Enquête. Tolga

une agriculture en crise et des oasis menacées



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Tolga, située à 35 km à l’ouest de Biskra, sur la route nationale 46 qui relie ce chef-lieu de wilaya à Alger via Bou Saâda, a connu un accroissement urbain assez comparable à celui de Sidi Khaled – alors qu’on s’attendrait, eu égard à sa localisation –, à un dynamisme plus affirmé. Une croissance démographique néanmoins très rapide dans un premier temps (9,4 % de moyenne annuelle entre 1966 et 1987), puis un ralentissement très sensible (3,3 % entre 1987 et 2008), même si le freinage est moins brutal qu’à Sidi Khaled. Au cours de la première période, à peu près les deux tiers du croît sont dus à un solde migratoire positif, ce qui représente une contribution supérieure à celle enregistrée à Sidi Khaled.

Mais les raisons de l’immigration en diffèrent nettement. Point ici de sédentarisation massive des nomades, mais des flux de sédentaires trouvant leur origine dans la crise qui sévit dans la dizaine de petites oasis environnantes, dont les effets ont été aggravés en 1969 par des inondations catastrophiques. Les constructions en toub des ksour y ont été ruinées, les possibilités agricoles fortement amoindries pendant un temps long. Tolga a alors joué le rôle de refuge où la plus grande partie de ces immigrants est restée, l’autre partie s’étant servie de la ville comme d’un relais. Toutefois, la capacité de rétention de Tolga fut favorisée par le démarrage d’un grand programme de constructions – un contexte finalement très semblable à celui de Sidi Khaled, même si ce n’est pas le même type de population qui en a profité – inscrit dans le plan quinquennal 1979-1984.

La deuxième vague migratoire, qui correspond à la période 1987-1998, a produit un solde de 2 315 personnes, dont 1 700 environ (77 %) sont originaires des autres communes de la wilaya de Biskra et 670 (23 %) de l’extérieur de cette wilaya. Deux raisons principales à cette attractivité. En premier lieu, le développement du secteur agricole en dehors de la vieille oasis, portant d’abord sur la production de dattes et le maraîchage ; c’est le secteur d’El Ghrouss à l’ouest de Tolga qui est le plus concerné ; en second lieu, conséquence induite de l’augmentation de la production, l’essor des activités commerciales (les dattes en constituant la principale composante).

Ce dynamisme économique attire des investisseurs et de la main-d’œuvre en provenance des communes de la wilaya de Biskra et même de plus loin (wilayas voisines). Un phénomène assez étonnant est même à l’œuvre : parmi les 1 700 individus composant le solde migratoire, un peu plus de 900 avaient comme dernière résidence la ville de Biskra, dont un nombre non négligeable (malheureusement non mesurable) étaient même nés à Tolga et s’étaient établis au chef-lieu, parfois depuis plusieurs années. Ces retours – retours « à la campagne », si l’on veut – résultent, autant que nos enquêtes l’ont établi, des possibilités nouvelles de travail à Tolga et des ressources que ce dynamisme économique offre aux nouveaux installés. Ainsi, contrairement à Sidi Khaled, réceptacle d’une sédentarisation massive de nomades, l’expansion de Tolga est due au développement agricole et commercial qui, petit à petit, va en faire la capitale économique du Zab occidental.

L’oasis du vieux Tolga : une crise sévère

Vieillissement des palmiers, rendements dérisoires en dattes, recul manifeste des cultures sous palmiers, abandon quasi total du vieux ksar, tels sont les principaux signes trahissant la situation de crise sévère que traverse le système oasien traditionnel de ce qui était, il y a à peine quelques décennies, la plus importante oasis des Ziban.

Un recul notable de la production agricole

L’oasis du vieux Tolga, réputée pour l’étendue de ses palmeraies et la qualité de ses dattes, est dans un état préoccupant. Cernée par le tissu urbain d’une ville qui compte désormais 42 000 habitants et qui étale ses constructions dans les périphéries (surtout au nord), et par les périmètres de mise en valeur agricole récemment aménagés dans le secteur de Draa el Battikh (au sud), elle connaît une crise économique et sociale extrêmement sévère.

La dégradation de la situation peut être datée des années 1970. Comme à Sidi Khaled, ce sont les inondations de 1969 qui en sont le déclencheur, de très nombreuses habitations du ksar du vieux Tolga ayant été détruites ou endommagées. Cette situation favorisa le départ massif des habitants du ksar vers la ville qui se trouve à 2 km au nord. Les emplois offerts dans le secteur de la construction ont drainé une bonne partie de la main-d’œuvre qui était employée dans l’agriculture du ksar vers Tolga. Nombre de ces habitants sont concentrés aujourd’hui dans le quartier de Ras Souta au sud de la ville, qui est rapidement devenu un centre très actif pour le commerce des dattes. La deuxième génération issue de ce déplacement des ksouriens est éduquée ; elle a pu accéder à des emplois parfois qualifiés dans les différentes branches du secteur tertiaire (enseignement, administration, commerce).

Les changements qui ont affecté le ksar et sa population – ou ce qu’il en reste – ont abouti à ce que, à 70 %, les exploitations du vieux Tolga ne survivent que par le travail des khammès. C’est un résultat étonnant, puisque ce statut avait pratiquement disparu dans la région des Ziban (mais aussi ailleurs en Algérie) depuis le début des années 1970 et le lancement de la Révolution agraire. Il resurgit donc en force depuis quelques années, témoignant à la fois d’un vieillissement des propriétaires (qui ne peuvent plus faire face à toutes les fatigues occasionnées par le travail agricole), d’un relatif manque d’intérêt pour une activité faiblement rémunératrice et par la quasi-impossibilité où ils se trouvent d’obtenir de leurs fils qu’ils reprennent l’exploitation. Quant aux exploitations en faire-valoir direct, qui ne représentent plus que 30 % du total, elles doivent faire appel à une main-d’œuvre saisonnière au moment des récoltes.

Aujourd’hui, le vieux Tolga, au sud, et la ville « moderne », au nord, sont quasiment jointives ; le tissu bâti est continu ; les boutiques et les échoppes des commerçants se succèdent le long de la rue qui relie le ksar à la ville. Nul ne remarque cependant que, derrière cette rue-façade commerçante, se trouve un ksar dévasté, quasiment vidé de ses habitants.

Une modernisation agricole aux effets pervers sur la vie de l’oasis traditionnelle

La promulgation de la loi no 83-18 du 13 août 1983 sur l’accession à la propriété foncière agricole (APFA, 1983) a eu des effets très sensibles sur l’économie et la société de l’oasis ancienne, ainsi que sur son hydraulique.

Dotées de techniques modernes (forage, plasticulture) et usant régulièrement de fumier, les exploitations créées dans le cadre de l’APFA dans les secteurs de Draa el Battikh et Maktoufa procurent des revenus deux à trois fois supérieurs à ceux des exploitations traditionnelles. Leur production est variée (dattes, maraîchage sous serre) et les nouvelles palmeraies ainsi créées atteignent des rendements records (80 à 100 kg/palmier). Dans l’ancienne oasis, les exploitants ne peuvent pas résister : le vieillissement des palmiers, le manque d’eau, l’entretien défaillant ont réduit considérablement la productivité (le rendement est de l’ordre de 25 à 35 kg/palmier et la qualité des dattes produites est médiocre).

Par ailleurs, les cultures maraîchères, qui ont toujours constitué l’étage inférieur des cultures sous arbres dans les oasis traditionnelles, ne sont plus pratiquées aujourd’hui à Tolga. De ce fait, une exploitation traditionnelle constituée d’une centaine de palmiers produira un revenu annuel compris entre 250 000 et 300 000 DA, tandis qu’une exploitation nouvelle, disposant d’une cinquantaine de palmiers et de deux serres, permettra un revenu variant entre 1 000 000 et 1 200 000 DA, soit 4 à 5 fois plus. Voici deux cas assez représentatifs de ces différences.

Les deux exploitations qui nous servent à illustrer la situation précédemment décrite sont, pour l’une, située à 100 m du vieux ksar de Tolga, et, pour l’autre, installée dans le nouveau secteur d’aménagement de Maktoufa.

• La superficie de la première est de l’ordre de 0,30 ha. Elle est tenue par son propriétaire, qui ne possède que 40 palmiers, dont 10 seulement ont moins de 40 ans, les trente autres en ayant plus de 80 ! En 2009, chaque palmier a produit en moyenne 30 kg de dattes, soit une production totale de 12 q. Vendues sur place, elles ont rapporté 120 000 DA. Les charges se montent à 34 000 DA, se répartissant entre consommation d’électricité pour le puits collectif (30 000 DA) et le paiement de la main-d’œuvre saisonnière (4 000 DA). L’exploitant n’utilise plus de fumier depuis dix ans, jugeant que son prix a augmenté dans des proportions excessives, ce dont il rend responsable les nouvelles mises en valeur agricole.

• La seconde exploitation s’étend sur 4 ha, occupés par 300 palmiers encore jeunes, puisque une centaine seulement sont entrés en production depuis 5 ans. Elle possède aussi quatre serres. La production de dattes a atteint en 2009 un total de 95 q, pour un prix de vente estimé de 1 000 000 DA. Avant d’être vendue, et en attendant que les prix atteignent le niveau espéré par l’exploitant, la récolte est entreposée dans une chambre froide qui lui appartient. La production des quatre serres, d’une valeur estimée à 800 000 DA, est écoulée au marché d’El Ghrouss, gros marché régional situé à 10 km de Tolga. Les revenus totaux de l’exploitation sont donc de l’ordre de 1 800 000 DA, tandis que les charges, évaluées à 280 000 DA, se répartissent entre la main-d’œuvre permanente (deux personnes) et saisonnière, le fumier, l’électricité pour un forage individuel et divers travaux d’aménagement ou d’entretien.

Toutes les exploitations modernes se livrent à la phœniciculture, possèdent des serres ou bien font les deux. En général, les exploitants préfèrent investir au départ dans la plasticulture, parce que celle-ci leur assure des revenus immédiats et réguliers, les produits maraîchers (tomates et poivrons essentiellement) se vendant à un bon prix. De fait, si l’investissement pour une serre se situe entre 80 et 100 000 DA, les revenus annuels que l’on peut en tirer sont au moins deux fois supérieurs (de 200 à 240 000 DA). L’amortissement de la serre s’effectue en général sur une seule année.

Ces nouvelles exploitations, créées sur des terrains steppiques qui s’étendent au pied du mont du Zab et qui sont utilisés pour le parcours des troupeaux, ont produit un paysage radicalement nouveau. En effet, si les exploitations traditionnelles se caractérisent par leur parcellaire asymétrique, leurs palmiers plantés dans le désordre et leur irrigation grâce au réseau de séguias (généralement en terre), les nouvelles exploitations, établies sur des terres appartenant au Domaine de l’État, donnent à voir un parcellaire géométrique et les aménagements indispensables à une culture plus intensive (plantations de palmiers « en ligne », serres, systèmes d’irrigation, etc.).

D’une taille moyenne (de 2 à 4 ha) supérieure à celle des exploitations établies dans les oasis, les nouvelles exploitations pratiquent essentiellement la culture du palmier et des légumineuses sous serres. Les palmiers-dattiers sont alignés en rangs espacés de 8 m et irrigués grâce à des tuyaux en plastique qui tirent l’eau d’un forage collectif. Les cultures sous serres accompagnent souvent les plantations de palmiers, car elles assurent des revenus immédiats aux exploitants en attendant la maturité des jeunes plants, qui n’advient qu’au bout de 8 à 10 années ; leurs cultures sont irriguées par le système du goutte-à-goutte, qui se généralise aux Ziban.

Par contre, l’irrigation à partir de pivots, utilisée dans d’autres régions du Sahara algérien, notamment dans le Souf pour la production de pommes de terre (primeurs) et dans la région d’Adrar pour la culture des céréales, est méconnue dans les Ziban, aucune de ces cultures n’y étant pratiquée.

En termes de productivité, les exploitations traditionnelles sont incapables de résister aux nouvelles. L’âge moyen élevé des palmiers en est certainement une des causes, tout comme d’ailleurs celui des exploitants, mais il existe des raisons structurelles à la crise agricole, qui pèsent d’un poids infiniment plus lourd.

L’abandon du ksar du vieux Tolga et le déclin de sa zaouïa : témoins de la crise de l’oasis

Le ksar de Tolga, que les habitants désignent par le terme de dechra, est sans doute le plus ancien des ksour sahariens. Les vestiges de l’époque romaine qui parsèment le ksar témoignent de l’ancienneté de l’occupation humaine : ainsi, sur l’emplacement d’une église paléochrétienne dont il demeure quelques traces archéologiques, a été érigée la mosquée El Atiq (ou Djamaa el Djoumouaa). Au début de la décennie 1980, le ksar abritait encore une population estimée à 2 000 habitants ; il n’en compte plus aujourd’hui qu’une centaine. Endommagées, voire détruites, par les fortes inondations de 1969, les habitations du ksar, en toub, sont toutes désormais en ruine.

Les quelques habitants qui y résident encore ont dû construire sur les décombres de nouvelles maisons en dur, mais celles-ci sont de qualité médiocre. Il s’agit, pour la plupart d’entre eux, de personnes originaires du Hodna, plus particulièrement des environs de Bou Saâda et de Bensrour, qui travaillent soit comme khammès chez les propriétaires dans l’oasis, soit comme journaliers chez les vendeurs de dattes, où ils s’occupent de charger et décharger les camions de livraison. Quant aux familles qui ont quitté le ksar, dont les effectifs sont bien plus nombreux que ceux de celles qui y sont demeurées, elles se sont installées dans le secteur de Ras Souta au sud-ouest de la ville de Tolga.

La décrépitude du ksar est accentuée par le déclin de l’autre symbole de l’oasis du vieux Tolga, à savoir la célèbre Zaouïa El Athmania qui rayonnait, depuis le XVIIe siècle, sur l’ensemble de l’Algérie orientale. Dépendant de la confrérie de la Rahmaniyya5, cette zaouïa exerçait une fonction importante en matière d’enseignement coranique. L’aire de recrutement de ses élèves couvrait principalement l’ensemble du Nord-Est algérien, ce qui n’empêchait pas la présence d’originaires d’autres régions du pays. Après sa restauration, son agrandissement et sa modernisation, qui eurent lieu dans les années 1980 et s’accompagnèrent de l’aménagement d’équipements sportifs, la zaouïa accueillait encore, vers la fin du XXe siècle, près de 300 élèves.

Ils ne sont plus, depuis 2009, qu’une petite dizaine. Cette désaffection s’explique par la non-reconnaissance du diplôme délivré par la zaouïa pour postuler à un emploi dans la Fonction publique, et ce depuis la création en Algérie d’universités et d’instituts publics délivrant un enseignement islamique. Les dortoirs et les classes de la zaouïa sont désormais quasi vides. Est-ce la fin de sa mission ?

Par Abdallah Khiari, des Cahiers de l’EMAM, Revue interdisciplinaire traitant des questions urbaines dans le monde arabe et autour de la Méditerranée 


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