Nasser Bakhti, réalisateur du film documentaire Un ange passé trop vite

«J’ai voulu faire un film qui soit porteur d’espoir…»



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Comment survivre à son enfant ? Comment se relever après une telle tragédie et se reconstruire ? Comment tourner la page ? A ces questions, le film de Nasser Bakhti répond de manière sobre et profonde.

 

Propos Recueillis à Valence par  Ali Aït Mouhoub

 

-Comment l’idée de ce film a-t-elle germé, Pourquoi le thème du deuil ?

Certains parlent de thèmes porteurs qui fédèrent, je ne choisis pas mes sujets sur cette base-là. Pour être honnête, de nombreux sujets viennent à moi par pur hasard, ou alors je les découvre par mes recherches ou par des rencontres fortuites. Pour ce film, je connaissais la victime. J’ai connu Johann tout petit, à la salle de judo du quartier, et je connais aussi ses parents. Je n’avais jamais pensé à faire un film sur la perte d’un être cher, et par rapport à Johann, il m’a fallu du temps pour l’envisager.

C’est seulement 5 ans après l’accident que j’ai décidé d’approcher les parents. C’est surtout leur cheminement qui m’a convaincu que ce projet était nécessaire. Comment ont-ils fait pour se relever après un tel traumatisme ? Ce n’est pas tant le thème du deuil, mais c’est plutôt partager l’expérience personnelle de ceux qui restent avec leur douleur et la douleur on n’en parle pas. Il y a une sorte d’anesthésie générale à l’égard de celle-ci, la tendance nous pousse à fermer les yeux et à nous boucher les oreilles et à vivre nos douleurs en silence. J’ai voulu faire un film qui soit porteur d’espoir, pour aider ceux qui vivent la même expérience du deuil en silence. Je voulais que ce film nous aide à ouvrir les yeux et à tendre l’oreille pour écouter, voir et partager aussi bien la douleur que la joie, lorsqu’elles s’expriment.

-Que cherchez-vous à montrer exactement en faisant ce genre de film ?

Je cherche tout d’abord à restituer l’intensité des sentiments des personnes dont je dresse le portrait et l’authenticité de leur réalité, tout en étant conscient que je fais un film qui va mettre en évidence une part de la réalité et non pas la réalité. Pour cela, j’ai besoin de leur confiance, c’est fondamental pour moi et pour mon travail, comme ils ont besoin de mon honnêteté intellectuelle pour ne pas trahir leur confiance. Je pars toujours de l’idée que je ne fais pas un film pour moi, pour dire regardez comment je sais filmer, comment je suis capable de…! Non, je fais un film en pensant à ceux qui vont le découvrir. J’aime et je fais en sorte de valoriser cette notion de partage qui existe entre moi et les personnes que je filme et le public qui va découvrir le film.

-Vous avez filmé ce documentaire durant trois ans ; pourquoi si longtemps ?

Le facteur temps est un atout pour un réalisateur de documentaires, il lui permet de montrer l’évolution de ses protagonistes et la transformation des situations qu’ils vivent. Je n’aurais jamais pu filmer certaines situations essentielles dans le cheminement du couple que j’ai filmé si je n’avais pas tourné dans la durée (3 ans). Cela permet aussi aux protagonistes d’apprivoiser la caméra et de l’oublier, ainsi leurs interactions entre eux ou avec le réalisateur deviennent plus spontanées.

-Avec un sujet aussi sensible que la mort et le deuil, où se situe votre implication par rapport à un tel sujet et quelles sont les limites à ne pas franchir ?

Je pense que mes choix du cadre, le choix du rythme et des options de montage, la construction sonore, l’utilisation d’un commentaire ou pas, mettre ou pas de la musique sont déjà une implication personnelle et une prise de position. En m’appropriant le vécu de mes protagonistes en le captant, tout devient subjectif pour moi, est-ce que je suis touché, fasciné ou juste intéressé ? Où est-ce que je suis juste un outil de transmission qui aide ses protagonistes à raconter leur histoire sans s’impliquer personnellement et émotionnellement ? De plus, je dois trouver la distance juste pour garder un certain recul sur ce que je capte.

Cela me permet l’analyse et la réflexion sur la matière filmée. Sachant que ces personnes ne jouent pas un rôle et tout ce qu’ils partagent avec moi émane de leur vécu. Mes doutes font aussi partie de mon implication, je me pose beaucoup de questions sur la nécessité de ce que je suis en train de faire, sur la manière adéquate de le faire, jusqu’où je peux aller dans l’intimité des gens et surtout sur la qualité de mon écoute.

Quant aux limites à ne pas franchir, quel que soit le sujet traité, j’essaie toujours de transmettre mon enthousiasme aux personnes que je filme. Ceci afin de les motiver et de leur faire comprendre que ce qu’elles me racontent et leur point de vue sont importants à mes yeux et ne seront jamais travestis. Au final, leurs témoignages traduiront leur réalité et leur vérité. La confiance reste le gage le plus important qui permet la transparence et le respect. J’espère que mon film suscitera des interrogations comme celles qui m’ont habité pour le réaliser et qu’ils feront avancer le débat sur ce sujet. Mais il faut savoir aussi que s’interroger ne veut pas dire trouver toujours des réponses.

-Qu’avez-vous déduit de spécial par rapport à d’autres thèmes que vous avez déjà traités ?

La mort est un thème universel, car elle fait partie intégrante de notre vie. Un sujet fort, mais très délicat. En développant ce projet, je me suis rendu compte à quel point le sujet est sensible, souvent tabou. Pourtant, le deuil nous touche tous à un moment ou un autre de notre vie. J’ai pu rencontrer des parents détruits par la douleur, anéantis par le manque mais qui se sont relevés et qui ont fait face avec de petites victoires et de longues épreuves, cela ne les a pas empêchés de persévérer… et d’avancer sur le chemin de la reconstruction.

Dans mes précédents films, je me suis toujours intéressé d’abord aux individus et à leur histoire, leur destin, leur fragilité, leur force, leurs failles, leur talent, leurs victoires, leurs défaites et c’est ce qui me motive et m’inspire pour raconter leur récit de vie et le traduire en images. En fait, j’ai toujours assumé les choix de mes thèmes mais le thème du deuil est lourd et sensible et j’avais peur d’être catalogué de voyeur, peur aussi d’être maladroit et de heurter avec mes questions, mais la confiance qui m’a été témoignée m’a aidé à avancer au rythme du cheminement de mes protagonistes.

 

 

 

Bio express

Nasser Bakhti est réalisateur/producteur avec 30 ans d’expérience, une connaissance approfondie et des compétences précieuses dans l’ensemble du processus de fabrication d’un film, du stade créatif à la distribution. Après un diplôme de la Mountview Art, dans Drama School à Londres, il a produit et réalisé des films pour des diffuseurs, tels que la Radio Télévision Suisse RTS, ARTE, Channel 4, TV5 monde, Yle TV, la chaîne Histoire, et Radio Canada. Il a également réalisé et produit plusieurs documentaires de longs métrages et films de fiction pour le grand écran, entre autres, Laurence Deonna, libre!, Documentaire de création, long métrage de 90 min, D. Appia Mémoires d’une œuvre, documentaire de 98 min, Le vieil homme à la caméra, long métrage de 102 min, Aux frontières de la nuit, long métrage de fiction de 108 min, Le silence de la peur, fiction de 70 mn. Des films primés dans plusieurs festivals de cinéma à travers le monde.


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