Le peuple algérien seul candidat digne apte à transformer la société algérienne



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Par Mesloub Khider – «Les révolutions reçoivent leur billet d’entrée pour la scène officielle des mains des classes dominantes elles-mêmes.»

On peut soutenir sans risque d’être contredit que rarement élection présidentielle algérienne n’aura mobilisé autant de participants résolus à voter, mais avec leurs pieds, en battant le pavé de la révolte populaire contre le système. Autant d’électeurs désillusionnés par les mascarades électorales successives, mais pleins d’espoirs dans leurs luttes contre la reconduction du président actuel à la magistrature suprême. Autant d’enthousiasme subversif porté par un peuple algérien conscient de sa mission historique.

Loin de ces rideaux de fumée proposés par les isoloirs, où régulièrement l’électeur atomisé est appelé à déposer sa vie funèbre, le peuple algérien, dans un sursaut collectif emblématique et une mixité respectueuse exemplaire, a pris l’audacieuse résolution de voter dans la rue, à ciel ouvert, le bras levé, la démarche altière, le verbe haut. Sa voix fait trembler le système. Car c’est une voix collective audible de la révolte. Non une voix électorale individuelle inoffensive, exprimée dans l’isolement obséquieux et l’anonymat pessimiste d’un suffrage factice et frauduleux.

De manière générale, depuis plus de deux décennies, à chaque campagne électorale le système tente de vendre le même candidat, escorté par une escouade de candidats acteurs politiques chargés de jouer leur rôle de figuration pour insuffler une dimension spectaculaire à la scène politique algérienne déprimante, souvent tragi-comique. La politique-spectacle a ses acteurs et ses spectateurs. Ses marchandises et ses consommateurs. Ses shows et ses danseuses du ventre. Ses saltimbanques intéressés uniquement à remplir leurs comptes en banque.

A l’évidence, dans une société politique algérienne dévorée par la corruption, jamais campagne présidentielle n’aura été aussi corrompue, menée avec autant de cynisme, de démagogie, de mépris. Outre un candidat fantôme, au pouvoir depuis l’indépendance de l’Algérie, finalement contraint de retirer sa candidature sous la protestation de la rue, non sans avoir procédé à l’annulation sine die de l’élection présidentielle ; plusieurs autres hommes politiques se sont déclarés candidats à cette magistrature suprême. Tous ces pontifes politiciens se présentent unanimement comme «antisystème» à cette énième mascarade électorale. Or, ces derniers sont des défenseurs patentés du régime qu’ils ont toujours soutenu. Ou bien des charlatans affairistes expectorés par la France rance, à l’instar de Rachid Nekkaz, homme d’affaires sulfureux et islamiste bon teint, ou bien des bonimenteurs islamistes à l’idéologie macabre importée de l’Orient ténébreux.

Ces nouveaux «démocrates» de la dernière heure, comme il y eut des moudjahidine de la dernière minute, prétendent être porteurs d’un programme politique différent. A la vérité, portés par une commune vision libérale du monde, ces candidats, chantres de la conservation de l’ordre établi, font partie du sérail gouvernemental. Toutes obédiences confondues, ces candidats ont en vérité un programme économique et social identique : la poursuite de la politique libérale dans le cadre du capitalisme national algérien. Ces aspirants gestionnaires du capital vont mener la même politique antisociale contre les classes populaires algériennes, au prix d’une répression de tous les mouvements sociaux.

Déjà, dès maintenant, à la faveur de l’amplification de la révolte sociale, saisie par l’affolement de la perte de contrôle de la situation, une grande partie de la classe politique supposément d’opposition s’agite dans les coulisses des hôtels de luxe, à l’image du politicien bourgeois Saïd Sadi dévoré d’ambition présidentielle, pour offrir ses bons offices au régime afin d’assurer une transition favorable aux caciques du système. Et corrélativement assurer sa survie par le sauvetage du régime qui l’a toujours abondamment nourrie de prébendes.

Aujourd’hui, les tractations vont bon train pour remettre le wagon du régime en perte de vitesse sur les rails. Des remaniements superficiels ministériels aux appels du pied de certains dirigeants «d’opposition », le palais d’El-Mouradia bruit de l’agitation alarmante mais désarmante de perspective. Toute la classe politique bourgeoise algérienne s’agite pour sauver ses meubles, et surtout ses immeubles. Et particulièrement son palais présidentiel, source de ses richesses.

Assurément, avec ces candidats de l’opposition, opposés en vérité uniquement aux intérêts du peuple algérien, programmés à gouverner dans l’intérêt du système, la politique est une éternelle répétition de la misère de la politique, qui est en même temps une politique de la misère.

Aussi, avec une classe politique algérienne aussi corrompue et incompétente, aucun changement réellement positif, émancipateur, ne peut provenir des urnes, ces réceptacles des illusions du peuple. C’était vrai hier, à l’époque de la prospérité économique; c’est encore plus manifeste aujourd’hui, à l’époque de profonde crise du capitalisme où tous les États, à plus forte raison l’Algérie dépendante de ses uniques revenus pétroliers en constante baisse, n’ont aucune marge de manœuvre en matière économique. Sinon celle de se délester de leurs fonctions «sociales», notamment par la démolition des «acquis sociaux», le démantèlement des services publics, par la gestion répressive des masses précarisées ou devenues inutiles du point de vue du capital, par le durcissement sécuritaire.

Au reste, dans un climat de condamnation virulente de la corruption, ces candidats prétendent «moraliser» la politique par l’élection de politiciens «intègres». Pourtant, la corruption des gestionnaires de l’Etat est structurelle. Jamais contingente. En effet, dans une société de classe, comment des individus privés poursuivant leur intérêt personnel, une fois élus, pourraient-ils se métamorphoser en hommes politiques intègres gouvernant dans l’intérêt général, pour le bien commun ? C’est une contradiction insoluble.

Aucune moralisation de la politique n’est possible dans une société divisée en classes antagonistes poursuivant des intérêts foncièrement divergents. Dans une société où le pouvoir politique est monopolisé par une caste œuvrant au service de la finance. Dans une société où la structure organisationnelle de gouvernement permet à la même aristocratie politique de s’accaparer les rênes des instances gouvernementales, parlementaires, et autres institutions publiques et privées au service du grand capital international. Où le système de représentation verticale par mandat électoral induit l’enfermement de l’élu dans son orbite mondaine institutionnelle bourgeoise éloignée de la planète du peuple.

De façon générale, certains déclarent voter pour un moindre mal, sans aucune illusion sur l’issue de leurs suffrages. C’est le naufrage de la pensée exprimée dans toute sa nudité et nullité intellectuelle. Qu’ils ne s’étonnent pas de devoir se préparer ensuite, après le vote, à livrer une lutte sociale sans merci contre leur propre candidat, auteur des mesures antisociales, responsable de leur perpétuelle misère.

Quoi qu’il en en soit, le surgissement populaire du mouvement 22 février a radicalement changé la donne, orienté la perspective, ouvert un horizon émancipateur. Aujourd’hui, comme en écho à 1954, depuis plusieurs semaines, le peuple algérien renoue avec ses racines combatives, son esprit frondeur, son légendaire tempérament révolutionnaire. De toute évidence, la principale tâche incombant au peuple algérien en lutte contre le système (capitaliste ?) est la préservation de son mouvement de révolte de toute contamination politicienne, de toute confiscation de son combat salvateur, de tout «détournement du fleuve» de la lutte émancipatrice.

De toute évidence, d’ores et déjà de nombreux vautours sont hissés au sommet de leur palais menacés pour s’abattre sur le peuple afin de lui confisquer sa victoire, et ainsi perpétuer leur domination. Ils se tiennent en embuscade pour bondir le moment opportun afin de proposer des alternatives politiciennes, comme à l’accoutumée défavorables aux intérêts du peuple algérien laborieux, aux travailleurs, aux chômeurs, aux femmes. D’aucuns, pour redorer leur burnous souillé, endossent le costume moderne de la démocratie d’argent partout disqualifiée et décriée , pour, sous couvert de la transition, perpétuer subrepticement l’ancien système, par la promesse d’élections «libres» évidemment dominées par les sempiternels représentants politiciens affidés depuis toujours au régime.

Pour obvier à toute récupération du mouvement de contestation contre le système, la classe laborieuse algérienne (travailleurs, chômeurs, jeunes, femmes, couches pauvres, retraités, etc.) doit s’auto-organiser, notamment par la mise en chantier d’assemblées dans chaque ville, village. Assemblées mixtes ouvertes librement à toutes les personnes (surtout les femmes et les jeunes) en quête d’espaces d’expression libre où elles peuvent débattre démocratiquement de toutes les questions (sociale, économique, politique, sociétale), sans la médiation des professionnels de la parole et des spécialistes de la représentation politique, ces petit-bourgeois intellectuels autoproclamés experts, imbus de leur savoir livresque, mais surtout dégoulinants de mépris de classe envers les masses populaires.

Le peuple algérien a prouvé qu’il est mûr pour combattre. Il doit démontrer maintenant qu’il est mature pour débattre. Du combat au débat, il n’y a qu’un pas que le peuple algérien ne manquera pas de franchir, pour s’affranchir de son aliénation. La parole est ce qui distingue l’homme de l’animal. Usons sans modération de cette arme linguistique pour libérer la parole des Algériennes et des Algériens, parole confisquée depuis 1962 ; longtemps muselée par le régime ennemi de la liberté d’expression.

Ne manquons pas ce rendez-vous avec l’Histoire. Ouvrons les vannes des discussions politiques, philosophiques, d’où jailliront les Lumières de l’avenir de l’Algérie rayonnante. En arabe derja, comme en kabyle ou en arabe fos’ha, chacune et chacun doit libérer sa parole, exprimer librement son opinion, donner démocratiquement son avis, notamment au sein d’assemblées populaires ouvertes à tous les citoyens algériens. Ou encore mieux : rédiger des Dazibao. Publier des périodiques populaires dans lesquelles chaque algérien attiré par l’écriture rédigera librement des articles, sur des sujets de sa convenance, sans censure ni autocensure. Internet constitue un outil irremplaçable pour donner libre cours à la pensée.

L’époque de la police de la pensée est révolue. L’ère de la discussion policée librement exprimée s’ouvre enfin avec éclat.

Aujourd’hui, l’aspiration populaire à la transformation profonde de la société algérienne s’exprime chaque jour avec plus d’acuité dans le mouvement de masse en révolte. Dans ses revendications, le peuple algérien en lutte exige non seulement de vivre dans un pays libre, mais surtout dans une société d’égalité sociale.

Aussi, seule la prise en main réelle des institutions gouvernementales par le peuple laborieux algérien, administrées directement par des candidats issus du peuple, élus et révocables à tout moment, ne jouissant d’aucun avantage ni de privilèges, bénéficiant d’un revenu égal au salaire moyen, pourrait mettre un terme à la sempiternelle mascarade électorale élitiste, à la perpétuation de la misère populaire. Et ainsi, donner naissance à une nouvelle Algérie fondée sur une démocratie horizontale autogestionnaire, sur l’égalité sociale, l’égalité des sexes, la liberté de conscience, mais surtout en rupture avec le capitalisme mortifère.

«Les élections sont moins le pressentiment que le véritable commencement d’une nouvelle révolution. (…). Le nom sous lequel une révolution s’introduit n’est jamais celui qu’elle portera sur ses bannières le jour de son triomphe. Pour s’assurer des chances de succès, les mouvements révolutionnaires sont forcés, dans la société moderne, d’emprunter leurs couleurs, dès l’abord, aux éléments du peuple, qui, tout en s’opposant au gouvernement en vigueur, vivent en totale harmonie avec la société existante. En un mot, les révolutions reçoivent leur billet d’entrée pour la scène officielle des mains des classes dominantes elles-mêmes» (Karl Marx, La Situation en Europe, New York Tribune, 27 juillet 1857).

M. K.


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