Révolution du système éducatif ou l’école 3.0 (1re partie)



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Par Mourad Hamdan(*) – «L’éducation est au centre de toutes les stratégies de construction de l’avenir. C’est un enjeu mondial, un des grands défis du troisième millénaire. Un processus primordial de survie, d’adaptation et d’évolution de l’espèce humaine que l’homme va devoir conduire dans le respect des diversités et des libertés. Sans éducation, il ne peut y avoir de participation consciente et responsable à la gouvernance des sociétés de demain.» (Joël de Rosnay).

«Toute réflexion éducative et toute pratique pédagogique, toute responsabilité d’éduquer dès qu’elle se réfléchit, touchent à des interrogations qu’on peut qualifier de « philosophiques » en ce sens qu’elles font écho aux interrogations que la philosophie ne cesse de reprendre. Est-il possible d’instruire et d’éduquer sans manifester un intérêt pour le savoir ?»

Modèle éducatif performant

L’éclosion de talents doit être favorisée par un système éducatif très performant. Outre le fait qu’il doit encourager la collaboration, la participation, l’esprit critique et la créativité, le but d’un système scolaire consiste avant tout à donner à chaque élève la possibilité d’effectuer une ascension sociale et de contribuer à l’intérêt général une fois rentré dans la vie professionnelle. Chaque élève est tenu de suivre un enseignement adapté à ses aptitudes au sein d’un système éducatif adapté à l’économie responsable.

Mais mettre la priorité sur la «réussite scolaire» nécessite mécaniquement d’adapter le rythme scolaire au «rythme de l’apprenant». Et c’est là que le rôle de l’enseignant, en tant que pédagogue, est déterminant.

On notera que les considérations pédagogiques sont entièrement dépendantes des disciplines enseignées car il y a autant de pédagogies que de genres de disciplines différentes, et que c’est la connaissance de ces disciplines qui va permettre la définition de ces méthodes pédagogiques.

Vers un changement de paradigme

Si certains acteurs de notre secteur de l’éducation évoquent à bon escient une révolution s’inspirant des modèles norvégien, finlandais, singapourien, sud-coréen ou autre, c’est en raison de la nécessité du changement en profondeur de notre modèle éducatif. L’école algérienne doit repenser ses modes d’apprentissage, d’évaluation et de fonctionnement, car le constat actuel est sans appel : notre système éducatif est plus que défaillant ! Pour inverser cette tendance, il faut repenser la pédagogie et la transmission des savoirs en s’appuyant sur les dernières découvertes en neurosciences, les nouveaux modes d’apprentissage et surtout le numérique en tant que support d’un renouveau éducatif fondé sur l’audace, l’ouverture au monde et l’adaptation à la vitesse du changement.

Les solutions qui facilitent l’acquisition des savoirs fondamentaux, valorisent les réussites de l’élève, réaffirment le rôle majeur de l’enseignant, gomment les inégalités territoriales existent et sont déjà opérationnelles. C’est dans cette optique que nous proposons dans cette contribution le changement de paradigme d’enseignement à celui de paradigme d’apprentissage avec une dimension d’étayage pédagogique du programme scolaire officiel à vocation d’évaluation formative.

Ce changement de paradigme peut développer chez l’apprenant des compétences de haut niveau soutenues par diverses formes de savoir comme le savoir‐faire (comprendre, appliquer), le savoir‐être (analyser, synthétiser) et le savoir‐devenir (évaluer).

Révolution numérique

L’entrée dans l’ère numérique et le changement de paradigme qui en découle amène l’humanité à vivre une civilisation nouvelle. En permettant la diffusion et le partage massif de la connaissance, le numérique agit en faveur d’une démocratisation du savoir et comme un outil au service de l’échange, de la communication et du travail collectif. Le numérique entraîne une métamorphose anthropologique et bouleverse nos manières de penser, d’apprendre, de vivre et d’agir. Nul ne conteste le fait que dans notre monde numérisé, l’éducation est l’outil le plus puissant pour accéder à la multiplicité des connaissances brutes et non évaluées que les entreprises veulent identifier et utiliser en connaissance de cause !

Plateformes éducatives en ligne

Depuis quelques années, on assiste à une multiplication de sites web qui permettent aux élèves de consolider les connaissances acquises en classe avec leur professeur. Le développement des nouvelles technologies d’information et de communication (TIC) a permis aux étudiants de s’affranchir d’un cadre spatiotemporel pour parfaire leur apprentissage en utilisant de telles plateformes en ligne. En parallèle, des logiciels susceptibles d’évoluer et dont l’objectif est de permettre à l’apprenant de garder une trace de son parcours en utilisant les caractéristiques de stockage et de gestion des données des TIC ont été développés. Ces outils permettent de présenter une collection de traces volontaires d’apprentissage laissées par un élève afin de rendre compte de ses activités réalisées tout au long de sa scolarité. Ceci implique de doter l’étudiant d’une identité virtuelle et d’un espace personnel sur le site afin d’assurer non seulement son propre suivi de ses activités (en lui donnant la possibilité d’effectuer une auto‐évaluation et une réflexion sur son apprentissage) mais aussi de permettre à ses enseignants d’avoir un regard sur son parcours à travers la constitution de classes virtuelles.

Ces outils interactifs dotés d’interfaces fluides, intuitives, ludiques… dédiées aussi bien à l’apprenant qu’à ses enseignants, contribuent à renforcer la métaphore de l’école que représente le site en permettant aux enseignants d’endosser le rôle de tuteur.

E-portfolio

L’e‐portfolio ne doit pas être confondu avec le webfolio. Ce dernier représente plutôt une collection de travaux d’étudiant de type site web statique dont les fonctionnalités dérivent des hyperliens HTML, tandis que l’e‐portfolio se réfère à la notion de site web dynamique utilisant une base de données (Batson, 2002). Le nombre de logiciels de ce type sur le marché ayant explosé, plusieurs définitions ont été utilisées pour présenter l’e‐portfolio :

«Tout dispositif facilitant l’apprentissage réflexif en permettant à une personne (ou une organisation) de collecter, d’organiser et de publier une sélection des traces de ses apprentissages pour faire reconnaître, voire valoriser, ses acquis et planifier ses apprentissages futurs» (Ravet, 2008).

Une seconde définition semble mieux correspondre à la réalité du terrain pédagogique car elle traite de l’évaluation :

«Le portfolio est un dossier de présentation des différents travaux réalisés par l’élève. Ce processus continuel demande à l’élève de s’auto-évaluer continuellement. Cet outil permet aussi aux élèves de commenter ou de réfléchir sur les compétences mises en œuvre au cours de la construction de leurs connaissances. Le portfolio n’est pas seulement un projet de fin de session, c’est aussi un moyen de communiquer le cheminement de l’élève sans qu’il soit nécessairement évalué. Cette méthode d’apprentissage facilite aussi l’évaluation, car il permet à l’enseignant d’avoir une vue globale des progrès de l’élève. Le concept de portfolio électronique est semblable au régulier. La seule différence est que le choix des travaux, la façon de les réunir, l’autoévaluation, les réflexions de l’élève et les commentaires de l’enseignant se feront par ordinateur. L’élève exploitera les TIC durant tout le processus d’apprentissage» (Collectif, université du Québec à Chicoutimi, 2007).

Cette seconde définition précise le caractère d’évolution de l’e‐portfolio et met l’accent sur l’autoévaluation continuelle de l’élève. De plus, le cheminement de l’élève est communiqué sans être nécessairement évalué par l’enseignant. On peut remarquer dans ces deux définitions que l’usage d’un tel outil peut se faire quel que soit le mode et le niveau d’enseignement. Durant toute sa vie, une personne peut construire et faire évoluer son e‐portfolio sans que celui‐ci ne soit lié exclusivement qu’à un environnement d’enseignement à distance (EAD).

Usage du portfolio électronique à des fins d’évaluation

L’usage de l’e‐portfolio ne cesse de croître et il y a une volonté de le généraliser en Europe avec le projet de l’institut EiFEL qui vise à doter chaque Européen d’un tel outil. Reste à définir le but d’une utilisation de ce genre d’outil concernant le droit de regard de l’enseignant sur le parcours de ses élèves. Il s’agit de choisir entre les deux paradigmes :

Le point de vue institutionnel qui utilise l’e‐portfolio souvent comme évaluation sommative. Le point de vue individuel à vocation d’évaluation formative (Scallon, 2000).

Barrett (2004) traite de ce dilemme concernant les e‐portfolio. Il explique que la plupart des institutions ou même des Etats considèrent cet outil comme un moyen d’évaluation (portfolio as test) plutôt que comme une narration visant à développer des apprentissages profonds (portfolio as story) avec pour conséquence une scolarisation du e‐portfolio. De ce fait, les élèves le considèrent souvent comme un exercice scolaire, une forme de «rendre compte» à l’institution auquel il faut se soumettre.

L’e‐portfolio d’apprentissage utilise le second paradigme, il privilégie l’évaluation pour l’apprentissage (assessment for learning) à l’évaluation de l’apprentissage (assessment of learning) celui‐ci étant pratiqué par l’institution. Cette notion d’«assessment» est difficile à traduire en français. Scallon (2004) met en garde contre la tentation d’en prendre pour équivalent français le mot «évaluation» à laquelle il préfère la notion de «processus d’évaluation plus étendu» et utilise l’analogie suivante pour expliquer cette notion : «L’évaluation est à l’assessment ce que la recherche d’un objet précis est à l’enquête.» Dans le cas où l’enseignant a accès au portfolio des élèves de sa classe, celui‐ci n’évalue pas ses élèves dans un cadre institutionnel de façon sommative, mais les soutient dans le but d’améliorer leur apprentissage, donc dans un cadre formatif. Cette utilisation du portfolio à des fins d’évaluation peut constituer également un caractère de co-évaluation avec les pairs dans le cas où une fonction de partage et de communication est mise en place.

Personal learning environment

Un apprenant doit pouvoir identifier ses besoins d’apprentissage, effectuer un retour sur les données qu’il a déjà enregistrées et pouvoir discriminer parmi celles‐ci celles qui démontrent sa compétence. L’utilisateur doit aussi avoir la possibilité d’élaborer un plan de progression qui lui permettra par la suite d’identifier de quelle manière et à quel moment il sauvegardera son travail et d’effectuer une réflexion sur son apprentissage. Les fonctions essentielles à mettre en place sont au nombre de quatre : la collecte de données ; la réflexion ; la connexion avec des pairs ou autres ; la publication.

Traces numériques et personnalisation       

Du point de vue méthodologique de l’enseignant, le cahier correspond à un outil de suivi des activités d’étayage pédagogique (scaffolding) qui sont proposées par l’enseignant (corpus d’activités) en correspondance avec la programmation pédagogique pour une année scolaire en tant qu’organisation de l’apprentissage (modèle du domaine). L’analyse de l’activité de l’apprenant, en examinant les traces de celle‐ci, permet une cartographie de l’état de ses connaissances (modèle de l’apprenant) et peut déboucher sur une évaluation (mesure) et des stratégies de remédiation pour les élèves en difficulté (guidage de l’apprenant) (Fernandes, Carron et Ducasse, 2009). Il s’agit d’examiner maintenant la façon de personnaliser ces traces et de leur donner un sens pédagogique afin que les différents acteurs puissent se les approprier.

Settouti, Prié, Marty et Mille (2007) donnent une définition de la personnalisation des EIAH (environnement informatisé pour l’apprentissage humain). Selon eux, la personnalisation d’un EIAH désigne la capacité de ce dernier à s’adapter par ses services, ses ressources ou ses interfaces aux besoins des utilisateurs. Ces auteurs, précisant que les traces informatiques sont à la base de nombreuses approches de personnalisation, ont mis en place un cadre théorique qui utilise un certain nombre de notions, une terminologie et un vocabulaire adaptés. Ils précisent la notion de «trace numérique» qu’ils considèrent comme étant «une trace de l’activité d’un utilisateur qui utilise un outil informatique pour mener à bien une activité s’inscrivant sur un support numérique». Ils donnent également une définition d’EIAH utilisant des traces : «Tout EIAH dans lequel on peut relever l’utilisation de traces numériques, de quelque manière que ce soit, avec des degrés de généricité variables de manipulation des traces.» Lund et Mille (2007) ajoutent, concernant la trace numérique, qu’il s’agit d’«une inscription volontaire dans l’environnement informatique d’empreintes d’interactions entre un utilisateur et son environnement (informatique)». Ces auteurs argumentent que «la notion d’inscription volontaire est importante pour démontrer qu’il ne s’agit pas d’empreintes laissées au hasard dans l’environnement, mais au contraire délibérément laissées comme inscriptions de connaissances en contexte».

Peraya, Batier, Paquelin, Rizza et Vieira (2009) opèrent une distinction entre données et traces : «Les traces sont des données mais toutes les données ne sont pas des traces.» «On appelle système à base de traces modélisées tout système informatique dont le fonctionnement implique à des degrés divers la gestion, la transformation et la visualisation de traces modélisées explicitement en tant que telles». (Laflaquière, Settouti, Prié, Mille, 2007). Cette modélisation doit faire sens pour l’apprenant et, par cela, devient une inscription de connaissance.

Cadre théorique et bénéfices attendus

Ce passage en revue de l’utilisation des e‐portfolios en éducation et du suivi de l’élève grâce aux traces numériques laissées dans un EIAH donne un aperçu des nombreuses possibilités d’exploitation pédagogique de ces outils. L’avènement de l’ère numérique a fait évoluer le concept de portfolio (dossier personnel dans lequel les acquis de formation et les acquis de l’expérience d’une personne sont définis et démontrés) vers celui de portfolio électronique (e‐portfolio) et le développement du web permet désormais d’intégrer un e‐portfolio dans un environnement d’apprentissage à distance (EAD) pour constituer une ébauche d’environnement personnel d’apprentissage (Personal learning environment, PLE).

Parmi les différentes catégories d’e‐portfolio répertoriées, celui considéré comme dossier d’apprentissage est à retenir puisqu’il a vocation à être lié à un corpus d’activités qui utilise lui‐même un paradigme d’apprentissage en rapport avec les plans d’étude de la scolarité obligatoire. L’élève est au centre de la gestion de cet outil (Banks, 2004), l’enseignant oriente et soutient l’apprenant qui développe ses capacités de réflexion sur ses apprentissages et de celles de responsabilisation. Bibeau (2007) considère qu’il s’agit avant tout d’un outil de réflexion et de structuration de la pensée. Le fait de sélectionner des étapes de son parcours d’apprentissage et d’effectuer un retour sur celles‐ci permet à l’étudiant de prendre du recul par rapport à ses activités. En réfléchissant ainsi sur le bilan des enregistrements sélectionnés, il peut établir ses propres objectifs d’apprentissage et organiser le contenu de son portfolio de façon à structurer sa pensée.

Le portfolio, en permettant à l’élève d’effectuer un retour sur des phases d’apprentissage, donne aussi la possibilité de réviser des notions ou même d’analyser et de corriger des erreurs. En retravaillant une situation d’apprentissage ou en la révisant, l’étudiant dispose d’un outil d’apprentissage et de connaissance de soi. Ces retours permettent de développer des jugements sur son cheminement et de se situer par rapport à l’acquisition de ses savoirs, savoir‐faire et savoir‐être (UQTR, 2009). En participant activement à son processus d’apprentissage l’apprenant est amené à se prendre en charge et à développer son autonomie.

En ce qui concerne l’usage de l’e‐portfolio à des fins d’évaluation, les travaux de Barrett montrent que l’évaluation pour l’apprentissage (assessment for learning), à vocation d’évaluation formative, correspond à la catégorie retenue puisque le portfolio est considéré du point de vue individuel (portfolio as story) plutôt qu’institutionnel (portfolio as test). En plus d’être apprenant, l’étudiant devient penseur en effectuant une analyse réflexive de nature métacognitive qui lui permet de s’auto-évaluer (évaluation de l’apprentissage).

Dans le contexte de la classe, l’autoévaluation couplée à la co-évaluation avec les pairs ou l’enseignant permet un jugement dans un but de rétroaction puisque l’évaluateur n’est pas le seul à porter un jugement sur la capacité à synthétiser ou encore sur les stratégies utilisées pour l’engagement. Cette interaction avec les pairs ou les agents extérieurs montre que le portfolio est aussi un outil de communication qui permet, en plus de faire la preuve de ses compétences, d’expliquer ses apprentissages et de recevoir la rétroaction (feedback) sur son travail. Grâce à cela, l’apprenant dispose aussi d’un outil de développement qui lui permet de réajuster son cheminement en fonction de nouveaux apprentissages et surtout de les approfondir.

(à suivre)

M. H.

(*) Consultant en management


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