Djamel Eddine Benchenouf. L’un des animateurs de la chaîne El Magharabia TV

«Interdite de diffusion par Eutelsat, El Magharabia TV dans l’expectative»



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La chaîne de télévision  El Magharibia TV a été suspendue depuis le 15 octobre par son opérateur de diffusion satellite Eutelsat, de droit français. La chaîne est, depuis, montée au créneau pour accuser le gouvernement algérien d’avoir manigancé pour sa fermeture et dénoncer cette situation qu’elle juge d’inacceptable du fait qu’elle est de droit britannique.

Djamel Eddine Benchenouf, l’un des animateurs de cette chaîne, nous a reçus dans les locaux du bureau parisien de la chaîne. Il nous parle dans cet entretien de cette suspension, mais également de la chaîne, de son financement, de sa ligne éditoriale sujette à interrogation et de son véritable propriétaire.

 

 

El Magharibia a cessé d’émettre depuis quelques jours. Que vous reproche précisément la société de diffusion satellite Eutelsat qui héberge votre chaîne ?

La coupure a été faite du jour au lendemain, sans préavis. Ce qui est déjà inconcevable. Officiellement, Eutelsat nous a informés par courrier que l’Etat algérien leur a demandé de mettre fin à la diffusion d’El Magharabia TV car selon les autorités algériennes nous n’avons pas les autorisations nécessaires pour émettre sur le territoire algérien. Le problème, c’est que nous n’émettons pas en Algérie par câble, mais par ondes, par satellite. Nous n’émettons pas depuis l’Algérie mais depuis Londres, en Grande-Bretagne.

El Magharibia est une société de droit britannique. Et nous émettons à travers tous les champs couverts par Eutelsat, c’est-à-dire quasiment dans le monde entier. C’est comme si demain le Liberia, le Kenya ou la Birmanie allaient demander à l’hébergeur qui abrite la BBC de la chasser de son satellite parce qu’elle n’est pas autorisée à émettre sur ces territoires ! Ce n’est pas comme ça que ça se passe. Il n’y a pas de frontière dans le ciel. Les diffusions sont libres.

Vous avez essayé de lancer une autre chaîne, Hirak TV. Elle a duré vingt quatre heures…

Effectivement, nous avons essayé de contourner l’interdiction en lançant cette chaîne avec les mêmes journalistes, les mêmes plateaux et la même configuration qu’El Magharibia TV. Mais Eutelsat a fait savoir à l’ensemble de ses providers (les sociétés qui commercialisent les offres d’Eutelsat) que nous étions persona non grata avec interdiction de nous vendre des signaux. Un véritable acharnement.

Pourquoi Eutelsat a-t-il pris cette décision radicale vis-à-vis de votre chaîne de TV ?

D’abord, je voudrais préciser qu’Eutelsat est une chaîne de droit français dans laquelle il y a des partenaires qui relèvent, si je ne m’abuse, de l’Etat français. Notamment des consortiums de banques. C’est donc une société soumise à des contingences politiques françaises.

C’est-à- dire gouvernementales. Pour qu’Eutelsat puisse interdire El Magharibia TV d’émettre depuis ses satellites, alors que nous avons un contrat avec eux très précis, de cette manière-là et sans décision de justice, il y a, au moins, le feu vert de l’Etat français. Sans cette injonction de l’Etat français, Eutelsat n’aurait pas pu prendre cette décision. Il y a donc, de notre point de vue, convergence d’intérêts entre l’Etat français et l’Etat algérien.

Pourquoi ?

Le régime algérien sait que les élections décidées par lui et qui approchent à grande vitesse, lui seront fatales si elles ne se déroulent pas. Je pense que le régime algérien a dû mettre l’Etat français devant de grandes responsabilités vis-à-vis de cette échéance sur le mode. «Nous sommes liés par pas mal de choses, souvent pas très nettes, qui pourraient éventuellement ressurgir. Donc, si jamais vous ne mettez pas le holà sur El Magharibia TV, les élections ne vont pas avoir lieu et cela va retomber sur nous tous.» C’est ce qui a dû se passer. C’est mon point de vue personnel. Pas celui d’ El Magharibia TV.

Vous avez déclaré publiquement que la presse algérienne n’avait pas ou peu évoqué le sort d’El Magharabia TV. Pourquoi, selon vous ?

Oui, je l’ai dit. Je pense qu’une partie de la presse n’a pas réagi à l’interdiction d’El Magharibia TV par peur. J’ai également évoqué les partis politiques d’opposition, les élites intellectuelles qui s’expriment régulièrement à travers la presse ou les réseaux sociaux. Pas un mot. Même mon ex-journal Liberté n’a pas évoqué notre sort. Je ne comprends pas pourquoi.

Peut-être parce qu’il y a chez nous une grande partie des Algériens, et donc des médias, de la méfiance vis- à-vis d’une chaîne de télévision dont on connaît peu le fonctionnement, le financement. Comprenez-vous cette suspicion ?

Bien sûr que je peux la comprendre. Ce que je comprends moins, c’est que l’on ne demande ce genre d’explication qu’à El Magharibia TV et pas à d’autres chaînes.

On connaît quand même les barons-propriétaires des chaînes privées algériennes, comme Haddad ou Tahkout qui possèdent Dzaïr TV ou Numidia TV… mais rien sur El Magharibia TV…

Oui, mais on ne connaît pas les mécanismes de financement des chaînes que vous citez.

Dites-nous alors quels sont les mécanismes de financement d’El Magharibia TV…

D’abord, il faut comprendre quelque chose : El Magharibia fonctionne a minima, vraiment a minima. Elle n’a pas les moyens d’autres chaînes pour financer ses émissions et son fonctionnement général. Je vais vous donner un exemple tout simple : pour mon émission à moi, «Top 3», c’est normalement un personnel d’au moins 7 à 8 personnes. Moi je suis seul. C’est moi qui fait tout. De temps en temps, j’ai un collègue qui me donne un coup de main.

C’est moi qui appelle les invités, c’est moi qui suis à côté du graphiste pour lui dire quoi faire ou avec la régie à travers l’oreillette pour donner des instructions. Si vous en parlez à un professionnel de l’audiovisuel de la manière avec laquelle on travaille, il n’arriverait pas à y croire. Ce n’est donc pas des masses d’argent que brasse El Magharibia comme le prétendent certains. Les investisseurs qui ont mis de l’argent de notre chaîne travaillent pour le long terme. Ils espèrent que cette chaîne sera rentable plus tard, car elle ne l’est pas aujourd’hui.

C’est donc un investissement à perte ?

Vous savez, aucune entreprise audiovisuelle dans le monde ne génère des bénéfices en l’espace de quelques années d’existence. On a encore beaucoup de travail à faire pour augmenter notre audimat et pouvoir solliciter de grands groupes économiques pour la publicité et le sponsoring, surtout en Algérie.

Qui sont donc les propriétaires de votre chaîne ?

La société El Magharabia TV appartient à des hommes d’affaires que je ne connais pas tous personnellement, mais le principal actionnaire de la chaîne est Oussama Abassi, le fils de l’ancien président du FIS (parti dissous ndlr).

On classe El Magharibia TV comme étant dans la mouvance politique islamiste, c’est donc la réalité ?

Je vais essayer d’être très sincère. Cette chaîne n’aime pas se revendiquer du courant islamiste, elle préfère dire le courant conservateur. Elle ne s’en cache pas. Les gens qui gravitent autour d’elle, qui y sont, sont effectivement en majorité de cet ancrage politique conservateur, sans être des islamistes radicaux. On n’en voit pas à El Magharibia.

Parmi notre personnel féminin, il y a autant de femmes voilées que non voilées. Nous mettons sur le même plateau des gens avec des idées politiques radicalement différentes, laïcs et islamistes. Des gens qui ne se parlent pas généralement en Algérie. Et le dernier exemple de cet état d’esprit dans la chaîne, c’est ma présence à moi. Je suis un homme de gauche et je me revendique ouvertement et publiquement de la laïcité. Je suis pour la séparation du religieux du politique. Je ne l’ai jamais caché.

Si El Magharibia ne peut plus revenir dans la petite lucarne, que va-t-il se passer pour votre chaîne ?

Vous imaginez bien que nous n’allons pas nous laisser faire. En attendant, nous sommes en train de diffuser sur internet et l’audience de nos vidéos sur le web a décuplé. Si jamais notre retour n’est plus possible sur le satellite, nous nous sommes engagés à ouvrir, chacun d’entre nous ici, une WebTV, car cette échéance de la présidentielle du 12 décembre est vitale pour notre pays. Nous ne pouvons pas laisser le régime tout seul magouiller pour reproduire le système.

 

Par Abderrahmane Hayane

 


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