Engrenage



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Outre le sentiment d’inquiétude qu’inspirent les marches des éternels soutiens du système – dont on pensait un peu hâtivement qu’ils avaient bien médité les leçons de l’histoire pour se laisser de nouveau abuser aussi facilement par le nouveau pouvoir –, le rappel de ces inconditionnels réservistes en ce moment crucial, à quelques semaines du scrutin controversé du 12 décembre, moment crucial porte en lui les germes d’une grave menace sur l’unité nationale et la paix civile.

Le ton et l’ambiance frisant l’hystérie qui animent ces marches de soutien à l’élection présidentielle du 12 décembre prochain sont largement relayées par la télévision publique, pour ne pas suspecter la main du pouvoir d’être derrière cette mobilisation sous le sceau de l’urgence d’un défi majeur à relever face à une adversité de plus en plus pesante, incarnée par cet ennemi virtuel, inventé de toutes pièces pour légitimer un processus politique et l’équipe au pouvoir qui le porte. Les mêmes slogans d’hier d’allégeance au régime sont remis au goût du jour. Seuls changent les acteurs et le segment du pouvoir qui est à la manœuvre. Les appels à l’excommunication des «enfants de la France» (allusion aux manifestants du hirak) rappellent, à bien des égards, les condamnations sans appel des gardiens autoproclamés de l’islam contre les «laïco-assimilationistes», les «apostats» durant la décennie noire, pour ne pas craindre de nouveaux dérapages que l’on n’ose même pas imaginer, tant les traumatismes du passé sont encore vivaces dans les esprits.

L’ambiance de ces marches encadrées par l’administration sous le couvert de la société civile inquiète par son caractère improvisé, désordonné, agressif, belliqueux, dépourvu de tout contenu programmatique. Le conditionnement des foules est une porte ouverte à tous les dérapages. Durant des années et de manière plus insistante depuis ces derniers mois, les appels à la vigilance et à la mobilisation populaire contre le péril extérieur avaient rythmé le discours officiel pour mieux masquer l’échec de la gouvernance politique du pays. On surveillait nos avant-postes de combat et nos arrières, et voilà que l’on demande soudainement aux Algériens, à la veille du scrutin présidentiel contesté du 12 décembre, de consolider le front national contre… l’ennemi intérieur (imaginaire).

Si le calme et la sécurité publique ont pu être préservés tout au long de ces 9 mois de hirak, où l’on n’a déploré, fort heureusement, aucun acte de violence contre les biens et les personnes, aucun acte de vengeance ni de représailles contre les symboles du système – chose pourtant difficile à éviter et à contenir dans un mouvement populaire de l’ampleur de celui du 22 février, comme on l’a vu sous d’autres cieux –, l’initiative du pouvoir de faire sortir dans la rue des citoyens, en réaction au hirak et en soutien à l’option de la présidentielle et à l’armée, peut réveiller les vieux démons de l’instabilité et engager le pays dans un engrenage de violence interne incontrôlable.

Ce jeu particulièrement dangereux et irresponsable, qui consiste à vouloir chercher à opposer les Algériens entre eux, dans une ultime bataille, celle de la confrontation de la rue, en encourageant l’organisation de contre-marches au hirak pour tenter de dépasser l’impasse politique dans laquelle se trouve le pouvoir et imposer le fait accompli de l’élection présidentielle du 12 décembre, doit être dénoncé et combattu énergiquement par les esprits sages et clairvoyants dans et en dehors du pouvoir. D’autres voies de règlement de la crise politique préservant la paix civile et favorisant la recherche d’un large consensus national, dans la sérénité, existent et doivent être explorées pour ne pas rater le rendez-vous de l’histoire de la construction de la nouvelle Algérie de demain qui ne sera forte et prospère qu’avec tous ses enfants.


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