Une bien étrange campagne

Les vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent les candidats chahutés jusque dans les salles de meeting. A cela, les autorités algériennes, qui tiennent à ces élections, ont répondu par la manière forte, procédant à des arrestations et à de lourdes condamnations.

La campagne pour la présidentielle du 12 décembre a été rythmée par un rejet massif exprimé lors des manifestations populaires, des meetings sans public, «des comités d’accueil hostiles», des prestations médiocres et des panneaux détournés. La troupe, composée des cinq prétendants à la présidentielle, a tout de même, et trois semaines durant, assuré le spectacle, oscillant entre le vaudeville, la tragédie cornélienne et le théâtre de l’absurde.

C’est donc une campagne a minima et en vase-clos qu’ont menée les cinq prétendants à la magistrature suprême, avec des salles sous haute surveillance, des publics ramenés en bus et l’absence des sorties de proximité. Les vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent les candidats chahutés jusque dans les salles de meeting.

A cela, les autorités algériennes, qui tiennent à ces élections, ont répondu par la manière forte, procédant à des arrestations et à de lourdes condamnations. La justice algérienne a condamné à 18 mois de prison ferme quatre personnes ayant perturbé, le 18 novembre, le meeting de Ali Benflis à Tlemcen, tandis que 14 autres ont écopé de deux mois avec sursis. Abdelkader Bengrina a eu aussi, de son côté, quelques déboires dans une tentative de sortie de proximité à la Grande-Poste, qu’il a dû interrompre très vite après avoir prononcé quelques phrases devant les caméras.

Il a également été exfiltré de son hôtel à Aflou (Laghouat), encerclé par des dizaines de manifestants aux cris de «Dégage !» Abdelmadjid Tebboune n’a pas pu se rendre à l’hôtel Riadh faute de participants (un bus de militants aurait été bloqué).

Faut-il souligner, par ailleurs, que la majorité des panneaux d’affichage placés à l’occasion de cette campagne électorale sont restés désespérément vides ou, dans certains cas, détournés de leur vocation. Quelques-uns ont été ornés de tags rejetant les élections, de photos de détenus politiques ou de portraits de héros de la Révolution algérienne.

Qu’à cela ne tienne, les candidats ont malgré tout tenu à poursuivre leur campagne électorale, avec son lot de coups de baroud, youyous, promesses ainsi que ses larmes. Que ce soit à l’écoute d’un poème ou d’un verset coranique, les candidats se sont adonnés à des expansions lacrymales devant les caméras de télévision provoquant les railleries des internautes.

C’est que, au-delà de la contestation de l’élection, les cinq candidats n’ont pas réussi à enthousiasmer les électeurs, utilisant les mêmes méthodes surannées, qui paraissent ridicules à l’ère des réseaux sociaux, ou exhumant les mêmes promesses qui sonnent mal aux oreilles des hirakistes car elles proviennent d’hommes qui ont servi le régime honni.

Pour preuve, la prestation jugée médiocre lors d’un débat télévisé aussi ennuyeux que crispé et dans lequel il a été fait abstraction de la situation réelle du pays et de la contestation de la rue. Les téléspectateurs n’ont pas vu, par ailleurs, une véritable confrontation d’idées ou des propositions séduisantes de sortie de crise, donnant lieu à une émission sans relief et mettant en avant des programmes vides.

Cette campagne a surtout creusé le fossé entre les tenants du régime et le hirak. D’un côté, une Algérie telle que présentée par la Télévision publique et les chaînes périphériques, dans laquelle l’élection serait la solution idoine pour sortir de la crise, mettant en exergue les manifestations contre l’ingérence étrangère.

De l’autre, une Algérie réelle, composée de différentes idéologies et couches de la société, qui chante, chaque vendredi : «Olé Ola, djabou khams ârayes (ils ont ramené cinq marionnettes), Olé Ola, habou idirou raïs (ils veulent placer un Président) !»