Je n’ai connu que Bouteflika comme président. Je veux que ça change



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Leurs chansons sont scandées par tous les manifestants dans les quatre coins du pays et même ailleurs dans le monde. Ils refusent toute apparition publique et toute interview médiatique. Ils souhaitent rester anonymes, car ils ne chantent que pour leur club, l’USMA. Il s’agit d’Ouled El Bahdja, dont un des membres, Oussama a accepté de répondre en exclusivité à nos questions.

 

Les gens vous connaissent à travers vos chansons, scandées depuis le début des manifestations par tous ceux qui s’opposent au pouvoir et au 5 mandat de Bouteflika. Mais personne n’a jamais vu vos visages et ne connaît pas comment vous vous appelez. Vous refusez de vous montrer ou d’apparaître publiquement. On ne vous voit même pas dans vos clips. Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs d’El Watan Week-end ?

Tout ce que peux vous dire, c’est que je m’appelle Oussama. Je suis l’un des membres fondateurs d’Ouled El Bahdja. J’ai 24 ans et je suis étudiant en économie et gestion à l’université de Dély Ibahim. Je suis né usmiste et j’ai grandi dans une famille d’Usmistes. Malheureusement, c’est tout ce que je peux vous dire, car je n’ai pas le droit de vous parler des autres membres qui souhaitent garder l’anonymat, comme on l’a toujours souhaité dans notre groupe.

Il faut savoir que le succès nous importe peu. Ce n’est pas notre objectif. Nous faisons tout cela pour l’USMA, sans contrepartie et sans aucun autre but. Nous voulons juste partager notre amour pour notre club. Notre objectif n’est pas de nous faire connaître ni de nous faire de l’argent avec nos chansons.

Cela ne rentre pas dans notre projet. C’est la raison pour laquelle la question de la médiatisation ne nous intéresse pas. Nous avons tout de même accepté de répondre à vos questions, alors que nous avons décidé depuis longtemps de ne donner aucune interview. Mais sachez que vous êtes le premier et le dernier à le faire. Quant à la deuxième partie de votre question, il est possible que nos visages soient méconnus du grand public, mais celui de l’USMA nous connaît très bien. La raison est simple : ce n’est pas tout le monde qui assiste aux matchs de notre club. Nous nous connaissons tous entre supporters. Nous sommes tous amis.

Dans quel contexte a été créé votre groupe et par qui ?

Il y avait d’abord le projet de créer un nouveau groupe de supporters de l’USMA et l’idée a été initiée par deux grands fans du club, Yacine et Rahim. La cause principale était la suivante : deux ans auparavant, la police a interdit toute entrée dans les stades des drapeaux produits à base du Polychlorure de vinyle (PVC). Le virage a perdu toute sa beauté. Nous étions frustrés. Nous voulions agir. Nous étions un groupe qui avait évolué ensemble.

En 2008, nous avons adopté une première appellation qui était Kop United. En 2010, le même groupe de supporters a adopté sa deuxième appellation, Ouled El Bahdja, qui signifie les enfants de la capitale. Nous avons opté pour ce nom, qui est devenu aujourd’hui celui de notre groupe de chant, car nous pensons que le virage usmiste doit rester conservateur et préserver sa tradition.

Mais tout a changé depuis l’arrivée de Haddad. Cela nous a révoltés. Beaucoup de groupes de chants usmistes ont émergé pendant cette période. C’est à ce moment que le mien a été créé aussi, en 2013. J’ai été contacté par Yacine et Rahim qui m’ont proposé d’ajouter au groupe des supporters d’Ouled El Bahdja un autre groupe de chants. Nous nous sommes réunis pour choisir les membres. Nous sommes trois jeunes en tout. Ce n’est qu’à partir de ce moment là que le groupe de chant Ouled El Bahdja existe en tant que tel.

Vos chansons sont reprises pendant les matchs de l’USMA, mais aujourd’hui dans toutes les marches des jeunes contre le 5e mandat. Je prends pour exemple votre chanson La Casa Del Mouradia qui a atteint aujourd’hui plus de six millions de vues. Comment expliquez-vous ce succès ?

Cela ne date pas d’aujourd’hui. Les chants des supporters de l’USMA récoltent du succès en dehors même de la maison usmiste. Ils sont aussi repris dans les stades du Maghreb, pas uniquement en Algérie. Je cite ici la chanson que nous avons dédiée aux événements d’Octobre 1988 qui a été chantée aussi par les supporters de clubs des pays voisins.

Nous ne pensons pas au succès. Cela nous importe peu, comme je l’ai déjà dit. Nous faisons cela par amour à l’USMA. C’est le résultat de notre engagement pour le club et notre manière de lui être reconnaissant. Après, si cela engendre du succès, ce ne sera pas le nôtre. Ce sera celui des supporters de l’USMA. Celui de tous les Usmistes.

Vous faites aussi partie des jeunes qui manifestent à Alger. Il vous est certainement arrivé d’entendre les manifestants scander vos chansons. Quel est votre sentiment dans ces moments-là ?

Comme tous les jeunes Algériens, je rêve d’une Algérie forte et d’un avenir meilleur et pour moi et pour mon pays. Je souhaite que l’Algérie soit un jour un vrai pays démocratique. J’ai aujourd’hui 24 ans. Cela veut dire que Bouteflika est arrivé au pouvoir quand j’avais 4 ans. Je n’ai connu que lui comme président. Je veux que ça change.

Je veux le changement du pouvoir. J’ai participé à toutes les manifestations dont celle du vendredi, 22 février, et celle des étudiants, le 26 du même mois. Je sortirai dans la rue même quand, ce sont les chants qui appelleront à une action (rire).

Vous ne pouvez pas quantifier ma joie quand j’ai entendu les jeunes autour de moi chanter nos chansons, comme La Casa Del Mouradia. J’ai même vu plusieurs d’entre eux reprendre nos couplets comme slogans sur leurs pancartes.

C’était incroyable. J’ai eu des émotions très intenses. J’ai ressenti en moi une montée d’adrénaline jamais vécue dans toute ma vie. J’ai revécu. J’ai déjà chanté tout ce que revendique actuellement le peuple. J’ai résumé l’Algérie de 1999 à ce jour et même peut-être plus. C’est comme si tous mes rêves se réalisaient d’un coup. D’ailleurs, je n’ai pas réussi à dormir ce jour-là.

Je n’arrive toujours pas à fermer les yeux. Ce que nous vivons actuellement est historique. Ce sont des moments qui resteront éternellement dans ma tête.

Comment faites-vous, en tant que Ouled El Bahdja, pour faire passer vos chansons aux supporters ? Et comment ces derniers font-ils pour les apprendre et les chanter lors des matchs de l’USMA ? Y a-t-il une organisation pour cela ?

C’est simple. Nous publions nos chansons dans notre chaîne Youtube, accessible aujourd’hui au public si ce dernier veut la consulter. Elle porte d’ailleurs le nom du groupe, Ouled El Bahdja. C’est ainsi que la grande partie de nos supporters arrive à les apprendre. Autre chose : nous travaillons avec les moyens du bord.

Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, nous avons enregistré les dernières chansons, dont celle de La Casa Del Mouradia, avec un simple téléphone portable. De plus, il est vrai que nous sommes trois à écrire, composer et chanter nos chansons, mais notre groupe, lui, est composé de plus de 300 personnes.

Nous nous rencontrons tous avant les matchs pour les répétitions. C’est nous-mêmes qui commençons les chants au stade avant d’être suivis par les supporters. C’est nous aussi qui donnons le rythme quelque part. Sinon, quand nous avons parfois de nouvelles chansons, nous les chantons directement pendant le match jusqu’à ce que les supporters les apprennent par cœur.

Vous chantez contre le pouvoir et sa politique, alors que le propriétaire de votre club de cœur, Ali Haddad, est un pro-pouvoir et un pro-Boutfelika… Trouvez-vous cela logique ?

Je vous remercie pour votre question. Je l’attendais justement. Notre slogan est Usmistes conservateurs. Notre objectif est de préserver l’héritage musical des anciens usmistes. Nous avons toujours été contre la politique de Haddad. Nous avions peur qu’il parvienne à ôter l’âme de l’USMA. La preuve, en 2016, lors de la fête organisée en l’honneur de notre club qui venait de remporter le championnat, nous avons brandi un tifo contre Ali Haddad. Cela n’était jamais arrivé auparavant.

Ceci dit, la plupart des présidents des clubs soutiennent Bouteflika au nom même de leurs clubs, ce que Haddad n’a jamais fait. Je le salue pour cela. Lorsqu’un club remporte le championnat, lors du défilé qui suit le sacre, les responsables mettent souvent la photo de Bouteflika sur le bus. Cela ne s’est jamais passé avec l’USMA, car ils savent que les supporters ne seront jamais d’accord avec ça. Nous nous imposons et tant mieux.

Sinon, il faut savoir que notre club est interdit de toute diffusion à la télévision depuis l’approche de la période électorale. Tout cela à cause de nos chansons. Les gens nous le reprochent parfois. Et même quand les matchs de l’USMA étaient diffusés, la télévision coupait complètement le son à chaque fois que les supporters scandaient, pour l’exemple, La Casa Del Mouradia et d’autres chansons d’Ouled El Bahdja. C’est regrettable !

Des rumeurs disent que vous avez eu quelques soucis avec la police. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette affaire ?

Tout ce qui a été dit à notre sujet, notamment ce qui a été publié dans un site électronique que je ne souhaite pas citer est faux. Même les noms cités étaient faux. Ce ne sont pas nos vrais prénoms. Certains sont même arrivés à inventer des histoires qui n’existent même pas dans l’imaginaire, comme celle où on dit que l’un de nos membres a été pourchassé par un véhicule de la police jusque chez lui !

Je profite de cette occasion pour tout démentir. Je pense que leurs auteurs voulaient juste profiter de la situation politique actuelle pour faire du buzz. Nous avons tous entendu, au même titre que nos supporters, que les services de sécurité enquêtaient sur nous pour savoir si nous étions influencés par des partis politiques. Je démens cette information.

Il n’y a personne derrière nous. Comme on dit dans le langage populaire, nous ne sommes pas à vendre. Nos chansons politiques contre le pouvoir viennent des gradins de l’USMA. Elles émanent du peuple. Et ça ne sert à rien d’essayer de récupérer quoi que ce soit.


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