Un débat citoyen au parc de la Liberté (ex-Galland) à l’initiative de Nabni

«Le contre-pouvoir est dans la rue»



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Samedi 23 mars 2019. Parc de la Liberté (ex-Parc de Galland), Sacré-cœur, Alger. Il est un peu plus de 15h. Le soleil revient timidement darder ses rayons entre les immenses palmiers et autres bambous qui dominent le parc.

Mabrouk Aïb, l’une des figures emblématiques de Nabni, invite les citoyens qui ont fait le déplacement pour cette rencontre à prendre place sur les marches d’une aile du magnifique jardin, transformé pour l’occasion en une formidable agora.

C’est le deuxième débat organisé par le think tank en plein air après un premier forum qui s’était tenu ici même le samedi d’avant. Une captation vidéo du débat du 16 mars est d’ailleurs disponible sur la page Facebook officielle de Nabni et son compte Twitter.

Ces échanges sont baptisés «Les rencontres d’Audin», en écho à ce geste génial initié par les étudiants lors de leur manif du 12 mars, en écrivant leurs doléances sur des post-it multicolores qu’ils ont collés sur la stèle dédiée à Maurice Audin, formant un splendide monument de papier. Dans cet esprit, Mabrouk Aib a commencé par distribuer des post-it et des stylos aux participants en les incitant à faire des propositions et coucher leurs idées noir sur blanc… Les post-it n’ont été collectés qu’à la levée de la séance, trois heures plus tard.

Le jardin public transformé en agora

La première chose à retenir de ce débat, c’est d’abord la puissance de cette image qui, à elle seule, est un immense acquis, comme ont tenu à le souligner de nombreux participants. Nous voulons parler du fait même de se réapproprier l’espace public, de se réapproprier ce joli parc en escaliers, et d’en faire un outil de cogitation collective où l’on se reconnecte les uns aux autres. Visuellement, c’est très fort, et c’est la première image, en effet, le premier message, de ce forum.

On se rend compte qu’en fait, pendant très longtemps, Alger ne tournait pas seulement le dos à la mer, comme on a coutume de le dire, mais à elle-même, à ses rues, à ses agoras, à ses places publiques, à ses jardins, à ses terrasses… ses habitants ayant été confinés pendant si longtemps dans l’intimité de leurs domiciles clos, condamnés par toute sorte de «barreaudages», physiques et symboliques, comme si le dehors n’était fait que pour passer son chemin et surtout pas s’arrêter, ne pas protester, ne pas se réunir, ne pas se poser par terre, ne pas remplir l’espace social…

La bonne nouvelle, elle est donc, avant tout, là, oui : dans la réoccupation des jardins publics, des espaces publics, des squares et des bâtiments institutionnels, comme le font nos amis artistes (et pas que artistes) qui se réunissent sur les marches du TNA tous les lundis, un autre rendez-vous qui se ritualise lui aussi.

Hier, image cocasse : les policiers qui font partie du dispositif déployé dans le quartier du Télemly, prenaient eux aussi du bon temps en humant l’air capiteux du parc, et certains d’entre eux passaient timidement, sans faire de bruit, à la lisière de cette assemblée studieuse, jetant un regard amusé sur ces joyeux lurons qui réinventent le monde en toute simplicité.

Contrôler l’argent public durant la transition

En étrennant ce forum, Mabrouk Aib est revenu sur la démarche de Nabni en indiquant qu’en plus de produire une expertise étayée par une écriture très pointue, notamment sur les questions économiques, le collectif s’est aussi fixé pour mission de rétablir le contact entre les Algériens et faire circuler la parole en organisant des débats citoyens sous différents formats.

Et ce format-là va sûrement rencontrer un franc succès, à en juger par la qualité des échanges auxquels nous avons assisté. Mabrouk Aib a également insisté dans sa prise de parole liminaire sur «Les chantiers de la refondation» lancés par Nabni, et dont le premier chapitre a été d’exiger une totale transparence dans la gestion des deniers publics, en alertant sur les conséquences désastreuses du recours à la planche à billets, «l’une des pires décisions économiques jamais prises», dit Mabrouk.

Le think tank rappelle qu’on a imprimé pour 55 milliards de dollars de billets, «une proportion hors norme, digne d’un pays en quasi-faillite». Nabni plaide pour la mise en place d’un collège d’experts indépendants qui doivent avoir accès à l’information financière et d’avoir un œil sur les comptes du Trésor, les réserves de change et les opérations de commerce extérieur.

Mais le sujet du jour, ce n’est pas tant la comptabilité publique. Le thème exact soumis au débat est «La mise en place de contre-pouvoirs citoyens pour garantir les libertés individuelles et collectives». La modération est assurée par un jeune polytechnicien issu du public.

«On va vider le régime de tous ses soutiens»

L’un des premiers à prendre la parole est Amazigh Kateb qui a développé une belle réflexion sur le thème des libertés en disant : «Dans la liberté, il y a quelque chose qui ne s’arrête pas. Et pour que la liberté ne s’arrête pas, il faut qu’elle soit contagieuse et collective. Le précepte qu’on nous inculqué depuis qu’on est tout petit, et qui dit que la liberté de l’un s’arrête là où commence celle de l’autre, c’est une vieille farce. La liberté de l’un se construit avec la liberté de l’autre et c’est ce que nous voyons tous les jours dans le cadre de ce mouvement. C’est que nos libertés conjuguées et pilotées par la raison, eh bien ça donne ça !»

L’un des points qui sont revenus avec force dans les discussions, c’est la question de l’encadrement (ou non) de ce formidable mouvement populaire et comment devait s’organiser la transition. Pour l’architecte Katia Fasla, «il n’y a pas de contradiction» entre le caractère spontané et vivant des manifs et la velléité de structuration du mouvement. «On vit quelque chose de nouveau, commençons par nous exprimer, donner notre avis et, peu à peu, tout cela finira par se structurer», dit Katia.

S’exprimant sur le thème du jour, un jeune proclame : «Le contre-pouvoir, c’est ezenqa, c’est la rue !» Il ajoute : «Nous avons réussi à faire plier la police, à faire plier les juges. Ils sont tous en train de rallier le peuple. Bientôt, nous allons vider ce régime de tous ses soutiens.» Pour lui, il ne fait absolument aucun doute que «le peuple est le contre-pouvoir». «On va changer la Constitution de façon à leur ôter tout pouvoir. On va bannir le mot ”pouvoir”. Eux, ils ne seront plus que des ”responsables” et le peuple les aura à l’œil !»

«Une Constituante dans chaque commune»

Jaffar Lakhdari, diplômé de Sciences Po Paris et expert financier, estime qu’à l’heure actuelle «on est dans une zone de non-droit. La Constitution est suspendue de fait». Pour la phase de transition, «le processus constituant est la question essentielle», souligne-t-il. Il est impératif de tout mettre à plat en essayant de réussir l’élection d’une assemblée constituante même si, prévient-il, «cela ne va pas être facile», et qu’on risque d’ouvrir «la boîte de Pandore».

Mais c’est le seul gage pour «sortir d’une souveraineté informelle à une souveraineté réelle du peuple». Il ajoutera plus loin : «Si on continue avec cette Constitution, immanquablement, on reproduira les mêmes travers.» Amazigh Kateb a rebondi sur la question de la Constituante en appelant à «s’organiser en assemblées constituantes dans toutes les communes d’Algérie».

Usant d’une image parlante, il dit : «La Constitution, c’est le code pénal des dirigeants politiques. Il n’est donc pas étonnant qu’ils la violent dès qu’elle ne sert pas leurs intérêts.» Le fils de Kateb Yacine fustige les oligarchies en pointant les liaisons dangereuses entre le pouvoir et l’argent : «Mon père m’a dit : ”Il y avait des combattants qui n’ont pas parlé sous la torture durant la colonisation, et qui, après l’indépendance, n’ont pas tenu face à l’argent.

Ils ont résisté à la torture, mais pas à l’argent.”» Il avertit : «Les plus beaux mouvements révolutionnaires au monde s’essoufflent.» Amazigh appelle à activer partout «le contrôle citoyen dans les communes, les daïras et les wilayas». «Il y a plus de danger dans la rue que sur le terrain politique. Allons dans les institutions et imposons-nous !» martèle-t-il.

«Occupy la Grande-Poste»

Fatima Zohra Hocini, qui exerce le beau métier de «coach en intelligence collective», dit préférer le mot «consentement» aux mots «consensus» et «majorité». Elle considère que le consentement est «un modèle plus inclusif». Elle exhorte les Algériens à «garder ce pouvoir collectif» que nous confère ce mouvement, en appelant à maintenir durablement cette «intelligence collective dans la réflexion, la construction et l’exécution».

Elle plaide pour une «République citoyenne» en préconisant «une élection sans candidat, par cercles». Fatima Zohra poste de belles propositions sur une page Facebook qu’elle a créée, et où l’on peut consulter à loisir ses brillantes réflexions : «Algérie c’est nous : ton peuple».

Un citoyen lâche : «Le son et l’image sont là. Maintenant, il faut amorcer les prochaines phases du changement.» Un jeune propose de passer aux sit-in non stop en s’engageant à fournir les tentes. Pour le moment, la majorité ne semble pas encline à adopter un plan du type «Occupy la Grande-Poste». Farouk Amrane, un ancien du MJIC (Mouvement de la jeunesse indépendante pour le changement), fera remarquer en militant chevronné que le combat va être long. «Sortir dans la rue le vendredi, c’est cool.

Mais si on veut faire changer le système en profondeur, ça va demander du temps et des sacrifices», dit-il. Mohamed-Cherif Taleb, chef d’entreprise, a jeté pour sa part l’idée d’un «Gouvernement provisoire, sorte de GPRA2».

Il faut bâtir, de son point de vue, la transition sur un noyau d’une dizaine de personnes, des technocrates et des personnalités estimés de tous. «Il y a bien des personnalités qu’on ne va pas récuser. Commençons par ça !» suggère-t-il en citant les noms de Me Bouchachi, Rahabi, Benbitour, Yasmina Khadra…

«J’étais programmé pour partir, je reste»

Une citoyenne s’interroge, de son côté, sur la façon de capitaliser toutes ces propositions, ces échanges. «On a distribué les post-it pour recueillir ces idées», lance Mabrouk Aib en se réjouissant de la tenue de ces assemblées citoyennes. «Il faut continuer à occuper les rues, les escaliers, les espaces publics.»

L’architecte Mohamed Larbi Merhoum pense qu’on ne peut pas «faire l’impasse sur la politique» et, qu’à un moment donné, il va falloir convertir cette belle énergie citoyenne sur le plan politique et institutionnel. «Je suis contre le dégagisme», assène-t-il, avant d’ajouter : «Le système c’est nous tous, il s’est ”capillarisé” dans toutes les couches de la société.» Il estime que «le gros problème, ça va être l’économie. On va demander aux gens de travailler 12 heures et être payés 8 heures. ça va être difficile».

Il appelle nos amis de Nabni à prendre leurs responsabilités en lâchant, plaisantant à peine : «ça ne me dérange pas que Abdelkrim (A. Boudra, cofondateur de Nabni, ndlr) soit ministre de l’Economie.» Larbi lance enfin l’idée de création d’un grand parti qui porterait les aspirations de ce mouvement de contestation. Le jeune modérateur s’est autorisé à la fin un petit mot personnel en confiant : «J’étais programmé pour partir à la fin de l’année pour poursuivre mes études à l’étranger. Maintenant, je veux rester.»

Il est 18h passées. Le sage Abdelkrim Boudra clôt les débats par ces mots : «C’est un processus qui va prendre son temps, il ne faut pas se presser. Laissons les choses se décanter. Il y aura certainement nécessité à s’organiser pour pouvoir peser. Mais il n’y pas de master plan. Laissons les choses avancer à leur rythme.» Rendez-vous samedi prochain, même lieu, même heure, pour un autre débat tout aussi dense et passionnant.


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