Lahouari Addi. Professeur de sociologie à l’IEP de Lyon

«Les conditions politiques du dialogue ne sont pas réunies»



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Professeur de sociologie à l’Institut d’études politiques de Lyon, Lahouari Addi estime, dans cet entretien accordé à El Watan, que le bras de fer entre le hirak et l’état-major de l’armée trouvera son dénouement «lorsque l’un des deux protagonistes réalisera qu’il ne pourra pas gagner». Les généraux «finiront tôt ou tard par rendre le pouvoir souverain aux civils», car «l’armée ne peut pas livrer un combat militaire contre son peuple», selon lui.

 

-Depuis quelques semaines, on entend le slogan de la désobéissance civile. Comment interprétez-vous cet appel ?

Le slogan de désobéissance civile exprime l’exaspération et l’impatience de certains jeunes qui considèrent que les autorités ne les écoutent pas. Ils veulent que la protestation aille plus loin pour lancer, par exemple, des mouvements de grève. Je constate cependant que beaucoup de manifestants n’adhèrent pas à cette option. Des débats passionnés sur les réseaux sociaux se déroulent et il ressort qu’une majorité d’internautes disent que le hirak est la désobéissance civile et doit rester pacifique sans toucher à l’économie.

-Certains disent que le hirak n’a rien obtenu après six mois de manifestations hebdomadaires. Partagez-vous cet avis ?

L’objectif du hirak est le changement du régime et le processus est en cours. Tant que le hirak empêche l’élection présidentielle, il est victorieux.

-Pourquoi, selon vous, le hirak refuse le dialogue proposé par Gaïd Salah pour une transition ordonnée ?

Gaïd Salah n’arrive pas à convaincre les Algériens, parce que les conditions politiques du dialogue ne sont pas réunies. Sans libération de la presse, il ne peut pas y avoir de dialogue, puisque seule une partie aura le droit de s’exprimer dans les médias lourds que sont la télévision et la radio. Par ailleurs, le panel censé mener le dialogue est composé de personnalités du régime, à commencer par un ancien président de l’Assemblée nationale, membre du FLN. L’opinion publique trouve que ce n’est pas sérieux.

-C’est alors l’impasse ?

Il n’y a pas d’impasse politique. La situation évolue et le conflit s’arrêtera lorsque l’un des deux protagonistes réalisera qu’il ne pourra pas gagner. Et je pense que ce sera l’état-major. Les généraux tenteront de sauver ce qui peut l’être, mais tôt ou tard, ils finiront par rendre le pouvoir souverain aux civils. Les généraux ont devant eux un problème politique et non militaire. L’armée ne peut pas livrer un combat militaire contre son peuple, à moins d’être au service d’un roi ou d’une caste, ce qui n’est pas le cas en Algérie.

-Jusqu’ici, les militaires ne se sont pas comportés comme en Octobre 1988 et n’ont pas réprimé à large échelle les manifestations. Qu’est-ce qui a changé dans la logique répressive de l’armée ?

En Octobre 1988, il y a eu des édifices publics brûlés et des scènes de pillage, ce qui a été le prétexte à une intervention de l’armée pour protéger l’ordre public. Des témoins ont rapporté par ailleurs que des anonymes dans des voitures banalisées tiraient sur des policiers. C’étaient des gens qui préparaient le terrain pour une intervention de l’armée. Aujourd’hui, la situation est différente. Les manifestants sont pacifiques et nettoient les rues après les marches. Ils ont enlevé à l’armée le prétexte d’intervenir. Mais il y a un autre facteur. L’armée ne veut pas de répression à grande échelle, comme cela a été le cas dans les années 1990. J’ai discuté avec des officiers à la retraite et ils m’ont dit qu’ils ne sont pas fiers des années 1990.

-Le chef d’état-major a affirmé que les principales revendications du hirak ont été satisfaites et que le prochain cap sera la présidentielle. Qu’en pensez-vous ?

Le chef d’état-major ne comprend pas que l’Algérie a atteint une autre étape de son histoire dans la construction de l’Etat. Jusqu’à 1988, date de la fin de la légitimité historique, l’armée avait pour mission d’asseoir l’autorité du pouvoir central en donnant la légitimité à la branche exécutive. Cette étape est terminée. Les nouvelles générations veulent un Etat qui ne se limite pas au pouvoir exécutif ; elles veulent que le pouvoir exécutif soit issu de l’alternance électorale avec des partis représentatifs des différents courants de la société. C’est terminé le temps où les députés étaient fabriqués dans les laboratoires du DRS. Les jeunes du hirak veulent enlever des mains de la hiérarchie militaire le pouvoir souverain de désigner les élus. Et pour cela, ils veulent une transition menée par des personnalités qui ne sont pas liées au régime.

-Pensez-vous qu’un compromis de sortie de crise est possible ?

Historiquement tout est possible, mais la situation évoluera en fonction du rapport de forces entre les deux adversaires que sont l’état-major et la rue. A ce jour, c’est la rue qui l’emporte ; elle refuse une élection présidentielle, ce qui met dans l’illégalité tous les détenteurs de l’autorité publique, y compris les membres de l’état-major. Il n’y a pas de Président constitutionnellement légitime, donc il n’y a pas de légalité. J’ai remarqué que le 5 juillet, le chef de l’Etat intérimaire n’a reçu aucun message de l’extérieur à l’occasion de la Fête d’indépendance. Cela veut dire que le gouvernement algérien ne bénéficie pas de la reconnaissance internationale.

-Pourquoi ne pas procéder à l’élection présidentielle et laisser au Président élu la charge de mener la transition ?

Le problème est que les Algériens n’ont pas confiance en une élection organisée par le régime. J’ai parlé avec des hirakistes au sujet d’une commission de contrôle du scrutin et l’un d’eux m’a répondu ceci : «Dans les grandes villes, la commission empêchera le trucage, mais dans les petites villes, le chef de daïra fera du bourrage des urnes sur instruction des autorités centrales.»

-Quel rôle joue le facteur international dans la crise algérienne ?

Nos voisins du Nord vivent dans la crainte que la situation dégénère comme en Libye. Cela voudrait dire deux millions de réfugiés en Europe et la déstabilisation de l’Afrique du Nord et aussi du Sahel. C’est pourquoi les Européens sont silencieux. Le danger vient de l’Est, avec les velléités d’intrusion de la part des Emirats et de l’Arabie Saoudite, mais ces velléités ont été tenues en échec par les services de sécurité.

La presse rapporte souvent que l’ANP arrête des terroristes. Ce sont probablement des éléments envoyés par les monarchies du Golfe pour provoquer l’anarchie qui justifierait l’intervention musclée de l’armée. Il faut dire qu’il est difficile pour les monarchies du Golfe de trouver des relais locaux, parce que le tissu social algérien est homogène. L’écrasante majorité de la population est musulmane, sunnite, de rite malékite. Il n’y a pas de minorités religieuses ou ethniques suffisamment importantes pour créer le scénario syrien. Quant au soi-disant antagonisme Berbères-Arabes, l’anthropologie ne le confirme pas.

-Un dernier mot ?

Pour le Mouvement national, qui continue de travailler la mémoire sociale algérienne, l’objectif final était l’Etat de droit avec des élections.
L’indépendance n’était qu’une étape. Le hirak s’inscrit dans cette perspective et c’est pourquoi il a des chances de réussir.


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