Une réunion et des lectures



...

Prévue lundi dernier, la réunion de Bensalah a finalement été largement boudée. Un boycott qui a fortement déplu à Gaïd Salah, qui l’a fait savoir dans son allocution. Alors que la classe politique a dit non à la feuille de route du chef d’État-major de l’ANP, quelle sera la suite ?

«Il n y a pas une seule transition au monde organisée par l’ancienne équipe au pouvoir.» C’est ce qu’a indiqué, mercredi, le diplomate et ancien ministre de la Communication, Abdelaziz Rahabi, sur les ondes de la Chaîne 3.

Selon lui, il s’agit d’une transition à l’algérienne, qui a toutes les chances de ne pas aboutir, encore moins les élections du mois de juillet prochain.

Celui qui a décliné l’invitation de Bensalah pour diverses raisons estime qu’il y a un sérieux décalage entre le peuple – qui est déjà dans la transition démocratique – et les tenants du pouvoir avec leurs fausses propositions et leurs demi-mesures.

En effet, jeudi dernier, à la veille de la 9e marche pacifique exigeant le départ du système, Abdelkader Bensalah a invité les partis politiques et plusieurs personnalités à discuter, à huis clos, le lundi suivant, de la préparation des prochaines échéances électorales. Sauf que la dite réunion a été largement boycottée. Et chacun avait ses raisons. Pour le MSP, «cette rencontre est une atteinte à la volonté du peuple et ne fera qu’amplifier la crise».

Même son de cloche du côté du PT dont la secrétaire générale, Louisa Hanoune, a également décliné l’invitation de Bensalah, expliquant qu’il était «impossible qu’on puisse répondre à une telle invitation et participer à une telle conférence que le peuple algérien refuse». Idem pour le RCD de Mohcine Belabbas qui affirme ne pas se reconnaître pas dans «des agendas qui vont à l’encontre des revendications du peuple». Ces trois partis ne sont pas des cas isolés.

Boycott

Plusieurs partis politiques et personnalités nationales ont décliné l’invitation de Bensalah pour la réunion consultative : FNA, FJD ou encore Talaie El Houriyet de Benflis – jugeant également que cette rencontre constitue une atteinte à la volonté populaire. De son côté, la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), dont le président, Nourredine Benissad, a estimé que «Bensalah n’a aucune légitimité pour mener des consultations ou un dialogue avec les acteurs représentatifs de la société».

Ironie du sort, même des partis de l’ex alliance présidentielle ont rejeté la réunion consultative proposée par Abdelkader Bensalah. Il s’agit du MPA de Amara Benyounès et de Tajamou Amel El Jazaïr (TAJ) de Amar Ghoul. Quelle lecture peut-on faire de ce boycott ?

Pour Mourad Goumiri, politologue, ils tentent de sauver leur tête qui, de toutes les façons, va tomber politiquement et peut-être même pénalement si des dossiers compromettants sont déterrés durant leur période de gestion des deniers publics. Pour Mahrez Bouich, la décision d’Amar Ghoul et Amara Benyounès de décliner l’invitation de Bensalah à participer à la rencontre, n’est qu’un «jeu politique».

La raison : «Ils savent pertinemment, au même titre que tous ceux qui ont soutenu le régime de Bouteflika, qu’ils sont vomis et discrédités par le peuple. Il suffit d’étudier les slogans scandés durant les marches pacifiques», explique-t-il. Par ailleurs, le chercheur relève de ce «jeu politique» deux stratégies. La première : la discrétion. «Ils essayaient d’éviter au maximum les apparitions médiatiques pour ne pas enflammer davantage le peuple contre eux», confie-t-il.

La seconde : «Se refaire une virginité politique.» Selon Mahrez Bouich, en boycottant cette réunion, en faisant mine de ne pas adhérer aux «solutions» proposées par le système dont ils font partie, ils ne cherchent qu’à donner l’impression qu’ils sont du côté du peuple. Finalement, la réunion à laquelle a appelé Abdelkader Bensalah s’est tenue sans la présence de son initiateur.

Si le secrétaire général de la Présidence a assuré que ceux qui ont boycotté la réunion sont libres de leurs choix, le vice-ministre de la Défense nationale, chef d’état-major de l’ANP, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, semble contrarié par ce boycott massif.

En visite de travail et d’inspection, mardi dernier, dans la 1re Région militaire (Blida) il s’est offusqué de ce que des partis et des personnalités politiques boycottent la conférence nationale initiée par Bensalah. «Nous avons constaté l’apparition de certaines voix qui ne veulent aucun bien à l’Algérie, appelant à l’entêtement et l’acharnement à maintenir les mêmes positions préétablies, sans tenir compte de tout ce qui a été réalisé, le rejet de toutes les initiatives et le boycotte de toutes les démarches, y compris l’initiative de dialogue qui est censée être un des mécanismes civilisés qu’il y a lieu de valoriser, notamment dans ces circonstances particulières que vit notre pays», a-t-il soutenu dans une «allocution d’orientation», selon un communiqué rendu public par le MDN.

Gaïd Salah a considéré que «ces voix et ces positions obstinées œuvrent à entraîner le pays vers le piège du vide constitutionnel et le faire entrer dans la spirale de la violence et de l’anarchie, ce que refuse catégoriquement, à la fois, tout citoyen dévoué à sa patrie et l’Armée nationale populaire».

Une intervention de trop pour Karim Tabbou, leader de l’Union démocratique et sociale (UDS), qui a invité le chef d’état-major de ne plus se mêler de politique : «Vous n’avez pas le droit de faire de la politique depuis la caserne.» L’Algérie vit donc une situation politique compliquée, inédite et jamais vécue auparavant depuis son indépendance.

Statu quo

Comment en sommes-nous arrivés là ? Pour Mahrez Bouich, enseignant-chercheur en philosophie politique à l’université Abderrahmane Mira de Béjaïa, c’est la démission de l’ex-président de la République qui a constitué cette bombe à retardement.

La raison : «Avant son départ, Bouteflika a mis en place une feuille de route et a laissé les problèmes constitutionnels et institutionnels sans solutions, ce qui a permis au chef d’état-major de prendre le relais», explique Mahrez Bouich.

En ce qui concerne la réunion de Bensalah, le chercheur y voit trois lectures. La première : le système est dans une impasse consommée…

Un blocage infernal sans précédent. «Le système cherche un cadre avec lequel il va justifier certaines décisions que les véritables décideurs vont prendre incessamment, telle la décision de reporter les élections présidentielles programmés pour le 4 juillet prochain. Une façon de trouver un subterfuge en cas de contestations internes ou externes», explique-t-il.

La deuxième lecture, selon Mahrez Bouich, est que le système est dans une logique du «goutte-à-goutte». Autrement dit, il gère la situation actuelle avec des remèdes politiques superficiels et conjoncturels.

Une stratégie qui a pour finalité, selon Mahrez Bouich, de gagner du temps, afin d’engendrer l’usure et les conditions qui provoquent l’essoufflement du mouvement populaire. Enfin, la troisième lecture que fait le chercheur de cette réunion est que le système politique en place tourne le dos aux revendications que porte le peuple depuis le début de sa révolution en marche.

A cet effet, il explique : «Le peuple aspire au changement radical du système. Toutefois le système à l’intention de se régénérer en optant pour une approche basée essentiellement sur une alternance clanique à l’intérieur du système lui-même».

Et d’ajouter : «Les clans d’un même pouvoir se bigornent pour défendre leurs profits au détriment de l’intérêt suprême du pays.

Cette lutte fratricide clanique n’est que la reproduction de l’été 1962 avec le premier coup d’Etat contre le GPRA en vue d’assurer la pérennité du système, condamné déjà par le peuple et demain par l’histoire».

Et si cette réunion avait comme but premier d’éviter une véritable transition et pérenniser un statu quo intenable ?

Discrédit

Pour Mourad Goumiri, cette réunion s’inscrit dans le processus constitutionnel ; certains estiment qu’il est dépassé et donc logiquement ils ne peuvent répondre à cette invitation sans se discrétiser auprès du hirak. «Le pouvoir a son agenda et les personnalités politiques ont le leur et chacun tente de négocier en position de force, ce qui est normal des deux côtés», explique-t-il. Pour Abdelaziz Rahabi, cette réunion aurait également pour but de contourner les revendications et diviser les forces politiques et sociales qui soutiennent le hirak.

Mourad Goumi explique pour sa part que dans ce cas de figure, deux logiques s’affrontent : l’une considère qu’elle doit prendre les rênes du pouvoir au nom du peuple, à la place de ceux qui l’incarnent constitutionnellement ; l’autre défend les phases légales de passation du pouvoir, en commençant par l’élection présidentielle le 4 juillet.

De son côté, Mahrez Bouich, va plus loin en s’interrogeant sur qui décide réellement en Algérie actuellement et qui a décidé d’organiser cette rencontre.

Selon lui, la rencontre intitiée par Bensalah «ne peut être qu’une contre-révolution qui porte un mépris à l’égard du peuple qui ne demande que la rupture radicale avec le système en place. Une rupture avec tous les symboles du système sans exception aucune».

Pour le chercheur, cette contre-révolution est basée essentiellement sur l’introduction de fausses thématiques idéologiques, politiques, structurelles et autres pour diviser le peuple et créer des doutes au sein de la révolution en marche. Il explique : «Le but est de désorienter les débats sur le changement et la rupture radicale vers d’autres sujets qui n’ont rien avoir avec le soulèvement populaire.

Et bien évidemment faire dans la diversion le sport politique que maîtrise bien le système politiques et ses relais». Par ailleurs, Mahrez Bouich estime que cette rencontre, qui s’inscrit dans la politique spectaculaire, n’est qu’une fuite en avant. «Le peuple est toujours dans la solution politique et le système est dans la logique de reproduire les conditions historiques qui lui ont donné naissance, c’est à dire la logique de se reproduire», confie-t-il.

Quel serait alors le meilleur scénario de sortie de crise ? Mourad Goumiri estime que de manière à ne pas créer un vide constitutionnel porteur de tous les dangers, «la voie des urnes semble la plus raisonnable, même si des préalables sont obligatoires (timing à revoir, commissions de contrôle des élections à construire, transparence dans les listes…)».

Élection, oui, mais quand ? La date du 4 juillet n’est-elle pas trop précipitée ? Elle l’est pour Louisa Hanoune, secrétaire générale du PT.

Selon elle, décider d’aller à l’élection présidentielle le 4 juillet contre la volonté de la majorité est un coup de force et un contournement de la souveraineté populaire visant à confisquer le droit de l’immense majorité de choisir la nature du régime, la forme et le contenu du système qu’elle voudra mettre à la place du système présidentialiste actuel, commode et favorable à toutes les dérives absolutistes et arbitraires.

Scrutin

il y a quelques jours, le général de corps d’armée Gaid Salah soutenait l’agenda du pouvoir pour l’organisation d’élections présidentielles le 4 juillet 2019 en déclarant : «A tous ceux-là nous disons que le peuple algérien est souverain dans ses décisions, et c’est à lui qu›il appartient de trancher la question lors de l’élection du nouveau président de la République, qui aura la légitimité requise pour satisfaire le reste des revendications populaires légitimes».

Il est cependant revenu sur ces déclarations et n’exclut désormais pas une solution politique via des «propositions constructives» et des «initiatives utiles».

En effet, le chef d’état-major se dit désormais prêt à «approuver toute proposition constructive et initiative utile allant dans le sens du dénouement de la crise et menant le pays vers la paix».Mourad Goumiri explique qu’aujourd’hui, il y a un décalage du calendrier du fait d’un mauvais engagement du dialogue entre les acteurs politiques :

«C’est comme un dialogue de sourds ou chacun veut bien entendre ce qu’il souhaite et qui correspond à ses desiderata, sans prendre en charge le point de vue de l’autre.» Il s’agit donc, selon le politologue, d’un rapport de force engagé par eux, au détriment du mouvement populaire. Mahrez Bouich, quant à lui, voit en l’organisation de l’élection présidentielle le 4 juillet, une «solution absurde», une «erreur fatale», une «fuite en avant».

Car, selon lui, non seulement elle ne reflète pas la volonté populaire exprimée par la révolution pacifique en marche que le peuple algérien mène depuis le 16 février mais, en plus, elle ne peut pas résoudre le problème politique dont souffre l’Algérie depuis longtemps. Pour lui, l’Algérie souffre de mauvaise gestion du système politique et de gouvernance étant donné que la crise est éminemment politique, et non pas un problème d’élections.

Le chercheur explique que des élections libres et transparentes ne pourront jamais avoir lieu avec un système politique autoritaire, despotique et dans des conditions défavorables. «Ni le peuple, ni le climat politique, ni les conditions institutionnelles, ni la situation globale de l’Algérie ne sont favorables pour la tenue d’une élection présidentielle le 4 juillet prochain», ajoute-t-il.

Transition

Quelle est la solution ? Pour Mahrez Bouich, elle ne peut être que dans une transition démocratique et surtout politique. Elle se concrétisera, selon lui, par la mise en place d’un processus constituant qui repose sur le départ de tous les symboles du système et l’expression solennelle de la volonté de l’institution militaire de ne pas jouer un rôle politique.

Viendra par la suite la mise en place d’une instance présidentielle composée de 13 personnalités nationales libres, neutres et autonomes.

Puis l’adoption des mesures d’apaisement pour rassurer le peuple et enfin la préparation d’une Constituante et le retour au processus électoral.


Lire la suite sur El Watan.

Publier des annonces gratuites

Autres sites

Sciencedz.net : le site des sciences
Le site des sciences en Algérie


Vous cherchez un emploi? Essayer la recherche d'emploi en Algérie
Babalweb Annonces Babalweb Annonces
Petites annonces gratuites