L’art dans le tumulte colonial



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Qui connaît Gustave Guillaumet ? Parmi les artistes embarqués par l’armée coloniale en Algérie, il est l’un des rares à avoir immortalisé sous son pinceau la misère induite au XIXe siècle par la conquête française.

Les coïncidences de l’Histoire, avec un grand H, ont parfois du bon. Lorsque, il y a quelques mois, le musée La Piscine, à Roubaix, a mis en place son grand événement de l’année 2019 autour de l’Algérie, baptisé «Printemps algérien», personne ne prévoyait que l’ancienne colonie française plongerait dans un printemps social et politique inédit.

C’est d’autant plus intéressant que le tumulte algérien et ses vibrations successives jusqu’à ce jour prennent leurs racines dans la conquête de 1830. A l’occasion de la rétrospective de l’œuvre de Gustave Guillaumet, on apprend la vie de cet artiste méconnu. On lui doit pourtant un tableau exceptionnel, «La Famine en Algérie» (lire par ailleurs), une toile monumentale appartenant au Musée national des Beaux-Arts d’Alger, en dépôt au Musée Cirta de Constantine. En très mauvais état, l’œuvre avait été restaurée en 2018 grâce au succès d’un appel à générosité de particuliers et d’institutions.

«Un chroniqueur sensible»

Arrivé par hasard en Algérie pour un séjour en 1861, Gustave Guillaumet sera à travers ses œuvres «le chroniqueur sensible d’une période d’intenses et douloureux bouleversements», indique la présentation des œuvres exposées à Roubaix. «Sans concessions, ses grandes compositions mettent en lumière une population souvent frappée par la misère et des paysages, notamment les déserts, fascinants. Guillaumet s’attache au quotidien d’une population en souffrance et souvent miséreuse. La femme algérienne, dans des scènes de genre très réalistes, trouve dans son œuvre un statut social central que l’orientalisme avait gommé au bénéfice d’un exotisme de pacotille. Observateur ébloui du désert, il en donne une vision quasi mystique, d’une force étonnante et d’une présence inégalée».

Après la disparition brutale du peintre à 47 ans, le 14 mars 1887, un monument funéraire, réalisé par Louis-Ernest Barrias, «La Jeune fille de Bou Saâda», est élevé sur sa tombe au cimetière de Montmartre. En 1888 et en 1899, l’Ecole des beaux-arts puis la Société des peintres orientalistes français présentent des rétrospectives de son œuvre. Depuis, aucun rétrospective n’avait été présentée.

Une fête de l’amitié en juin

Autour de Guillaumet, ce printemps algérien de la Piscine interroge, à travers quatre expositions et un accrochage issu de ses collections graphiques, «la place de l’Algérie dans une histoire politique et culturelle partagée avec la France». Ainsi, l’établissement rend hommage à Claude Vicente, qui fut directeur de l’Ecole des beaux-arts d’Oran, puis de Tourcoing, avec un regard sur son œuvre discrète de peintre, avec des scènes de la vie quotidienne à Oran notamment, et sur sa collection de céramique du Maghreb.

La figure d’Abdelkader est évoquée grâce au prêt exceptionnel de trois portraits conservés au château de Versailles et au musée de l’Armée : «Une occasion inédite d’évoquer cette figure de la résistance à l’invasion coloniale de l’Algérie et de dévoiler les méandres de la construction de l’image de ce héros national algérien.» La Piscine conserve, au sein de ses collections d’arts graphiques, de nombreuses œuvres «orientalistes». Pour prolonger ce Printemps algérien, la ville de Roubaix dédiera sa fête de l’Amitié à l’Algérie lors du week-end événement des 29 et 30 juin prochain.

– La figure de l’émir Abdelkader

Une table ronde autour de la figure d’Abdelkader aura lieu le samedi 25 mai, de 14h30 à 17h30, sur le thème «Héros des deux rives». En présence de François Pouillon, anthropologue, directeur d’études à l’EHESS, spécialiste du monde arabe, Marie Gautheron, agrégée de lettres modernes et historienne de l’art, Ahmed Bouyerdene, chercheur en histoire et docteur en études méditerranéennes et orientales, spécialiste de l’Emir Abdelkader, Jean-Louis-Sureau, diplômé de droit public et de l’Ecole d’architecture de Versailles, directeur du château royal d’Amboise, secrétaire général de la fondation Saint-Louis, et le père Christian Delorme, prêtre de l’archidiocèse de Lyon, très impliqué dans le dialogue interreligieux.

– Un tableau remarquable : «La famine en Algérie»

L’œuvre majeure de Guillaumet est présentée exceptionnellement en France avant d’être restituée à l’Algérie. Témoin de la conquête, il dénonce une situation dramatique qui décime le pays entre 1866 et 1868. Un tiers de la population algérienne périt alors en raison des épidémies et à la famine. Imputables en partie à la sécheresse, elles sont aussi le résultat de la paupérisation des populations rurales algériennes dont les terres ont été confisquées. En 1929, la veuve de Guillaumet a fait don de «La Famine en Algérie» à ce qui était alors le musée municipal de la ville d’Alger. L’œuvre intègrera ensuite les collections du Musée national des Beaux-Arts d’Alger, qui prendra sa suite, et elle est déposée plus tard au Musée national Cirta de Constantine en Algérie.


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