
cela. Dans les clubs professionnels étrangers, les supporters sont considérés comme l’une
des sources d’argent sur laquelle peut compter le club. En Algérie, même s’ils sont
nombreux, et qu’ils consomment football, c’est-à-dire achètent les maillots de l’équipe et
tous les produits dérivés de la marque de l’équipe, la contrefaçon qui inonde le marché
algérien fait qu’aucun équipementier ne se risquerait à prendre ces marchés.

Sur un autre registre, il n’y a aucun encouragement envers les clubs qui envisagent de
former des joueurs. Aucune loi ne protège ces clubs en permettant de faire signer par
exemple des contrats avec des jeunes sur lesquels ils peuvent investir et peuvent
appartenir à des tranches d’âges inférieures à 18 ans.

Aussi, il est difficile de croire que l’état (et le pouvoir politique) accepterait de laisser le
football avec tous les enjeux qu’il recèle aux mains des privés (personnes physiques) qui
courent eux derrière le profit, cela voudrait dire qu’il accepterait de se voir délester d’une
des formes de son pouvoir public et qu’il accepterait par exemple le fait de voir le
président de la fédération Algérienne de Football plus puissant que le ministre de la
jeunesse et des sport. N’oublions pas aussi comme nous l’avons vu qu’avec le parcours
de l’équipe nationale par exemple le pouvoir a réussit à avoir une année assez calme. Et il
ne faut pas se faire beaucoup d’illusion car le fait que le pouvoir accorde des prêts à taux
bonifier aux clubs, alors que beaucoup de dirigeants auraient pu être jugés et mis en
prison pour des délits divers comme par exemple la mauvaise gestion des deniers publics
voudrait peut être dire que cette ouverture ‘organisée’ serait ‘contrôlé’ par le pouvoir
politique.

Depuis son arrivée en Algérie, le football a joué des rôles très importants. Au départ,
pendant la colonisation, il a été un moyen d’affirmation identitaire, puis un outil de
propagande dans la recherche de reconnaissance internationale et même un ambassadeur
pendant la lutte de libération.

Ensuite, après l’indépendance, ce fut une école de contestation. L’espace de liberté ainsi
que l’anonymat qu’il procure en fait un espace d’expression privilégiée pour les jeunes. Il
est comme nous l’avons vu parmi les rares objets autour desquels les jeunes se
rassemblent et à travers lequel ils ont l’occasion d’exprimer fortement leur Algérianité.

Ce sont des sentiments de fierté et d’appartenance qui emportent les jeunes lorsque leur
équipe de football gagne un match sur le terrain. Cet élan de nationalisme (ou de
régionalisme) qu’aucune autre institution ne peut créer avec autant d’intensité nourrit
l’identité de notre jeunesse. Même l’état avec tous les moyens qui sont en sa possession
n’a pu réussir à travers ses diverses tentatives à réveiller l’esprit nationaliste que le
football a su excité en marquant quelques buts dans des filets.

S’il réussit à susciter tout cet engouement, c’est que le football est une passion avant tout
et qu’il dégage des émotions intenses. Et s’il est important pour les jeunes parce qu’il
favorise leur insertion et leur intégration au sein de la société, il arrive que le football se
mêle aussi d’incivilités, et de violences verbales, morales et physiques.

Le football représente aujourd’hui un mécanisme d’ascension sociale. Effectivement,
depuis les années 80 avec l’arrivée des médias modernes, presse écrite, radio, télévision
et internet, le football dispose de puissants supports médiatiques et avec l’avènement des
droits de diffusion télévisuelle, ce sont aussi les productions d’équipements sportifs et
toutes sortes d’autres produits dérivés qui alimentent et font tourner la machine
économique.

Depuis son apparition dans le monde, le football a conquis des régions, des populations et
des nations toutes entières. D’après une enquête lancée à grande échelle par la FIFA
durant l’été 2000 il serait pratiqué régulièrement par plus de 240 millions de personnes.
Plus de cinq millions serait aussi directement impliqués comme arbitres et officiels. Mais  en plus de toutes ces personnes qui sont directement liés à la pratique, des hommes
politiques et des hommes d’affaires investissent le terrain et instrumentalisent la pratique.
Le football dépasse aujourd’hui l’idéologie de jeu, de fair play et de loisir qui l’avait
nourrit au départ et devient un outil politique, économique et idéologique avec de
nombreux enjeux.

« Le sport en général et le football en particulier pris comme analogon est un
remarquable moyen d’analyser les changements sociaux qui surviennent dans le monde
actuel. Il permet par exemple de constater que la machine sociale qu’était le football à la
fin du XIXème siècle, dont le but fondamental (au sens de fondateur et d’essentiel) était
de créer du lien social et participait de et à une politique de territorialisation et de
régulation sociale, s’est transformée à la fin du XXème en une énorme machine
économique générant des flux financiers considérables tout en fabriquant de la violence
et de l’exclusion. »

Par REHAÏL Tayeb, chercheur en Anthropologie Sociale et Culturelle à l’université d’Oran


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