Rififi à la Cour des comptes



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Par Mouanis Békari – Le président de la Cour des comptes a cru bon d’exonérer l’institution qu’il préside depuis 25 ans de la lutte contre la corruption en confinant ses compétences aux «(…) infractions aux règles de discipline budgétaire et financière». Néanmoins, il a concédé que si ces contrôles mettaient en évidence des «(…) faits susceptibles de qualifications pénales», elle transmettrait «(…) le dossier du gestionnaire public en question au procureur général territorialement compétent aux fins de poursuites judiciaires». Pour conforter son argumentation, le président de la Cour nous informe que celle-ci transmet «une dizaine de dossiers (…) annuellement à la justice».

Pour parachever son plaidoyer, le président de la Cour nous a assuré qu’elle dispose de l’indépendance qui lui est reconnue par la Constitution, avant de se réjouir de disposer de «techniques nouvelles» qui permettront de mener à bien les missions dévolues à l’institution qu’il préside depuis 25 ans. Pour autant, en même temps qu’il nous rassurait, son panégyrique résonnait comme une réponse anticipée aux interrogations qui pourraient survenir sur le rôle de la Cour des comptes dans la débâcle du dispositif de protection des richesses nationales.

Las, à peine avait-il exempté la Cour de la lutte contre la corruption que le Syndicat des magistrats de la Cour dénonçait les propos rassurants du président, y soupçonnant même une «tentative de restreindre les prérogatives et les attributions de la Cour» et, par conséquent, de se soustraire à ses responsabilités. Le Syndicat laisse entendre également qu’en matière de dénonciation des faits de corruption la Cour des comptes fait montre d’une apathie coupable depuis 20 ans et qu’elle n’aurait pas transmis de rapports détaillés depuis 10 ans. Il affirme que la simple référence à l’article 88 de l’ordonnance fixant ses attributions suffirait à confirmer qu’elle dispose de toute latitude pour prendre sa part dans la lutte contre la corruption. Pour faire bonne mesure, il ajoute que la rhétorique du président n’est qu’arguties visant à «justifier ses échecs, en mettant en exergue l’absence  de moyens humains et techniques au niveau de la Cour pour lutter contre la corruption, oubliant au passage qu’il est le premier responsable de cette situation».

Pour finir, tirant les conséquences de sa diatribe, le Syndicat des magistrats de la Cour demande la révocation du président et du secrétaire général et exige qu’ils rendent compte de leur «gestion catastrophique».

Est-ce la brutalité de l’attaque ou un miraculeux effet de la dialectique ? Alors que jusque-là Benmarouf s’évertuait à nous convaincre que la Cour s’acquittait convenablement de ses missions depuis 25 ans qu’il préside à ses destinées, voilà qu’il confesse benoitement, en direct sur la Chaîne III, que tout bien considéré la Cour des comptes n’a pas respecté toutes ses obligations depuis au moins 20 ans ! Ce faisant, il en conclut : «Elle a coupé une relation importante pour la Cour qui est le dialogue et l’information du citoyen. C’est un vecteur très important et une des missions de la Cour. C’est aussi fondamental pour la transparence.»

Bref, il fait le même constat que les magistrats qui dénoncent sa gestion et réclament son limogeage et celui du secrétaire général.

Comment interpréter le communiqué du président de la Cour des comptes et la virulente réaction qu’il a suscitée chez les magistrats ? Quels sont les enjeux ensevelis sous les piles de dossiers somnolents dans les placards de la vénérable institution ? Pourquoi est-on passé si brutalement de 20 ans d’une insouciante indolence à un éreintement public qui a débouché sur une bouffonnerie ?

Surtout, ne s’agirait-il pas de se préparer à répondre aux interpellations qui sont sur toutes les lèvres : y a-t-il prescription des méfaits commis ? Si oui, a-t-on pris toutes les mesures pour l’éviter et qui était chargé de le faire ? Si non, comment allons-nous procéder pour recouvrer les sommes vertigineuses qui ont été volées à la nation ?

Les dispositions de la convention des Nations unies contre la corruption recommandent aux Etats parties de veiller aux délais de prescription et de prévoir contre ces infractions des délais plus longs que ceux généralement admis en droit commun. Et plus encore, de suspendre la prescription lorsque l’auteur des crimes se soustrait à la justice. Cette convention a été ratifiée par l’Algérie avec, cependant, des accommodements qui prennent toute leur portée aujourd’hui. En particulier les points relatifs à la date de prise en compte du crime et à la durée de sa prescription.

Alors que la plupart des Etats désireux de lutter contre la corruption font débuter la date de prescription du crime à celle de sa découverte, l’Algérie a choisi de le faire à compter de sa commission. Cette distinction fait toute la différence entre la lutte et les apparences de la lutte. Car, pour prospérer, le crime de corruption exige une chaîne de complicité dont les éléments sont rémunérés précisément pour dissimuler le crime. Dans ces conditions, l’efficacité des instances de contrôle dépend en grande partie de la diligence qu’elles mettent dans l’exercice de leur office et la publication des conclusions qui en découlent.

C’est pourquoi le retard accusé par la publication, quand elle existe, de ces conclusions revêt un enjeu majeur, et que les motifs de ce retard conduisent à en instiller un doute légitime.

Mais l’interprétation complaisante qui a été faite des recommandations des Nations unies dans la lutte contre la corruption ne s’arrête pas là. Alors que de nombreux Etats parties à cette convention ont instauré un délai de prescription de 30 ans à compter de la découverte du crime, les autorités algériennes ont limité ce délai à 10 ans à compter de sa commission. Cette combinaison aboutit à précipiter l’extinction du droit de poursuivre l’auteur du crime et compromet la récupération des biens spoliés.

La publicité faite aux résultats du contrôle est donc décisive dans la récupération des biens soustraits à la communauté, et il ne fait pas de doute que les tentatives pour recouvrer ces biens mettront à jour la nécessaire instauration du principe de l’imprescriptibilité de l’action civile devant le juge pénal afin de garantir la société civile contre l’inactivité ou la négligence de ceux qui sont chargés de la protéger.

Mais avant cela, il faudra déterminer les responsables dont l’inertie a permis les crimes qui ont été commis au détriment des Algériens. Une perspective propre à susciter de violentes polémiques.

M. B.

Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.


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