Dr Mourad Ahmim. Biologiste à l’université de Béjaïa

«Les mammifères ne sont pas convenablement protégés chez nous»

Comment vous est venue l’idée d’une actualisation des connaissances sur les mammifères d’Algérie et dans quel but ?

Le dernier travail d’ensemble sur les mammifères d’Algérie remonte à 1991. Il s’agit de l’ouvrage de Kowalski et Kowalska intitulé Mammals of Algeria. Cet ouvrage, rédigé en anglais, n’a pas vraiment été utilisé par les Algériens, d’ailleurs il n’était pas disponible dans les bibliothèques. J’ai eu, en 2004, à éditer une version en français financée par le ministère de l’Environnement, hélas, aussi, il n’y a eu qu’une édition très restreinte. Et puis, je me suis dit pourquoi ne pas se lancer dans un nouveau travail d’actualisation des connaissances, surtout avec l’avènement des réseaux sociaux qui sont d’importants pourvoyeurs d’informations, et le fruit est là. En 2017, j’avais terminé le travail et, depuis, je n’ai pas cessé de chercher un éditeur.

Ce n’est que cette année que je me suis résigné à le mettre en ligne en tant que e-book, car si je continue à attendre, les données contenues dans l’ouvrage deviendront obsolètes. Le but de ce travail est de mettre à la disposition des étudiants et des chercheurs en écologie des institutions et des administrations s’occupant de la gestion de la faune, telle que les parcs nationaux, l’administration des forêts et les directions de l’environnement, un outil de travail qui leur permettra d’être au courant de la situation actuelle du patrimoine mammalien Algérien et de prendre les décisions qu’il faut pour une bonne protection .

On découvre à la lecture de l’ouvrage que les mammifères qui vivaient en Afrique du Nord étaient bien plus nombreux que ce qu’il en reste aujourd’hui. Il y a des disparitions, mais y a-t-il encore des chances de réapparition comme pour le mystérieux guépard du Tassili  ?

Effectivement, en faisant un travail de recherche bibliographique en paléontologie, il s’avère qu’on avait en Algérie (ou Berberie) 487 espèces de mammifères pour 112 actuellement. C’est vrai qu’on remarque une différence importante en termes de richesse en espèces, et cela est dû à beaucoup de facteurs tels que les guerres, les incendies à répétition et les massacres perpétrés lors de la colonisation… Concernant le guépard, à mon avis, il a toujours existé en effectifs très restreints, donc il n’était pas évident de le rencontrer, mais depuis que les chercheurs se sont intéressés à cette espèce, ils ont découvert qu’elle existe et qu’il faut vraiment la préserver. D’ailleurs, on parle même de la présence de la panthère au sud du Sahara sur la base d’indices de présence, car elle n’a pas encore été formellement observée.

Il y a une protection formelle de certains mammifères et on a même pu observer l’action de citoyens pour sauver et soigner des individus pris dans les pièges. Les mammifères qui survivent sont-ils suffisamment protégés ?

Comme vous le savez sûrement, en termes de législation relative à la protection de la faune et de la flore, de la biodiversité en général, l’Algérie est classée parmi les pays les plus à jour et les mieux dotés en textes de protection, malheureusement en pratique, ce n’est pas vraiment le cas. Il y a un déphasage complet entre la réalité du terrain et les textes.Heureusement, de l’autre côté, la maturité et la conscience écologiques de beaucoup de personnes sensibles à la protection de la nature ont fait en sorte qu’on entende de plus en plus parler d’actions de protection et de sauvetage d’animaux pris dans des pièges, comme cela a été le cas pour la hyène de Zemmoura (Relizane) sauvée, soignée et relâchée par des agents forestiers en 2014. Mais en réalité, les mammifères ne sont pas suffisamment et convenablement protégés chez nous.

Propos recueillis par  Slim Sadki

Bio express

Mourad Ahmim est docteur  en sciences biologiques et enseignant chercheur à l’université de Béjaïa. Il est spécialiste des mammifères sauvages et des chiroptères (chauves-souris). Le docteur est également collaborateur dans plusieurs organismes dans le domaine de la biologie de la conservation.