Pour que nul n’oublie la décennie noire



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Dans le beau livre 1990-1995, Algérie, chronique photographique, Ammar Bouras a consigné 144 photos en noir et blanc, exhumées d’une banque de 18 000 clichés.

A l’occasion de la sortie aux éditions algériennes privées Barzakh de son beau livre 1990-1995, Algérie, chronique photographique, le reporter-photographe et plasticien, Ammar Bouras, était l’hôte, samedi après-midi, de la librairie l’Arbre à Dires de Sidi Yahia, à Alger. Une fois de plus, Ammar Bouras a su attirer la foule lors de cette rencontre conviviale et amicale à la fois. Preuve en est, au bout de vingt minutes de la rencontre, les organisateurs ont dû déloger le public vers un espace plus grand, plus exactement vers la salle de conférences.

Introduisant la rencontre, la cofondatrice des éditions Barzakh, Selma Hellal, a d’emblée soutenu que les images de Ammar Bouras réunies dans le beau livre 1990-1995, Algérie, chronique photographique ne sont pas anodines mais feront date. Ces images sont des matériaux qui serviront, à coup sûr, aux historiens. «Il a saisi, dit-elle, d’une manière stupéfiante des images de ces années-là, essentiellement des images urbaines d’Alger, surtout du quotidien de cette période. Ce qui est extraordinaire, c’est ce télescopage d’images de foules et de corps, qui prennent d’assaut la rue, mais aussi d’événements sportifs, de fêtes à l’Ecole des beaux-arts d’Alger, de grève de journalistes et de portraits de personnes familières, telles que l’humoriste Mohamed Fellag, ou encore le caricaturiste Ali Dilem.» Armé de son boîtier argentique, le reporter-photographe et plasticien, Ammar Bouras, a immortalisé des clichés en noir et blanc -pris entre 1990 et 1995- alors qu’il était étudiant aux beaux-arts d’Alger et collaborateur au quotidien Algérie Républicain et au Matin.

A cette époque charnière et douloureuse à la fois, il avait archivé ses pellicules. Il ne savait pas que ces clichés allaient faire date quelques années après. Ammar Bouras avoue que c’est grâce au journaliste, écrivain et ami, Adlène Meddi, qu’il a exhumé ses clichés et que c’est lui qui lui a insufflé la force d’éditer ce beau livre. Il faut souligner que 1990-1995, chronologie photographique est un beau livre, qui a été préfacé par l’historienne et chercheur à l’Institut d’histoire du temps présent, Cnrs, à Paris, Malika Rahal.

Ce livre est aussi le fruit d’une sélection douloureuse et d’un travail d’une équipe sans pareille, avec Adlène Meddi, Malika Rahal, Louise Dib, Maya Oubadi, Kays Djillali et Saïd Djaffar. Ammar Bouras commence à scanner une banque de 18 000 clichés en 2009, année où il est sollicité pour participer à la biennale de Sharjah. Ammar Bouras confie qu’en travaillant pour Algérie Républicain et Le Matin, il avait remarqué qu’au niveau de la documentation, «les photographes faisaient des photos et quelques tirages et donnaient les négatifs.

Et après plus rien ne restait. Dès le départ, j’avais négocié avec Alger Républicain pour garder mes négatifs. J’ai eu l’idée d’archiver les pellicules et de les stocker jusqu’à il n’y a pas très longtemps, quand je suis passé au numérique. A un moment donné, je ne savais plus ce qu’il y avait dans mes négatifs, mais j’étais conscient qu’il y avait un fonds qu’il fallait absolument protéger. J’ai acheté un petit scanner, et durant quatre ans, j’ai scanné toute ma banque de clichés. Au moment de scanner ces photos, je découvrais des choses avec la présence du corps. A l’époque, il faut l’avouer, on s’est engagé idéologiquement et physiquement».

Ammar Bouras note qu’il s’est attelé à scanner ces instantanés avec son regard de plasticien qui s’est développé entre-temps. Avec l’idée de la publication de ce beau livre, les choses ont pris, évidemment, une autre direction. «Mon travail de plasticien est tout le temps à base d’image du monde extérieur, c’est-à-dire, soit une prise de vue photographique, une vidéo, soit une empreinte du corps directe sur du papier sensible sur lequel j’interviens. Je voulais à tout prix que cela rentre dans mon livre», ajoute-t-il. Le photographe est convaincu qu’il a énormément de liberté en travaillant sur le noir et blanc. Il avoue qu’il s’est un peu éloigné ces quelques années des événements, préférant continuer à faire de la photo en tant que plasticien.

Mais là, depuis le redéploiement des marches à Alger, il se plaît à se balader avec son appareil numérique pour immortaliser des séquences parlantes. «Ce que j’ai remarqué, à la fin de la marche, j’arrive à la maison avec 300 photos. Cela me déstabilise un peu parce que ce côté économique dans la démarche joue beaucoup, c’est-à-dire avant de prendre ta photo, tu sais comment procéder. Cela a réveillé en moi cet amour pour la photo.»


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