Procès inédits révélant une délinquance politico-financière

Un hold-up d’État caractérisé !



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C’est ce lundi,  9 décembre, que se célèbre, un peu partout dans le monde, la Journée internationale de lutte contre la corruption. Instituée dans le prolongement de l’adoption, le 23 octobre 2003, de la Convention des Nations unies contre la corruption (UNCAC), cette journée a toujours, du moins depuis une dizaine d’années, été considérée en Algérie – qui s’était pourtant empressée de la signer le 9 décembre 2003 avant de la ratifier le 19 avril 2004 – comme étant un non-événement.

 

Avec le procès, inédit, de ce qui s’apparente à un véritable hold-up d’Etat, qui s’est ouvert, mercredi dernier, au tribunal de Sidi M’hamed, cette journée, à marquer d’une pierre blanche, mérite d’être commémorée, cette année, sous le slogan «Tous unis contre les fondateurs de la République de la corruption».

Car, par leurs révélations qui laissent parfois coi, ces derniers, la plupart des hommes d’Etat et des hommes d’affaires, que les Algériens voient défiler, voilà environ une semaine, devant les juges, ont levé un petit coin du voile sur l’étendue du phénomène de la délinquance politico-financière dans le pays.

Ce début du triste feuilleton de collusions milieux du business-instances politiques, où l’argent cohabitait avec les urnes prouve, une fois encore, que les scrutins populaires ont, certes, été toujours entachés de pratiques immorales, de manque de décence révoltant mais rarement ils l’ont été autant que ce que la justice vient de dévoiler à l’opinion publique.

Pis encore, le cynisme, dont faisaient preuve les «maîtres du jeu» a, décidément, atteint son comble. Partout, la perplexité et l’inquiétude le disputent au sentiment de crise multiforme.

Le système Bouteflika :  la mise à nu

La question récurrente que d’aucuns se posent : qui parviendra à apaiser un pays noué d’angoisse ? Ce ne sont certainement pas nos gouvernants dont la gestion des affaires, depuis près de deux longues décennies, a montré toutes ses limites que les Algériens risquent de réinvestir dorénavant de leur confiance. La méfiance à l’égard du régime qui cherchait et cherche encore à se maintenir, quel qu’en soit le prix à payer, a, elle aussi, atteint son paroxysme. «Il ne semble se dégager aucune force-tendance suffisamment solide pour transcender 50 ans de gabegie politique.

Car rien, absolument rien, ne paraît, à ce que j’observe, pouvoir stopper les nuisances (et leurs acteurs enracinés) qui minent le pays. Autant de murailles dressées contre toute évolution digne de ce nom. Alors que faire quand on se veut candidat ? Etre un président colmate-brèches ? Arbitre-otage pris dans l’étau d’inamovibles puissants intérêts aussi bien campés qu’inter-neutralisés ?

Ou encore caution consentante, marionnette faire-valoir d’un lugubre énième simulacre de scrutin populaire dont les résultats sont d’ores et déjà négociés, décidés et consignés à la décimale de pourcentages près ?», s’interrogeait, à juste titre, le célèbre économiste, professeur à HEC Montréal, Omar Aktouf, dans une déclaration faite à notre rédaction la veille de la présidentielle de 2014.

C’était avec le cœur et l’âme, étreints par une vive inquiétude que Pr Aktouf mettait en garde : à moins d’une prise de conscience urgente sur le danger qui la guette, l’Algérie pourrait bien, de son divan, se retrouver dans les bras de ceux qui ont fait d’elle un «Etat qui n’est plus que chaise musicale de rentiers, scandales, couverture de méga-corruption, figuration bureaucratique sclérosée, comité de gestion des intérêts de ses kidnappeurs de l’ombre et de la nouvelle classe dominante d’arrivistes qui s’y accrochent».

Et le temps a fini par lui donner raison. Ces privilégiés et influents lobbyistes de l’ombre auxquels il faisait allusion, il y en a quelques-uns qui sont, depuis, sortis, contre leur gré, d’un bien long anonymat. Leurs noms étant désormais sinistrement fortement présents dans les tribunaux, dans les discussions et les échanges dans la rue comme sur les réseaux sociaux.

En effet, les aveux, en cascade, des Arbaoui, Mazouz, Bairi, Haddad, Sellal, Ouyahia, lâchés devant les magistrats du tribunal de Sidi M’hamed et auxquels les Algériens assistent, médusés, ont mis à nu l’ampleur de la gabegie au cours de ces vingt dernières années et défait un à un les réseaux tissés sous le règne des frères Bouteflika. N’est-ce pas ceux-là mêmes qui, tel que le disait si bien Pr Aktouf, avaient «ouvert le bar pour tous les magouilleurs au saloon de l’Etat — comité de gestion de la classe — commis qui le maintiennent au pouvoir et inversement.

Comment échapper aux plus extravagants accaparements et à la corruption dans de telles conditions ? ce régime porte en lui, de façon structurelle, les bases et conditions de la corruption. De toutes parts, et de toujours, il se nourrit de corrupteurs et de corrompus». Le Pr Aktouf laissera, ainsi, entendre que pour sauvegarder ses intérêts, le régime bouteflikien et ses bailleurs de fonds, il était évident que des compromissions, il en fallait et elles étaient sans fin. Et «qui dit compromissions, dit ‘‘clans’’, et qui dit clans, dit constants jeux de ‘‘monnaies d’échange’’ et autres ‘‘renvoi d’ascenseur’’.

Les pouvoirs installés et désinstallés en Algérie depuis juillet 1962 n’ont jamais été que coup de force, pour ne pas dire coups d’Etat, plus ou moins déguisés, par urnes interposées ou non. Dans ces conditions, il ne peut que fleurir un terreau parfaitement idéal pour entretenir opacité totale autour de tout ce qui touche à la chose politique et économique : donc, nominations aux postes-clés de serviles commensaux et portes ouvertes à tous les détournements, abus de biens sociaux, accaparements…, bref, à tous les visages de la corruption que l’on peut imaginer».

Or, ce mode de gouvernance, tient-il à souligner, «est basé, en soi, sur quelques pivots essentiels qui en font l’essence : la domination des milieux d’argent sur le politique, l’appât, légal mais immoral, du gain à tout prix ; l’idolâtrie de la réussite, par tous moyens possibles, matérielle, privée-égoïste, le mythe d’un dieu-marché qui, magiquement, organise les gains et mérites des uns et des autres…»

La force de la loi ou la loi de la force…

C’est dire que même si le président déchu a pu être épargné par la justice puisque, «en théorie du droit constitutionnel, même le premier magistrat du pays est constitutionnellement justiciable si l’une ou l`autre des conditions énoncées dans le dispositif de la loi fondamentale est présente (article 158 de la Constitution de 1996 qui dispose ‘‘il est institué une Haute Cour de l’Etat pour connaître des actes pouvant être qualifiés de haute trahison du président de la République, des crimes et délits du Premier ministre, commis dans l`exercice de leur fonction’’), nombre de textes confère, par contre, beaucoup de latitude aux magistrats du tribunal de Sidi M’hamed concernant les ex-hommes de main de l’ex-locataire d’El Mouradia.

L’ossature de ces moyens, est, particulièrement, axée sur «la loi sur la lutte contre la corruption, adoptée par le parlement quatre jours avant une date commémorative des fameuses ordonnances sur les nationalisations des hydrocarbures en Algérie.

Cette loi est la transposition fidèle adaptée aux engagements internationaux de l’Algérie souscrits par la ratification de la Convention internationale sur le même objet, adoptée par la communauté internationale dans son ensemble à New York le 31 octobre 2003 et qui acquiert une valeur juridique d’observation et d’exécution supérieure à la loi», explique le Professeur de droit international et relations internationales, Abdelkader Kacher.

Cette loi a pour objet de «renforcer les mesures visant à prévenir et à combattre la corruption, de promouvoir l’intégrité, la responsabilité et la transparence dans la gestion des secteurs publics et privés et de faciliter et d’appuyer la coopération internationale et l’assistance technique aux fins de la prévention et de la lutte contre la corruption, y compris le recouvrement d’avoirs», ajoute-t-il.

Ainsi, au sens de la loi algérienne du 20 février 2006, les infractions, citées au titre III, sont presque toutes présentes dans les chefs d’accusation pour lesquels comparaissent, depuis le 4 décembre courant, devant les juges de Sidi M’hamed, d’anciens ex-hauts dirigeants politiques et des hommes d’affaires : il s’agit, surtout, de «la corruption d’agents publics ; des avantages injustifiés dans les marchés publics ; de la corruption dans les marchés publics ; de la soustraction ou de l’usage illicite de biens par un agent public ; de la concussion ; des exonérations et franchises illégales ; du trafic d’influence ; de l’abus de fonctions ; du conflit d’intérêt ; de la prise illégale d’intérêts ; du défaut ou de la fausse déclaration du patrimoine ; de l’enrichissement illicite ; des cadeaux ; du financement occulte des partis politiques ; de la corruption dans le secteur privé ; de la soustraction de biens dans le secteur privé ; du blanchiment du produit du crime».

Aussi, les dispositions relatives à la complicité prévues au code pénal algérien sont applicables aux infractions contenues dans la loi de 2006 laquelle loi retient également la responsabilité pénale de la personne morale (société) pour toutes les infractions prévues, conformément aux règles édictées par le code pénal.


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