A cœur ouvert avec Le dessinateur Slim

«J’ai eu ma revanche !»



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«Bad News» est le nouvel ouvrage que vient de publier Menouar Merabtène, alias Slim, l’un de nos plus grands caricaturistes et auteurs de bande dessinées. Rencontré avant-hier à la librairie générale d’El Biar à Alger où il a dédicacé quelques uns de ses ouvrages dont le dernier «Bad News», Slim a accepté de répondre à nos questions.

Entretien réalisé par : Sara Boualem
Le Temps d’Algérie : Vous présentez aujourd’hui un nouvel ouvrage intitulé «Bad News», qu’en est-il ?
Slim : Ce sont des planches qui ont déjà parus. Chaque semaine, je réalise une planche, donc au bout d’un an, je me retrouve avec 52 planches, le nombre qu’il faut pour faire un album. Du coup, ça me permet de l’éditer à mon compte. C’est aussi une manière de garder ces planches après tout de même, une petite sélection pour l’album. Cela permet aussi au public de le lire ou de le relire. C’est comme un magnétoscope, on avance et on revient en arrière…
En somme, c’est un ouvrage qui regroupe une série de flashs sur la société et la manière avec laquelle je vois les choses et comment je les interprète. Toujours dans le sens critique mais léger. J’aime bien faire rire les gens et me faire rire car je sais qu’en me faisant rire, je fais rire d’autres. Souvent, je prends mes albums et je ris moi-même, seul. Pour vous dire que c’est authentique, pas que des piqûres.

Pourquoi ce titre «Bad News». Est-ce par rapport à l’actualité brûlante qui touche le pays ?
«Bad news» ce n’est pas pour moi, mais pour «eux»… (Rire)… Pour moi, c’est «Good news». Pourquoi ce titre ? Car j’ai traité beaucoup d’évènements dans cet album et je me suis donné à fond. Aussi, car il y a beaucoup de choses qui ont été censurées, car jugées trop violentes et qu’on retrouve dans cet album. A titre d’exemple, je vous cite cette planche que j’ai faite en septembre 2018 : «Mettez des affiches partout, il faut que le peuple se soulève», «Peuple fier, attention ils sont en train de te mener en bateau vers l’inconnu», «Prenons notre destin en main et manifestons en masse», «Peuple algérien, prouve au monde entier que tu peux te soulever tout seul sans grue», «Tous les vendredis à la place des Martyrs», «Vous avez mené le pays à la ruine alors dégagez !», «Où sont passés les milliards détournés», et à la fin, on demande, «Y a-t-il quelqu’un qui est venu manifester ? Non personne n’est venu…
S’il y avait eu le même peuple en 1954, il n’ y aurait jamais eu de 1er Novembre»… Et il y en a pleins comme celle-là…

«Bad news», est en noir et blanc. Pourquoi ?
C’est un choix. Avant, j’avais commencé à faire paraître des planches en couleurs mais qui étaient très mal imprimées. Du coup, lorsque j’allais en Oranie, je voyais le journal «Le Soir», imprimé en noir et blanc pas en couleurs comme ici à Alger. Depuis, je me suis rendu compte que la planche était plus claire, plus nette en noir et blanc. Pas de texte gâché et illisible.
Alors, j’ai exigé des pages en noir et blanc que je considère comme étant une très belle couleur.

Lorsqu’on lit vos dessins et vos ouvrages, on a l’impression que l’humour est une religion chez vous. D’où vous puisez votre inspiration ?
J’ai été élevé dans un milieu où on riait beaucoup. Je me souviens de mon père qui recevait tous les soirs des amis, tous vieux comme lui. Il leur servait du thé en se racontant des histoires… Moi-même qui étais un peu décalé, j’entendais ces histoires qui me faisaient éclater de rire. Alors l’humour, je dirais que c’est inné. J’ai eu ça tout jeune. Je me souviens de mes premières pages. J’étais en 4e dans un lycée à Sidi Bel-Abbès dans une classe de 40 élèves. Nous n’étions que quatre Algériens, tous les autres étaient des Pieds-noirs. Moi, j’avais une double feuille, une sorte de petit journal que je faisais passer dans toute la classe. Tout le monde riait et me rendait la feuille à la fin. Ils étaient sérieux, ils lisaient et passaient la feuille sous les tables…
C’est une vielle pratique dont j’ai fait un métier malgré des études en cinéma et autres formations dans l’image. Je suis resté fidèle à la bande dessinée car je suis resté un peu enfant, et c’est tant mieux.

Donc, vous écoutez ce qui se dit par ci et par là ?
Evidemment. Je suis à l’écoute de la rue. Quand j’ai commencé la BD en 1968, j’allais dans les cafés, je m’asseyais à côté des gens qui lisaient ma bande dessinée et la commentaient.

Vous faisiez un peu l’espion…
Oui, j’espionnais pour moi et pour eux car de cette façon, je savais très bien ce qu’il fallait leur faire, leur donner, tout en sachant ce que cherchait le lecteur.

Vous êtes un pionnier de la caricature et de la bande dessinée en Algérie. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le 9e art algérien ?
C’est que malheureusement, on a été victime d’un système depuis l’indépendance qui nous a écrabouillé. Je me souviens de choses que j’ai vécues lorsque j’avais 17-18 ans, lorsque je suis venu à Alger. Quant vous vivez dans un pays où on vous interdit les flipper ! En vous disant que c’est quelque chose de l’ordre de «l’impérialisme… mais tirez-vous, voleurs !. Vous nous avez volé notre jeunesse.» La bande dessinée interdite ! Et pourquoi ? Parce qu’elle rend les gens bêtes alors qu’elle est enseignée dans de grandes universités dans le monde. Moi même, j’ai connu des auteurs de bande dessinée américains qui sont d’une très grande culture. Dans ce cas-là pourquoi avoir ramené des journaux étrangers qui comprenaient des BD, Pif, Pif le chien aussi, ramené en dix mille exemplaires alors qu’il y avait deux millions de lecteurs ? Il y avait des familles autour de moi où on disait aux enfants ne lisez pas les livres de bande dessinée, ils vont vous abrutir… En tout cas pour moi, j’ai eu ma revanche. On m’a invité à donner des conférences dans de grandes universités à travers le monde. Alors, comment peut-on dire que la BD rend bête ? Alors que je ne suis pas bête… (rire).

Un mot sur le soulèvement de la rue ?
Pour ne rien vous cacher, je me délecte. Je regrette une chose, c’est de ne pas avoir 20 ans aujourd’hui et tout recommencer… Pour ma génération, nous avons vécu avec un régime qui nous a broyé. On nous interdisait même de sortir à l’étranger. Il fallait une autorisation. Un blocus qui, bien évidement, n’allait pas dans les deux sens….

Vous publiez depuis 1967 à nos jours. Le lecteur d’hier et celui d’aujourd’hui est-il le même ?
Il y a tellement à dire à ce sujet. C’est très vaste. Pour ma part, j’ai eu du succès. Il y a eu un concours de circonstances qui a fait que j’ai eu la chance de rencontrer des gens qui ont cru en moi, qui m’ont fait confiance alors que j’étais jeune, j’avais 21 ans. Les personnes d’El Moudjahid, journal gouvernemental, l’unique publié en français m’ont fait confiance à cette époque. Il coûtait 20 ou 25 centimes mais c’était du sérieux. Pour sa distribution en Algérie, il partait très tôt le matin de Port Said. En haute Kabylie par exemple, on attendait le journal avec impatience. Il y avait un vieux qui lisait les nouvelles officielles au village, mais en commençant pas mes dessins…

Vos projets ?
C’est délicat de parler de projets maintenant.
Certains m’ont demandé : qu’est ce que j’allais faire maintenant que ceux que je critiquais sont partants ! J’essaierais de faire rire encore. Ma matière c’est quand ça ne va pas. Et l’économie à venir tombe à pic.
S. B.


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