Adel Ltifi . Chargé de cours, civilisation arabe à l’université Paris 3 Sorbonne

Bouteflika a accaparé l’appareil de l’État et s’est isolé de la société



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Adel Ltifi est Docteur en histoire, chargé de cours, civilisation arabe à l’université Paris 3 Sorbonne nouvelle. Écrivain, journaliste et consultant à Radio Monté Carlo Douwalya.

Si le régime souhaite une simple manœuvre pour gagner du temps, Adel Ltifi pense qu’il poussera la rue vers plus de radicalisation. L’Algérie, suite au soulèvement d’Octobre 1988 n’a pas entamé une vraie transition démocratique à cause du traumatisme islamiste. Mais aujourd’hui, la donne a changé. Évaluation d’un mouvement inédit.

Quel est le meilleur scénario pour la sortie de crise qui répondra aux attentes et aux demandes du peuple ?

L’Algérie ne peut supporter une nouvelle secousse comme celle d’Octobre 1988. La société algérienne ne peut non plus supporter un nouveau traumatisme. Donc, le scénario le plus adapté serait une concertation d’urgence entre Bouteflika, les partis politiques, l’élite et les organisations pour former un comité indépendant pour la nouvelle Constitution. Fixer une date pour les élections… 8 mois par exemple sans Bouteflika… une réelle ouverture des médias publics…

Comment évaluez-vous les manifestations déclenchées depuis le 22 février ?

Je pense que cette mobilisation de la rue manifeste une sortie de la société algérienne des parenthèses de la menace islamiste armée et des risques d’une division sociale grave vers la reprise de la dynamique de la démocratisation inaugurée en octobre 1988. Il est question, à mon avis, de reprendre le processus de la construction démocratique. Cela manifeste un décalage entre le système Bouteflika, l’évolution et les attentes des Algériens.

Comment expliquez-vous l’ampleur cette fois-ci, par rapport à 2001, aux chômeurs du Sud, à 2011, grève et marches de plusieurs secteurs, mais pas d’union comme ça ?

Au début des années 2000, le contexte algérien était encore marqué par le souci sécuritaire. Ce souci s’impose souvent aux dépens des attentes en matière de liberté et de démocratie. Dans un contexte de besoin sécuritaire, la contestation se limite souvent à l’élite où au corps de métiers ou à des localités et ne prend pas souvent une ampleur nationale.

Aujourd’hui, on assiste à une désectorisation de la contestation. Dans le sens où elle ne se limite pas aux victimes de la marginalité sociale ou aux des forces politiques, ou une configuration sociale particulière. Il y a aujourd’hui une représentativité de la diversité sociale algérienne : des femmes, des hommes, des jeunes, des familles, des avocats…

Comment voyez-vous la suite du mouvement, car aujourd’hui, les appels aux manifestations sont maintenus. La réponse du Président de suffit pas. Le peuple exige son départ…

La suite dépend de deux éléments : la sincérité de l’initiative de Bouteflika pour l’ouverture du système politique, mais aussi les ressources des acteurs de la contestation. Si le régime souhaite une simple manœuvre pour gagner du temps, je pense qu’il va pousser la rue vers plus de radicalisation.

Pour donner plus de crédibilité à ses annonces, Bouteflika doit impliquer des forces vives de la société et ne pas limiter ses consultations à des figures du régime. Il est temps de s’ouvrir sur l’opposition et sur les forces vives de la société telles que la société civile, l’élite et des personnalités publiques indépendantes.

Ce n’est pas à Bouteflika de s’emparer de cette phase transitionnelle et proposer son ordonnance. Ce n’est pas à lui de proposer une nouvelle Constitution algérienne. Mais face à la déception possible, la dynamique de la rue dépendra des ressources des manifestants. Je pense que la jeunesse algérienne a suffisamment de ressources et de créativité pour continuer la pression.

Les Algériens ont toujours lutté, ils ne se sont pas arrêtés. Mais en quoi ce mouvement est-il différent ?

Aujourd’hui, on est plus dans le contexte d’une révolution nationale contre la colonisation. On est plus aussi dans une contestation sociétale régionale comme ce fut le cas avec la coordination des arach (configuration tribale). Il est question aujourd’hui de relancer la construction démocratique mise en veille par la close terroriste.

Il est question de construire un Etat de citoyenneté qui donne au peuple la possibilité de contrôler le pouvoir et de participer à la décision politique. Tout cela dans le cadre d’un Etat rationnel de droit rationnel.

En quoi aussi est-il différent des mouvements arabes de 2011 ou de ceux dans le monde dans le passé ?

Il y a une différence fondamentale. L’Algérie avait déjà vécu sa révolution politique en 1988. Elle n’a pas entamé une vraie transition démocratique à cause du traumatisme islamiste. Mais la tradition du multipartisme et des libertés s’est instaurée quoique d’une façon timide. En effet, Bouteflika a accaparé l’appareil de l’Etat et s’est isolé de la société.

Cela dit, on n’est pas dans le cas algérien, face à une dictature ou à un despotisme aigu qui nécessiterait un soulèvement total contre le régime. Je pense qu’on est face à une situation de réajustement plus qu’une situation révolutionnaire. Mais cela dépendra de l’offre des autorités face aux attentes de la rue.


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