L’heure est à la décantation



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La rue n’a pas son pareil pour dire la joie, la liesse populaire et l’ivresse de l’éphémère. Mais unanime, elle aura écrit un texte indélébile pour le changement. Et, sauf à déclencher des violences dangereuses et inutiles, ce changement se fera, quelle que soit l’inévitable phase de transition. Dans cette phase, il est peu probable que la fête des vendredis ait sa place dans la durée. Le pays entre dans une étape sérieuse, incertaine et inédite par les enjeux qui se profilent derrière les cartes à jouer. Pleines d’espérances, ces cartes offrent à de nouvelles figures d’émerger. Tout dépendra de savoir si leur stature politique, leur crédibilité satisferont la société civile. Si c’est le cas, tant mieux, car les louvoiements et les fausses promesses ne passent plus, les yeux dans les yeux.
Et, au-delà des hommes, l’essentiel est qu’un processus constitutionnel de transition se mette en place, et le plus tôt possible, en créant des perspectives. Toute une classe politique est à reconstruire et à réinventer, c’est un processus de longue haleine, n’en déplaise à des rues et boulevards en fête. Tout est à reconstruire, tout est à réinventer aux yeux des millions de citoyens qui, sans avoir faim, tiennent à leur «khobza», autrement dit à leur boulot. Pour ceux qui n’ont pas encore d’emploi, de logement ou d’aide sociale, ils espèrent le changement. Un changement symptomatique aux revendications des jeunes qui, en plus d’être dans la rue, ont investi les réseaux sociaux. Cette génération n’a cure des difficultés économiques, géopolitiques ou autres. Elle est le produit d’une école n’ayant offert, souvent, que l’échec scolaire.
A défaut de drogue, de prison, de fugue ou d’immolation, normal qu’ils angoissent, et, in fine, qu’ils se défoulent en chansons et slogans hostiles à la classe politique. Rien à faire. Gueuler, se défouler et essayer de se faire entendre, reste le seul ordre sociopolitique. Contrairement à la jeunesse des pseudos printemps tunisien ou égyptien, les jeunes Algériens ne s’attendent pas à un déni de parole, ni à faire face à des matraques ou des bombes lacrymogènes. Pour les plus âgés, la décennie noire, prise en charge par des partis, par une société civile plutôt amorphe envers l’islamisme rampant, est encore vivace dans les mémoires. L’inassouvi, voire l’inachevé du mouvement citoyen est, donc, tourné vers des horizons plus cléments, et pleins d’espoir et de bonheur.
Toutes les analyses anticipant les évènements sont unanimes pour nous dire que la postérité saura reconnaître les siens, les autres également, du moment que c’est entre Algériens que ça se passe. Cet Algérien est plein de mansuétude, malgré son opiniâtreté et sa crânerie de «khchine errass». Il ne sait pas haïr ou maudire les siens. Il en fait juste des railleries, comme le faisait si bien «Boubagra», Hassen El Hassani, qui fut député au temps du parti unique, ou Athmane Ariouet» alias «Si Makhlouf el-Boumbardi», en P/Apc dans le «Carnaval fi dechra». Leur humour de terroir manque, décidément, à la scène tragi-comique du moment. Au fond, l’heure est à la décantation, au remodelage de l’exercice politique. C’est grandement salutaire pour ce pays qui veut s’arrimer, pacifiquement, à une véritable démarche démocratique. Sans ça, on sera tous tentés par l’exercice politique, et là, bonjour les dégâts socio-économiques qui nous replongeront dans l’aléatoire et la noirceur des longues nuits incertaines…
M. N.


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