Mohamed Zaaf. Professeur de métallurgie à l’université Badji Mokhtar et militant politique

«Comme cette révolution est inédite, la solution sera aussi inédite»



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Mohamed Zaaf est professeur de métallurgie à l’université Badji Mokhtar de Annaba. Militant politique de longue date, il vient de fonder avec des collègues le Noyau universitaire de réflexion (NUR), très impliqué dans le mouvement du 22 Février. Dans cet entretien, il nous livre des idées très fortes sur la question de la transition, des pistes sur le démantèlement du système et son avis sur les événements qui vont suivre.

 

Voulez-vous nous présenter le NUR ?

Le NUR (Noyau universitaire de réflexion) est un collectif né suite à la révolution du 22 Février. Après quelques assemblées générales des enseignants de l’université de Annaba, est apparue la nécessité d’un espace serein d’échanges, de débats et de réflexion. Nous considérons à cet effet que la contribution de l’université pour la réussite de cette révolution démocratique est dans la production des idées et leur diffusion. Pour cela, nous avons d’abord organisé plusieurs conférences-débats à l’université. Les thèmes abordés étaient essentiellement liés à l’actualité avec un regard qui se voulait d’abord académique. Suite à cela, nous avons mis en place plusieurs rencontres entre des enseignants universitaires et avons produit un document intitulé «Plateforme pour une transition vers une Algérie libre, démocratique et moderne». Ce document a été signé par plus de 1300 citoyens. A NUR, nous considérons que cette plateforme est notre identité. Depuis une semaine, nous avons aussi lancé, à partir de notre page Facebook, une vidéo pédagogique expliquant pourquoi l’Algérie a besoin aujourd’hui d’une période de transition. Par ailleurs, les membres du NUR participent activement aux marches citoyennes et aux débats publics qui se mènent à Annaba avec d’autres noyaux du hirak. Nous avons également contribué à lancer une coordination nationale des universitaires du hirak qui est en train de se mettre en place.

Dans nombre de vos interventions, vous expliquez votre vision de la transition politique ; voulez-vous l’exposer aux lecteurs d’El Watan ?

Il vous suffit de lire notre plateforme et de voir la vidéo que nous venons de diffuser sur notre page Facebook pour connaître notre vision. Si nous devons synthétiser notre vision, nous dirons qu’il faut d’abord passer par une phase de démantèlement du système. Contrairement à certaines visions qui voient la transition comme un ensemble de tâches techniques pour aller vers des élections propres, nous considérons que la transition est, avant tout, un contenu et des tâches sous-jacentes permettant d’inscrire l’Algérie dans un projet de société démocratique. Désormais, l’Algérie ne pourra plus se faire sans sa société, il en est de même pour la transition. La transition doit jeter les bases d’une Algérie nouvelle, celle qui permet de faire de l’Algérie un pays avec une économie productive, qui assure un développement durable, insérée debout dans l’économie mondiale, avec comme fondements politiques la démocratie et l’Etat de droit, qui consacre la primauté du politique sur le militaire et qui permet à notre peuple de se réapproprier son algérianité.

Pour certains, le démantèlement du système est une utopie ; comment y parvenir ?

Pour perdurer, le système a utilisé tous les moyens à sa disposition. D’abord la nature du rapport socioéconomique dominant qui reste essentiellement un mode de distribution rentier et un despotisme qui empêche la société de s’organiser. A cet effet, au lieu d’utiliser l’argent de la rente pour le développement, il l’a utilisé pour acheter la paix sociale, financé ses organisations et les moyens de répression et de contrôle de la société. Tout cela a permis d’empêcher toute velléité d’expression ou d’organisation autonomes des différents segments de la société. Démanteler le système revient à lui ôter ces moyens. Même si elle est fondamentale, la nature des rapports socioéconomiques ne peut être changée du jour au lendemain.

Par contre, il est possible de prendre des mesures politiques dès l’entame de la transition. Concrètement, cela devra se traduire par des mesures qui libèrent la société du contrôle policier, en finir avec le régime des autorisations pour aller vers le régime déclaratif et favoriser ainsi des formes d’auto-organisations citoyennes. L’armée doit se retirer définitivement du champ politique. Elle n’a ni à imposer ni à accompagner la transition, qui doit rester une affaire de la société et de ses élites. A mon avis, demander l’accompagnement de l’armée est une forme pernicieuse de l’impliquer de façon partisane dans la transition. Le FLN doit être dessaisi de son sigle, qui sera rendu au patrimoine de tout le peuple algérien, les partis Etats et ceux qui ont soutenu Bouteflika doivent restituer leurs biens et moyens matériels à l’Etat. Selon moi, la conséquence revient à la dissolution de l’APN, du Sénat et de toutes les Assemblées. Toutes ces mesures permettront une transition historique hors système et jeteront les bases pour la construction d’une nouvelle Algérie, celle qui s’appuie sur la société qui s’exprime chaque vendredi.

Vous parlez aussi de tâches sous-jacentes pour préparer la transition…

Comme dit plus haut, la transition est, avant tout, un contenu et des tâches politiques sous-jacentes permettant de construire la nouvelle Algérie, l’Algérie plurielle qui s’exprime chaque vendredi. Désormais, l’Algérie ne pourra plus se faire sans sa société. Il en va de même pour la transition. Tout «zaïmisme», toute initiative tendant à instaurer le culte de la personnalité ou à le reproduire est aux antipodes des valeurs prônées par la grandeur de ce mouvement historique. Le hirak ne doit pas être utilisé pour régler des comptes, ni à servir une justice expéditive et de vengeance. La séparation des pouvoirs doit devenir une réalité ainsi que l’indépendance de la justice. Afin de forger un récit national commun nécessaire et un nouveau pacte républicain, il me paraît utile d’envisager une justice transitoire. La transition doit permettre aux différentes forces sociales et politiques de s’organiser et de consacrer la diversité politique et culturelle de la société dans les institutions. Elle doit favoriser l’émergence d’une nouvelle classe politique en phase avec les besoins et les attentes de la société. Toute utilisation de la religion, de la langue et de l’appartenance culturelle ou régionale doit être proscrite. Les moyens médiatiques et audiovisuels doivent être à la disposition de tous les courants d’opinion de la société, à l’exclusion de ceux appelant à la violence, à la haine ou à la discrimination.

Une petite Constitution permettant d’organiser les pouvoirs durant la transition pourra être élaborer à l’occasion d’une conférence rassemblant les forces en rupture avec le système. Il me paraît évident que les forces impliquées dans le terrorisme et la gestion du pays durant ce qui est appelé «décennie noire» ne doivent pas faire partie de cette conférence nationale. La réalisation de ces tâches doit être couronnée par un assainissement sérieux des listes électorales auditées par une instance indépendante. L’installation de commissions d’organisation et de contrôle des élections, qui doivent être réellement indépendantes. Elles ne doivent pas émaner de l’administration. Elles seront chargées d’organiser les premières élections transparentes et honnêtes, consacrant définitivement l’avènement de la nouvelle République. La Constituante pourra être abordée après cela dans des conditions politiques beaucoup plus saines.

Comment voyez-vous la suite des événements, à quelques semaines de l’élection du 12 décembre ?

Comme cette révolution est inédite, la solution sera aussi inédite. D’aucuns diront qu’il n’existe pas de révolution sans violences, je répondrai  d’abord en disant que cette expression civilisée et pacifiste est la principale force de ce mouvement populaire et que ces marches sont aussi une forme de violence, car elles permettent une asymétrie du rapport des forces en faveur du hirak. Apparemment, le pouvoir reste autiste et insiste pour organiser ces élections. Par ailleurs, la société exprime un besoin de rupture et de dépassement de ce système, elle ne pourra donc accepter ces élections. Un bras de fer de plus en plus dur s’annonce. Il est difficile, voire impossible de tout prédire, mais je pense que le cours de l’histoire ne pourra être dévié et que cette fois-ci le fleuve ne sera pas détourné. Quelle que soit l’issue de ces élections, le système finira par tomber et la société prendra son destin en main.    

 

 

 

Entretien réalisé par  Nouri Nesrouche


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