Jacques Weber. comédien français

«Je suis très ému et touché de jouer en Algérie»



...

Hugo au bistrot reprend les textes de Victor Hugo, mais de temps à autre, il y a des petites parenthèses, où c’est vous-même qui parlez au public. Comment avez procédé pour le montage du texte ?

D’abord, le montage est, lui, rigoureux, toujours le même, mais les improvisations, petit à petit, se sont sédentarisées, sédimentées dans le texte. Au début, je ne savais pas trop ce que j’allais dire, puis petit à petit, c’est venu de très loin en moi (…). A titre d’exemple, je parle de Gérard Phillipe – sa mort m’a énormément marqué – ou encore, je montre comment je travaille mes textes, et j’évoque cette chose très abstraite qui est la technique. Je trouve que si on aborde techniquement la technique, on ne comprend rien. Je crois que la technique s’aborde poétiquement.

Pour l’écriture, c’est pareil. Je crois que c’est très important de faire parvenir la notion de style : si tu dis aux gens «le style, la métrique», ils ne comprendront rien, mais si tu leur parles simplement, d’images très simples, de la poésie des choses, là, ça va ! Il y a un moment un texte qui parle du smig, dont je ne suis pas l’auteur ! Un texte qui rassemble et met en forme des témoignages de gens qui sont dans la misère en France en ce moment. C’est un texte que je trouve impeccable, d’une logique implacable.

Et puis, il reste fidèle à la pensée, du moins au ton des textes de Victor Hugo…

Absolument ! Puisque juste avant, Victor Hugo dit dans le texte : «Je ne vous parle pas du moyen-âge, je ne vous parle pas de l’Irlande, je vous parle là, maintenant, en France.» Le problème des textes classiques, c’est que c’est très peinard, t’es un peu en retrait… or là, d’un seul coup, j’ai trouvé que c’était intéressant de mettre avec Christine (NDLR : Christine Weber, adaptatrice de la pièce, épouse du comédien) une incidence contemporaine. Ça m’a beaucoup plu ! Et puis, ce que j’aime dans ce spectacle, c’est qu’on a le mélange de l’individu : le grand-père, l’amant et le rebelle. Et à cela, oui, je l’affirme, c’est un spectacle militant, bien que je n’aime pas ce terme. Je trouve vraiment important que le texte sur les femmes soit dit, particulièrement dans le monde arabe, mais aussi en France.

On se rend compte justement que Victor Hugo était un écrivain féministe…

Oui, absolument !

Et puis, le texte sur l’importance de l’éducation, on a l’impression qu’il parle au monde d’aujourd’hui…

Oui, c’est incroyable ! Je trouve que c’est très important de faire passer cela, et puis, je trouve extraordinaire le texte sur l’abolition de la misère. C’est d’ailleurs un texte célèbre, mais il est très important de retrouver la rage qu’il peut générer, parce que c’est encore le cas aujourd’hui : il y a de plus en plus de misère en France. Ici aussi, je crois, et dans le monde entier la misère ne cesse de croître et les riches ne sont qu’un tout petit microcosme qui grandit en fric ! Il n’y a jamais eu autant de fric chez les riches. A un moment, il faut arrêter tout ça ! Après, oui, c’est la rue qui va déterminer les choses et ça risque d’être très violent ! La situation que vous pouvez connaître ici – et je ne me permettrais pas d’en parler – mais en France, il y a un moment où ça va bouger énormément, c’est sûr ! Et dans le monde entier ça bouge terriblement, et ça peut bouger très dangereusement, c’est ça qui est grave…

D’où l’intérêt de lire Victor Hugo et de se tourner vers la littérature…

Moi, je crois, quels que soient les auteurs que l’ont dit, il faut qu’il y ait une relation qui cogne un peu sur l’actualité et sur le monde, tout simplement. C’est comme ça que c’est contemporain. En fait, le mot qui consiste à dire que c’est contemporain, c’est faux, parce que ça donne une fausse idée des rapports qu’on peut avoir avec ces textes-là. Par exemple, il y avait Sacha Guitry qui avait dit : «Quoi de neuf Molière ?» C’est une ineptie ! Heureusement, Dieu merci, il y a eu plein de gens après Molière : ce qui n’empêche pas que Molière c’était magnifique, mais il y a eu plein d’autres gens formidables après. «Quoi de neuf Molière ?» après Beckett, après Ionesco, après Koltès…

A ce propos, le spectacle est également ponctué par des poèmes de Victor Hugo mis en musique par Brassens.

Ce qui est dommage, c’est que le support le plus actuel de la poésie c’est la chanson. La poésie est de plus en plus abandonnée en termes d’édition et c’est très dommage parce qu’il y a la poésie romanesque, dramaturgique et puis la poésie toute crue, et celle-ci est un peu abandonnée. Mais elle infuse malgré tout. Moi je pense que la nudité du style de Modiano ou d’Annie Erneau, c’est poétique. Mais il y des gens qui, dans le rapport qu’ils ont très direct avec le monde – Simenon, dans la capture du monde en une phrase, en deux mots – c’est une relation poétique.

Pour terminer, que pouvez-vous nous dire sur votre tournée en Algérie ?

C’est la première fois que je viens en Algérie, je suis très ému et très touché. Parce que d’abord, pendant mon enfance – je suis un né en 1949 – et durant les années 57, 58, il y avait ce qu’on appelait la guerre d’Algérie, on ne parlait que de ça tous les jours. Et puis ce qu’il y a de très touchant, quand on arrive ici – du fait qu’il y a des traces de français – c’est qu’on a l’impression qu’on est à la maison et totalement ailleurs de la maison. C’est quelque chose de très troublant et très touchant. Et puis, il y avait tout ce ressenti, une espèce de – oui, j’aime ce terme – gentillesse. Il y a un rapport avec les gens qui est absolument incroyable.

Tout à l’heure, j’étais chez un barbier populaire, dans une petite rue étroite et j’ai adoré cette expérience. Il y avait chez ces gens qui s’engouffrent, qui ont du mal à joindre les deux bouts, comme on dit chez nous en France, une espèce de joie de vivre. Ce que je regrette, c’est de ne pas avoir eu le temps de bien visiter. Certes, j’ai visité La Casbah, mais en tant que touriste. Or, je n’aime pas le rapport touristique avec le monde. Je pense que pour bien connaître un pays, il faut vivre avec ses gens et travailler avec ses gens.

 

Propos recueillis par  Akram El Kébir


Lire la suite sur El Watan.

Publier des annonces gratuites

Autres sites

Sciencedz.net : le site des sciences
Le site des sciences en Algérie


Vous cherchez un emploi? Essayer la recherche d'emploi en Algérie
Babalweb Annonces Babalweb Annonces
Petites annonces gratuites